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29 novembre 2016 / Anthony FardetComposés d’ingrédients recombinés au point qu’on ne reconnaît plus l’aliment d’origine, les produits ultra-transformés sont pauvres en micronutriments et participent au développement de maladies chroniques. L’auteur de cette tribune s’alarme que ces produits soient aujourd’hui consommés massivement, notamment par les classes défavorisées.
Anthony Fardet est chercheur en alimentation préventive et holistique.
Les produits ultra-transformés ont envahi nos rayons de supermarché, les fast-foods, les distributeurs et autres points chauds de restauration dans la rue. On estime même qu’ils pourraient constituer plus de 80 % des aliments emballés en supermarchés [1]. On peut par exemple citer les barres chocolatées, les desserts lactés, les céréales du petit-déjeuner pour enfants, les jus de fruits reconstitués, les pizzas préparées, etc. S’il faut reconnaître que ces produits jouent un rôle social et peuvent trouver une utilité dans certaines situations de la vie courante (repas sur le pouce, confiseries, repas festifs…), ils posent un sérieux problème de santé publique quand ils deviennent la base de notre alimentation.
Il est difficile de dire exactement quand les produits ultra-transformés sont apparus dans les rayons, probablement leur apparition massive date des années 1980. Ils n’ont été définis précisément que très récemment par la communauté scientifique. Les épidémiologistes de l’université de Sao Paulo ont notamment retenu plusieurs critères [2] :
Bref, pour nous, consommateurs il suffit de connaître les règles suivantes pour reconnaître un produit ultra-transformé :
Par exemple, les barres chocolatées des distributeurs automatiques sont des aliments ultra-transformés : il n’existe pas d’élevage ou de culture de Mars ! Pareils pour les sodas. Mais même un yaourt nature contenant des colorants ou du pain avec des émulsifiants peuvent être considérés comme des aliments ultra-transformés, selon ces chercheurs.
Même s’ils sont décriés et en partie responsables de l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques lorsque consommés en trop grande quantité, ils ont une place utile dans l’offre alimentaire. On en revient toujours au sacro-saint adage : « Le poison est dans la dose. »
Ces aliments peuvent jouer un rôle dans des marchés de niche, comme les friandises, les pâtisseries, les aliments à destination clinique, les rations de survie ou pour l’effort (armée, sport…) ou, pourquoi pas, l’alimentation dans l’espace, autant de situations, sportives, festives, pathologiques…, où les aliments ultra-transformés peuvent vraiment être utiles. Le problème, c’est qu’aujourd’hui ils ne sont pas des produits de niche mais de consommation courante au point de constituer plus de 50 % de l’apport calorique dans de nombreux pays, surtout dans les grandes villes.
Or, ils sont souvent plus pauvres en micronutriments protecteurs et riches en énergie (calories) provenant des sucres, matières grasses (ajoutées) notamment. C’est pourquoi certains scientifiques parlent de calories « vides », donc vides de micronutriments !
Une étude brésilienne [4] a montré qu’au-delà de 13 % de calories quotidiennes provenant des produits ultra-transformés, le risque d’obésité commence à augmenter significativement. Il n’est donc pas exagéré de conseiller de ne pas dépasser 1 calorie sur 6 en provenance des produits ultra-transformés, et non 1 sur deux comme cela tend à devenir le cas dans les pays occidentalisés, notamment anglo-saxons, la France semblant mieux résister que d’autres pays européens — sans doute en raison de sa tradition culinaire.
En outre, des études récentes [5] montrent très clairement que les produits ultra-transformés sont moins rassasiants et plus hyperglycémiants [6] que les produits pas, peu ou normalement transformés. Pourquoi ? Car leur texture est différente, souvent plus molle ou moins dure et qu’ils sont consommés en solitaire, deux conditions qui sont associées à moins de mastication ; et qui dit moins de mastication dit un temps trop court pour bien stimuler les hormones de satiété [7].
On l’aura compris, il ne s’agit bien évidemment pas de pointer du doigt la transformation mais plutôt l’ultra-transformation excessive des aliments complexes d’origine. Les aliments ultra-transformés ont le droit d’exister, ne serait-ce que parce qu’ils participent du besoin de créativité de l’homme ; mais le problème, c’est qu’aujourd’hui, comme ils sont vendus en masse, ils sont peu chers à produire, peu chers à la vente et sont donc davantage consommés par les classes défavorisées. Pas étonnant alors qu’elles soient davantage touchées par l’obésité !
Les produits ultra-transformés sont le symbole de la pensée réductionniste occidentale qui tend à fractionner la réalité en entités isolées pour mieux l’étudier. Si les aliments ne sont qu’une somme de nutriments alors pourquoi ne pas fractionner les aliments puis recombiner les ingrédients dans des combinaisons infinies ? C’est pourtant oublier que le tout est supérieur à la somme des parties (2 > 1+1, ou synergie). Revenir à une vision plus holistique, c’est donc moins fractionner l’aliment et lui appliquer des traitements technologiques moins drastiques. Pourrait-on alors parler de « respect de l’aliment » ou de « bien-être de l’aliment » ? À trop vouloir détruire l’harmonie naturelle des choses de la nature on finit par détruire notre propre fonctionnement harmonique, ce que l’on appelle la santé !
[1] Luiten, C. M., I. H. Steenhuis, et al. (2016). « Ultra-processed foods have the worst nutrient profile, yet they are the most available packaged products in a sample of New Zealand supermarkets », Public Health Nutr 19(3) : 530-538.
[2] Monteiro, C., G. Cannon, et al. (2016). « The star shines bright » World Nutrition 7(1-3) : 28-38.
[3] La palatabilité est la caractéristique de la texture des aliments agréables au palais ; elle intervient dans le plaisir alimentaire. L’hyper-palatibilité est donc le fait d’enrichir l’aliment en sucre, sel et gras pour accentuer encore plus le plaisir.
[4] Louzada, M.L., Baraldi, L.G., Steele, E.M. et al. « Consumption of ultra-processed foods and obesity in Brazilian adolescents and adults », 2015, Prev Med 81:9-15.
[5] Fardet, A. « Minimally processed foods are more satiating and less hyperglycemic than ultra-processed foods : a preliminary study with 98 ready-to-eat foods », 2016, Food & Function 7:2338–46.
[6] Qui augmente le niveau de glucose sanguin (ou glycémie).
[7] Voir aussi pour plus de détails : Chambers, L. « Food texture and the satiety cascade », 2016, Nutrition Bulletin 41:277-82.
Source : Courriel à Reporterre
- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
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