Les états généraux de l’alimentation donnent une large place à l’agro-industrie

Durée de lecture : 6 minutes
Agriculture AlimentationL’industrie alimentaire et la grande distribution sont largement représentées à la présidence des ateliers des états généraux de l’alimentation, au détriment des écologistes et des paysans bio ou petits.
À quoi ça sert ? Comment ça fonctionne ? Pourquoi certains sont invités et pas d’autres ? Où le gouvernement veut-il vraiment aller ? En quoi cela va-t-il changer l’agriculture et l’alimentation en France ?
Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert a donné le coup d’envoi des états généraux de l’alimentation lundi 28 août, et les discussions ont commencé depuis mardi. Deux chantiers, quatorze ateliers, des centaines d’acteurs invités à s’exprimer en réunion, déjà de nombreuses heures de débat, des milliers de contributions en ligne : les chiffres donnent le tournis.
Le sentiment de flottement que Reporterre vous décrivait déjà en juillet, lui, semble persister.
Le gouvernement est-il trop pressé ? Il veut tout boucler d’ici fin novembre, soit en seulement quatre mois. La première partie des débats doit même se conclure début octobre, afin de permettre au gouvernement de prendre des mesures avant le début des négociations annuelles entre grande distribution et agro-alimentaire. « On se demande du coup si on est là pour participer à un prémâchage des négociations sur les marges ou à un débat sociétal plus large sur quelle alimentation et quelle agriculture nous voulons », dit Cyrielle Denharthig, en charge de l’agriculture au sein de l’association Réseau action climat.
Durant l’été, les informations sont tombées au compte-goutte. D’abord les intitulés des quatorze ateliers répartis entre deux chantiers. Titre du premier : « La création et la répartition de la valeur ». Il est divisé en sept chantiers autour de thématiques telles que « répondre aux attentes des consommateurs », « développer les initiatives locales », mais aussi « développer la bio-économie », « conquérir de nouvelles parts de marché », ou encore « adapter la production agricole aux besoins des différents marchés ».
« Tout cela montre que le gouvernement souhaite une agriculture performante d’un point de vue économique, mais pas social ou environnemental », estime Christophe Noisette, de l’association Inf’OGM. « Quant aux choix des présidents d’ateliers, ils sont tout aussi symboliques ». Le militant a épluché les CV des 20 présidents (sur 14 ateliers, certains étant en co-présidence).
Liste des présidences des ateliers.
Ainsi, le PDG de Système U Serge Papin co-préside avec le directeur général de « Produits Frais Danone » l’atelier intitulé « Rendre les prix d’achat des produits agricoles plus rémunérateurs pour les agriculteurs ». Le groupe Avril, possédant des marques telles Lesieur, Matines, mais aussi producteur de l’agrocarburant Diester (pour en savoir plus, lisez l’enquête de Reporterre), emporte deux présidences de groupe avec son directeur général délégué Yves Delaine et un de ses vice-présidents Sébastien Windsor. À noter que ce dernier est présenté uniquement comme président de Chambre d’agriculture dans le communiqué du ministère…
On peut aussi remarquer la présence du président d’Axéréal, Jean-François Loiseau. Première coopérative céréalière en France, elle est présente tout au long de la chaîne de production alimentaire : semences, production, commerce international du grain, agroalimentaire.
« La présence de l’agro-industrie est très forte, regrette également Cyrielle Denhartigh. Surtout que l’on n’a pas très bien cerné le rôle de ces présidences : soit on place quelqu’un ayant une vue d’ensemble mais n’étant pas un acteur directement impliqué pour faciliter les discussions, soit on choisi des personnes parties prenantes mais on équilibre en mettant des co-présidences. »
Les présidents d’atelier contactés par Reporterre, de leur côté, tempèrent. « Notre rôle est d’abord de permettre l’expression de l’ensemble des parties prenantes et de dégager des propositions », explique Dominique Potier, agriculteur bio et député PS de Meurthe-et-Moselle, à la tête de l’atelier sur la « transition écologique et solidaire de notre agriculture ». François-Michel Lambert, député LREM des Bouches-du-Rhône, a dirigé les premiers débats sur les initiatives locales mardi, avec entre quarante et cinquante participants autour de la table. « Ce qui est important, c’est que même les points de divergence et les opinions minoritaires seront mentionnés, stipulés, et pourront être pris en compte », rassure-t-il. « Ça n’avance jamais assez vite, mais ça avance », poursuit-il.
Le président de l’association de consommateurs CLCV, un des deux seuls associatifs ayant hérité d’une présidence d’atelier, poursuit dans le même sens : « Je ne fais pas de procès d’intention a priori. Le président a prévu une prise de parole sur la première phase d’ateliers à la mi-octobre, nous verrons à ce moment-là si les états généraux sont utiles. »
« On doit se battre pour obtenir les informations »
En attendant, les ONG environnementales participantes tentent de se faire entendre. « On doit se battre pour obtenir les informations et se procurer les documents, raconte Laure Ducos, de Greenpeace. On a appris mardi à 9h15 qu’on était invité à l’atelier se tenant ce jour-là. Les arbitrages pour décider qui était invité aux ateliers ont été faits dans une totale opacité. On a dû râler pour se faire inviter à certains ateliers où les ONG n’avaient aucun représentant. Tout semble fait dans la précipitation. »
Là encore, quand on regarde la liste des personnes invitées – entre 50 et 60 pour chaque atelier -, « les mêmes secteurs sont sur-représentés », constate la chargée de campagne. « J’ai pu consulter les compositions de la moitié des ateliers, et à chaque fois les seuls ayant droit à plus d’un représentant sont l’ANIA [association nationale de l’industrie agroalimentaire] et la FNSEA [syndicat agricole majoritaire]... »
Enfin, si les conditions du débat posent question, sa finalité également. Chaque atelier doit produire une série de propositions pouvant être mises en place dans un délai assez court par le gouvernement. « Pour ce qui fait consensus, le gouvernement a indiqué qu’il le mettrait en œuvre. Mais pour ce qui fait divergence ?, s’interroge Laure Ducos. Comment le gouvernement va-t-il arbitrer ? » La plateforme d’une cinquantaine d’ONG ayant décidé de travailler ensemble pour ces états généraux demande donc une seconde phase de négociations à un niveau politique.
Des choix politiques dont la militante a déjà globalement une idée : « Stéphane Travert et Emmanuel Macron l’ont dit dans leurs discours. Ils ne veulent pas un changement de modèle, mais que les modèles cohabitent. C’est cohérent avec la démarche de ces états généraux. »