Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Agriculture

Les états généraux de l’alimentation placent l’écologie au second plan

Les états généraux de l’alimentation sont lancés par le gouvernement ce jeudi 20 juillet. Mais imaginés par Nicolas Hulot pour réconcilier agriculture et environnement, ils sont centrés sur les questions agricoles traditionnelles.

Allocution inaugurale d’Edouard Philippe, prises de parole de quatre ministres dans le prestigieux centre de conférences de Bercy devant près de 400 invités, discours de clôture d’Emmanuel Macron... la journée de lancement des états généraux de l’alimentation (EGalim pour les intimes), ce jeudi 20 juillet, aura tout d’une grande messe... un poil brouillonne. Ainsi, jusqu’à 17h mercredi 19 juillet, le programme ne semblait pas finalisé, la page dédiée du site du ministère de l’Agriculture indiquant : « Retrouvez prochainement dans cette rubrique le programme de la journée de lancement ».

Une opacité confirmée par Christophe Noisette, de l’association Inf’OGM : « J’ai appelé les services du ministère en début de semaine, impossible d’avoir un calendrier ou une liste claire des ateliers prévus. Impossible de savoir comment s’impliquer, à quelques jours du démarrage. » Tout a été bouclé très rapidement, officiellement afin d’avoir un rendu avant la fin de l’année, pour les négociations commerciales entre producteurs et grande distribution. Mais lancer un débat d’une telle importance en plein été, période très chargée pour les paysans, et où la plupart des associations se mettent en pause, est-ce une bonne idée ? « On nous explique qu’il faut aller vite car c’est un sujet prioritaire, grince Christophe Noisette. Mais on a surtout l’impression qu’il s’agit de profiter des fameux cent jours de grâce présidentielle pour faire un coup de communication et frapper les esprits ! »

Malgré ce flou, voici quelques éléments que Reporterre a pu glaner sur ces états généraux :

  • la journée du jeudi 20 juillet donne le coup de départ d’un processus qui devrait durer jusqu’à décembre.
  • 14 ateliers thématiques devraient se dérouler de fin août à mi-novembre, réunissant des agriculteurs, des industriels, des distributeurs, des ONG et des associations de consommateurs, autour de deux thèmes : la création et la répartition de la valeur, et la promotion d’une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous.
  • En parallèle, une consultation publique en ligne devrait s’ouvrir dès ce jeudi et jusqu’à la fin des états généraux, avec des questions renouvelées au fil des semaines.

« À ce stade, nous avons encore beaucoup d’interrogations quant au format et au contenu des ateliers, dit Cyrielle Denhartigh, chargée des questions agricoles au Réseau action climat (RAC). À quoi vont servir ces états généraux, à quoi vont-ils donner lieu ? Comment faire pour que la consultation publique permette une participation large des citoyens ? Quand va-t-on parler de santé environnementale, d’adaptation au changement climatique ? » Avec une quarantaine d’ONG, le RAC a publié mercredi 19 juillet une lettre demandant au président de préciser le déroulement et la finalité des états généraux, « afin de garantir leur ambition, leur succès et la mobilisation des citoyens. »

D’après Christophe Noisette, l’urgence et l’imprécision qui entourent cet événement « tiennent à des désaccords au sein du gouvernement ». Initialement poussée par Nicolas Hulot, l’idée d’un Grenelle de l’alimentation a ensuite été reprise par Emmanuel Macron dans son programme de campagne. « Pour Hulot comme pour d’autres ONG qui portaient le même projet, il s’agissait de recréer un lien, un dialogue entre les mangeurs et ceux qui nous nourrissent, afin d’impulser une transition écologique de notre modèle agricole », précise Cyrielle Denhartigh. Dans sa feuille de route transmise au Premier ministre le 15 juin dernier, Hulot parle ainsi d’un « enjeu de civilisation ».

Le site du ministère de la Transition écologique ne parle pas des états généraux de l’alimentation

Mais les tensions entre le ministère de l’Agriculture et celui de la Transition écologique - censés co-piloter le processus - sont vite devenues palpables, notamment sur la question des objectifs. Un bras de fer remporté par Stéphane Travert, finalement chargé de l’organisation de l’événement. Bien que Nicolas Hulot ait insisté sur son intention de collaborer et son « plaisir de travailler ensemble » avec son collègue de l’Agriculture, le site de son ministère n’affiche plus aucune information sur les Etats généraux : ce jeudi 20 juillet, il y passera rapidement en fin de journée afin d’inaugurer un atelier sobrement intitulé « Quelle promotion d’une agriculture durable pour faciliter la transition écologique ? »

L’agenda de Nicolas Hulot le jour de lancement des états généraux de l’alimentation

Malgré les couacs, ONG et syndicats saluent unanimement cette initiative impulsée au plus haut niveau de l’Etat, partagés entre espoir et vigilance. « Il s’agit d’une occasion en or de transformer notre modèle agricole, juge Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne. Nous en attendons beaucoup, notamment sur le droit au revenu paysan, mais attention à prendre le temps, pour ne pas faire ça n’importe comment. » Même son de cloche du côté de France Nature Environnement : « C’est l’opportunité d’un changement de nos modèles de production et de consommation, pour généraliser la transition agroécologique de nos territoires, insiste le président de l’association Michel Dubromel, dans un communiqué. Pour cela, nous serons particulièrement attentifs à ce que tous les sujets, même ceux qui font débat - pesticides, perturbateur endocriniens - soient abordés ».

Du côté de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), sa présidente Christiane Lambert se dit confiante, et parle d’un « contact productif avec le président de la République » au sujet de ces états généraux. Le syndicat agricole majoritaire portera les questions du revenu des agriculteurs et des relations commerciales, notamment lors des ateliers consacrés à la réparation de la valeur, à la fin du mois d’août. Les participants plancheront alors sur la manière de rendre les prix d’achat des produits agricoles plus rémunérateurs, d’adapter la production agricole aux besoins des marchés et d’améliorer les relations commerciales et contractuelles entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. « Attention, cette phase ne doit pas virer à un huis-clos de la filière agroalimentaire, car ces thématiques touchent tous les citoyens », prévient Laurent Pinatel.

Cyrielle Denhartigh s’inquiète quant à elle de la dimension très économique des débats prévus. « Les ateliers sont très orientés sur les attentes des marchés ou des consommateurs, mais nombre de sujets tabous ne sont pas clairement abordés pour le moment », explique-t-elle. Consommation de viande, OGM, pesticides... autant de mots absents du programme. « Le but, c’est quand même de “réconcilier environnement et agriculture”, et de faire en sorte que l’objectif de division par deux d’ici 2050 des émissions de gaz à effet de serre liées à l’agriculture soit atteint », rappelle la spécialiste.

Stéphane Travert (à gauche), ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, et Nicolas Hulot (à sa gauche), ministre de la Transition écologique et solidaire, en visite du site de l’Inra Versailles, le 10 juillet 2017.

Et pour ce faire, il faudra sortir de la communication et du consensuel. « Pour être efficace, il faudra faire des choix, car on ne peut pas faire plaisir à tout le monde et créer l’illusion d’une société sans tension », martèle Inf’OGM dans sa « lettre aux mangeurs ».

« Les solutions techniques pour une transition écologique de l’agriculture, on les connaît, enchérit Cyrielle Denhartigh. Ce qui manque, c’est une volonté politique claire, qui se traduise dans des financements, dans des choix pour l’enseignement agricole, et sur la Politique agricole commune. » Les ONG prônent une Stratégie nationale agricole et alimentaire à horizon 2050, la Confédération paysanne espère un texte législatif, transcrivant dans la loi les principales décisions. Sinon, la grande messe de ce jeudi pourrait bien accoucher d’une souris.


Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende