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Santé

Les bébés prématurés, victimes fragiles des perturbateurs endocriniens

Les bébés prématurés, particulièrement sensibles aux perturbateurs endocriniens, des substances chimiques qui perturbent le système hormonal.

Machines, cathéters, médicaments… Les dispositifs médicaux qui maintiennent les bébés prématurés en vie contiennent des perturbateurs endocriniens. Des substituts au plastique incriminé sont moins nocifs et pourraient être utilisés.

Les perturbateurs endocriniens se nichent partout, même au cœur des structures de soin, auprès des plus vulnérables. Les bébés prématurés, particulièrement sensibles à ces substances chimiques qui perturbent le système hormonal, font partie des victimes. Minuscules, ils ont besoin d’un arsenal de machines et de tubes pour les maintenir en vie... mais le plastique de ces machines et tubes les exposent à des risques qui inquiètent des chercheurs en santé néonatale.

Cet univers de plastique contient en effet des perturbateurs endocriniens auxquels les petits organismes fragiles sont particulièrement sensibles. Ce même plastique prédispose d’ailleurs leur mère à accoucher plus tôt. C’est ce que dénonce le Réseau Environnement Santé (RES) dans un communiqué, à la suite de la parution du rapport Born too soon (« né trop tôt ») de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Unicef.

Lire aussi : Des femmes enceintes apprennent à se protéger des perturbateurs endroctriniens

« C’est quasiment la seule population humaine qui est intégralement nourrie à travers un tube », souligne André Cicolella, président du réseau, auprès de Reporterre. Or nombre de ces dispositifs médicaux contiennent des perturbateurs endocriniens, comme le DEHP, un plastifiant de la famille des phtalates. Bien que l’exposition à cette substance ne soit théoriquement plus autorisée depuis 2012, « un contrôle de l’ANSM (l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) [l’instance surveillant la sécurité des médicaments mis sur le marché français] réalisé en 2016 montrait que la majorité du marché des dispositifs médicaux en PVC, bien qu’annoncé sans DEHP en contenait toujours. Qu’en est-il aujourd’hui ? », s’interroge le RES dans un communiqué de novembre 2022.

Les nouveau-nés hospitalisés sont multiexposés

Une étude publiée dans la revue Science of total environment en 2023, et réalisée dans deux centres français de soins, sont inquiétants : les nourrissons en soins intensifs présentent des taux de DEHP dans leurs urines jusqu’à trente-cinq fois plus élevés que les bébés qui sortent directement de la maternité… En cause : les tuyaux employés pour les faire respirer, pour les alimenter ou leur faire parvenir des médicaments. Cette étude a été menée par une équipe de chercheurs autour de Valérie Sautou, de l’Université Clermont-Auvergne et membre de la Société française de pharmacie clinique.

Sondes gastriques pour nourrir les nourrissons, sondes d’intubation pour les oxygéner, cathéters pour leur diffuser des médicaments... Les nouveau-nés hospitalisés, principalement des prématurés, sont multi-exposés au plastique dans les services de réanimation néonatale, a-t-elle révélé lors d’une audition à l’Assemblée nationale en 2019.

Or les bébés prématurés sont particulièrement sensibles à ces molécules toxiques. Du fait de l’immaturité de leur système de détoxification, il existe « des risques d’accumulation [...] dans l’organisme » à un moment où les organes sont en plein développement, a averti la chercheuse durant cette audition. Globalement, les mille premiers jours de la vie — depuis la conception jusqu’aux deux ans de l’enfant — sont la période la plus sensible aux perturbateurs endocriniens. À cet âge, l’exposition à ces substances toxiques est associée à une augmentation du risque de troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant — des retards de langage par exemple — et à une augmentation des maladies non transmissibles une fois devenu adulte, telles que le diabète, l’obésité ou les maladies cardiovasculaires.

Cependant, une alternative à l’emploi du DEHP semble exister, selon des chercheurs réunis par l’Académie nationale de pharmacie en 2021 : les plastifiants à base de TOTM ou DEHT présentent des risques toxiques bien moindres. Ils ont conclu que « l’entière substitution [du DEHP] par des plastifiants alternatifs tels que le TOTM et le DEHT apparaît nécessaire et urgente ».

De 2012 à 2019, Valérie Sautou a porté au CHU de Clermont-Ferrand deux projets financés par l’ANSM sur l’exposition des patients — et notamment les nouveaux-nés — aux perturbateurs endocriniens. Pour protéger les plus jeunes, chercheurs, réanimateurs, pédiatres, pharmaciens et acheteurs travaillent ensemble. « Nous imposons des critères de choix pour l’achat du matériel, explique-t-elle à Reporterre. Le premier critère est basé sur la sécurité technique et la fonctionnalité des dispositifs. Il n’est pas question de prendre le moindre risque en matière de prise en charge des patients. Cependant si nous pouvons éviter une surcharge d’additifs chez ces petits patients, nous le faisons ! » Ainsi, la question des effets de perturbateur endocrinien figure sur la deuxième ligne des critères d’achats. La démarche est parfois compliquée par le manque d’offres ou des contraintes réglementaires. « Mais on avance petit à petit ! » assure-t-elle. Elle pense cependant que les choses pourraient aller plus loin : « On a bien avancé sur le côté cancérogène, mutagène, reprotoxique. Beaucoup moins sur l’effet perturbateur endocrinien, qui n’est pas encore suffisamment contrôlé dans les dispositifs mis sur le marché. »

La mairie de Strasbourg propose des ateliers de sensibilisation à la santé environnementale. Ici, elles apprennent à fabriquer des produits ménagers sans perturbateurs endocriniens. © Adrien Labit / Reporterre

Ironie du sort, l’exposition des femmes enceintes à ces polluants est l’une des raisons expliquant certains accouchements précoces. Les résultats scientifiques sont clairs : l’exposition à un cocktail de perturbateurs endocriniens pendant le premier trimestre de grossesse double le risque de prématurité, a montré une étude chinoise. Et une équipe étasunienne a estimé que réduire de moitié la contamination des femmes enceintes aux phtalates — présents dans le PVC, les câbles électriques, les revêtements de sols et muraux, les meubles, les cosmétiques... — permettrait de diminuer le risque de prématurité de 12 %. « Soit 7 200 cas en moins sur les 55 000 prématurés annuels à l’échelle française, indique le RES. Réduire de 90 % la contamination aux phtalates des femmes enceintes produirait un gain de 35 % du risque de prématurité ! »

À quand une grande campagne nationale de réduction des risques ?

Le réseau appelle à des mesures fortes pour prévenir cette exposition : « Des grandes campagnes ont été menées sur les risques liés au tabac et à l’alcool, il est temps de lancer une grande campagne sur la réduction de l’exposition aux perturbateurs endocriniens », insiste André Cicolella. En novembre dernier, le gouvernement avait annoncé des Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant pour le printemps. « Nous les attendons toujours et réclamons que la question de la santé environnementale soit ajoutée au débat. » Depuis dix ans, aucun progrès notable n’a été réalisé pour prévenir la prématurité — aux causes multifactorielles —, s’alarment l’Organisation mondiale de la santé et l’Unicef dans un rapport. En 2010, un enfant sur 10 naissait prématuré. Tout comme en 2020. C’est même la première cause de décès chez les enfants de moins de 5 ans.

Comment limiter l’exposition ? La tâche est loin d’être aisée. Plus de 10 000 substances composent les produits en plastique. Beaucoup ont des propriétés de perturbateurs endocriniens, mais on ne les connaît pas toutes. Sans compter que « certains métabolites oxydés des plastifiants ont montré des effets perturbateurs endocriniens alors que le plastifiant d’origine ne l’est pas », note la spécialiste Valérie Sautou. En d’autres termes, ce n’est qu’une fois transformés au sein de l’organisme que certains types de plastiques commencent à réagir avec le système hormonal. Difficile, donc, de prévoir quels plastiques seront délétères pour l’organisme.

Aujourd’hui, les perturbateurs endocriniens sont partout dans notre environnement. On les mange, on les inhale, on les touche, du bisphénol A présents dans les plastiques alimentaires aux phtalates dans les cosmétiques contenant des microplastiques, en passant par l’alimentation ultratransformée qui transite dans de nombreux tuyaux en plastique... Sans oublier le plomb de nos vieilles peintures, ou les résidus de pesticides sur les fruits et légumes, eux aussi perturbateurs endocriniens.

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