Sédentaires et s’alimentant mal, les Français grossissent

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Santé AlimentationAlors que les états généraux de l’alimentation seront inaugurés le 20 juillet, l’Agence nationale de sécurité de l’alimentation publie une étude sur les habitudes alimentaires des Français. Entre consommation accrue d’aliments transformés et baisse de l’activité physique, la situation se détériore. Surtout pour les pauvres.
Comment les Français s’alimentent-ils ? De plus en plus mal. C’est la conclusion de la dernière étude sur les habitudes alimentaires des Français menée par l’Anses (Agence nationale de sécurité de l’alimentation) et publiée le 12 juillet. En résumé, nous autres, Français, accordons une place de plus en plus importante à la nourriture très transformée ; nous compensons de plus en plus avec des compléments alimentaires ; nous consommons trop de sel et pas assez de fibres ; et nous ne dépensons pas toutes les calories ingurgitées : le niveau d’activité physique baisse quand celui de la sédentarité augmente. Le résultat se constate du côté de la santé : l’étude note que la moitié des adultes sont en surpoids, voire obèses.
Tels sont les principaux résultats de la troisième étude individuelle nationale des consommations alimentaires (dite « Inca 3 »), que l’Anses mène tous les sept ans. Pour ce faire, l’agence a demandé à un échantillon représentatif de 5.800 personnes, dont l’âge va de zéro mois à 79 ans, de noter pendant trois jours tirés au sort exactement ce qu’ils mangeaient (les parents le faisaient pour leurs enfants). Des enquêteurs sont ensuite venus au domicile des sondés afin de compléter les données.
On apprend donc que les adultes (18-79 ans) consomment en moyenne 2,9 kg d’aliments par jour, boissons incluses. Chez les adultes, plus de la moitié de ce poids vient des boissons, puis des fruits et légumes (environ 16 % du poids), suivis par les produits transformés salés (« autres », dans la classification de l’Anses), type pizzas et sandwichs qui représentent près de 15 % de l’apport. Les produits laitiers, viandes, œufs et poissons, et les produits céréaliers représentent enfin chacun à peu près 5 %.
« Il faut distinguer les aliments transformés des aliments ultratransformés »
Ces aliments sont souvent réassemblés, puisque l’Anses observe que la consommation d’aliments transformés a augmenté depuis sa dernière étude (sans préciser de combien, car les méthodes ont évolué dans les sept années entre les deux études). Surtout, l’agence a tenté de distinguer quelle était la part du « fait maison » et de « l’industriel » parmi ces aliments transformés. Chez les enfants de 0 à 17 ans, « l’industriel » représente 68 % des aliments transformés (contre 21 % pour le fait maison). Chez les adultes, cette proportion est moindre : la moitié est d’origine « industrielle » et un tiers est du « fait maison ». Des distinctions sont aussi faites par tranche d’âge au sein des adultes. Et l’effet générationnel est saisissant : plus on est vieux, moins on mange d’aliments d’origine industrielle.
Des aliments qui ne semblent pas satisfaisants du point de vue nutritionnel, puisque l’Anses observe que les Français manquent de fibres, et avalent trop de sel. Ce dernier est d’ailleurs bien apporté par les aliments transformés puisque l’Anses note que « les principaux aliments contributeurs sont les pains et les produits de panification sèche, les sandwichs, les pizzas et pâtisseries salées, les condiments et sauces, les soupes et les charcuteries ». Et l’agence d’inviter les « secteurs professionnels concernés » à amplifier leurs efforts.
D’ailleurs, pour pallier ces carences et excès nutritionnels, les Français ont recours à de plus en plus de compléments alimentaires. Depuis la dernière étude, il y a sept ans, les amateurs de pilules en tous genres sont passés de 12 % à 19 % chez les enfants, et 20 % à 29 % chez les adultes. « Leur consommation ne doit pas se substituer à une alimentation équilibrée et diversifiée », avertit l’institution.

Une autre donnée a attiré l’attention de Reporterre : « Le statut pondéral et le niveau d’activité physique des Français restent inadaptés », écrit poliment l’Anses. Chez les 0-17 ans, 13 % sont en surpoids et 4 % obèses. Chez les adultes, on passe à 34 % de personnes en surpoids et 17 % d’obèses. L’addition de ces deux derniers chiffres aboutit à 51 %, plus de la moitié des 18-79 ans. Selon l’étude, la faute est au manque d’activité physique, mais aussi au phénomène croissant de la « sédentarité ». C’est, en gros, le temps passé assis devant un écran (situation dans laquelle vous êtes probablement pendant que vous lisez cet article !). « En sept ans, le temps quotidien passé devant un écran, hors temps de travail, a augmenté de 20 minutes en moyenne chez les enfants et d’1 h 20 chez les adultes », note encore le résumé de l’Anses. Plus de 80 % des adultes ont aujourd’hui un comportement que l’agence considère comme « sédentaire ».
Mais, le fait que l’on ne bouge pas assez n’est pas la seule explication au surpoids, estime le chercheur en alimentation préventive et holistique Anthony Fardet, auteur d’un ouvrage sur les aliments « ultratransformés ». « Il faut d’abord distinguer les aliments transformés des aliments ultratransformés, dit-il en préambule. Dans les premiers, on peut reconnaître les aliments d’origine. Dans les seconds, il y a une longue liste d’ingrédients et/ou d’additifs utilisés seulement par les industriels et bien souvent on ne peut plus reconnaître les aliments d’origine. » Ainsi, un jus de plusieurs fruits fraîchement pressés est un aliment peu transformé, alors qu’un nectar d’orange contenant conservateur et sucres ajoutés est un fruit ultratransformé. Idem entre une pizza maison dont on a fait la pâte et une pizza surgelée contenant divers ingrédients et/ou additifs industriels. « Les produits ultratransformés sont riches en énergie, peu rassasiants, souvent enrichis en sel et en gras et apportent en majorité des sucres rapides. Des études ont prouvé qu’il y avait un lien entre augmentation du surpoids et de l’obésité, et consommation de ce type d’aliments », indique le chercheur. Ils pourraient aussi aller avec la hausse de la consommation de compléments alimentaires. « Les gens compensent avec ces compléments les défauts des aliments ultratransformés qui sont souvent raffinés, pauvres en minéraux et vitamines, note Anthony Fardet. En gros, en calculant d’après les groupes alimentaires définis dans l’étude de l’Anses Inca 3, nous consommons environ 25 à 30 % d’aliments ultratransformés et de produits céréaliers raffinés par jour (environ 35 % pour les adolescents de 11 à 17 ans). Je recommande de ne pas dépasser 15 %. »
Une grande disparité selon l’âge, le sexe, le niveau socioéconomique
Cependant, certaines tendances vont dans le bon sens. La consommation de produits bio augmente. Selon l’étude, « un peu moins de 40 % des enfants de 3 à 17 ans et des adultes de 18 à 79 ans déclarent avoir consommé des aliments issus de l’agriculture biologique au cours des 12 mois précédant l’enquête, environ un quart d’entre eux ayant une consommation régulière et variée de produits biologiques ». Or la consommation de produits bio, est, d’après une enquête relayée par Reporterre, liée à un moindre risque de surpoids.
Les Français consomment aussi, pour les trois quarts, au moins une fois par mois des aliments issus de leur propre production (potager, élevage, cueillette, pêche, chasse, etc.). Ces denrées ne passent pas par les filtres du contrôle sanitaire et peuvent donc présenter des dangers, souligne l’Anses, mais des qualités nutritionnelles.

Les chiffres de l’étude Inca 3 cachent une grande disparité selon l’âge, comme nous l’avons déjà souligné, selon le sexe, mais également le niveau socioéconomique. Le résultat n’est pas très surprenant : les pauvres mangent encore plus mal que les autres. Plus le niveau d’études baisse, plus la consommation de sodas et de boissons sucrées augmente, et celle de fruits frais diminue. À l’inverse, les personnes les plus âgées et ayant les niveaux d’éducation les plus hauts sont celles qui mangent le plus de bio. L’Anses recommande donc que les conseils nutritionnels s’adaptent à ces pratiques et populations très différentes.
En plus de ces premiers résultats et recommandations, l’étude va désormais faire sa vie chez les scientifiques et les politiques. L’Anses va, elle, s’attaquer d’ici à quelques années au calcul de notre exposition à divers contaminants de l’alimentation, microbes, bactéries, virus, d’abord, mais aussi, peut-être, pesticides et perturbateurs endocriniens. « Des études existent déjà, mais nous allons les actualiser, assure à Reporterre Charlotte Grastilleur, directrice adjointe des risques à l’Anses. Sans doute sera-t-on amenés à abaisser des limites maximales auxquelles le consommateur peut être exposé, notamment pour les substances perturbatrices endocriniennes. Ou également à prendre en compte le fait que certaines substances peuvent avoir des effets plus forts à faible dose. »
Par ailleurs, les données sont aussi à disposition de tous les scientifiques pour leurs recherches. Les pouvoirs publics, eux, vont pouvoir s’en inspirer, notamment pour définir les prochaines recommandations du « plan national nutrition santé ».
De son côté, le chercheur en alimentation Anthony Fardet plaide plutôt pour une évolution de la classification des aliments : « Il y a un urgent besoin de mettre en avant simplement deux critères : le degré de transformation des aliments, et la distinction entre calories d’origine végétale et animale. Si l’on apprend aux gens à reconnaître et diminuer les aliments ultratransformés, cela peut déjà améliorer beaucoup de choses, d’une façon simple et rapide sans avoir à se préoccuper de la composition nutritionnelle. »