Etats généraux de l’alimentation : un besoin vital de parler

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Agriculture AlimentationLes états généraux de l’alimentation ont été lancés jeudi 20 juillet à Paris. La journée a été animée de vifs débats, parfois rugueux, expression du profond malaise agricole. Récit.
- Paris, reportage
L’affiche s’annonçait belle, mais l’équipe de choc censée présider au lancement des états généraux de l’alimentation s’est vue privée de ses poids lourds. Jeudi matin 20 juillet, avant même l’ouverture de la grande conférence à Bercy, Emmanuel Macron, Bruno Le Maire et Agnès Buzyn ont annoncé leur absence. L’une avait conseil des ministres de la Santé à Bruxelles, l’autre endossait son costume de chef des armées à Istres. Et quand à M. Le Maire, on ne sait pas...
Dans la salle comble du ministère de l’Economie, cette annonce sème le doute. « Je me sens circonspecte, lance Audrey Pulvar, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme. L’ambition est-elle déjà retombée ? »
A la tribune, enthousiaste et énergique, Stéphane Travert redouble d’efforts pour effacer ce raté. « C’est toujours une priorité du président, il n’y a donc pas de petites ambitions, insiste-t-il. Le gouvernement est engagé collectivement pour la réussite de ces états généraux. »

Les ateliers commencent donc, dans une ambiance studieuse. Après un retour sur la dernière étude nationale sur les comportements alimentaires, la directrice générale de France Agrimer, Christine Avelin, détaille la situation économique des filières alimentaires, à grand renfort de graphiques. Dès la fin des exposés, l’assemblée frémit d’excitation, les mains se lèvent par dizaine. Tous veulent prendre la parole. Agriculteurs, industriels, enseignants de la filière agricole, gérants de la grande distribution, experts en tous genre, militants écologistes, restaurateurs, associations de consommateurs, vétérinaires, députés, eurodéputés, élus locaux... « Vous avez tous répondu présents, et c’est la clé de la réussite », se réjouit le ministre de l’Agriculture.

Une diversité des acteurs qui masque des rapports de force déjà présents. Impeccables dans leur costard-cravate, les représentants des industries agro-alimentaires, de la grande distribution et des grandes institutions (Conseil national de l’alimentation, Inra) occupent les premiers rangs, aux côtés des délégués de la FNSEA. ONG et associations se serrent derrière, attentives à marteler leur message : « Nous voulons être associés aux débats et aux décisions, sinon à quoi vont servir ces états généraux ? », s’interroge Jean-François Julliard, de Greenpeace.
A 13h45, l’assemblée affamée se dissout autour d’un buffet... ni bio, ni local, ni végétarien. Puis, rassasiés par les salades de quinoa et les choux à la crème, les participants reprennent place pour aborder le délicat sujet des relations commerciales avec la grande distribution.
Si un consensus émerge rapidement quant à l’essoufflement de notre modèle agricole, et la situation économique insupportable des paysans - un agriculteur sur deux vivant avec moins de 350 euros par mois -, des tensions apparaissent autour des responsabilités. « Les paysans crèvent, nombre de citoyens n’ont pas les moyens de se payer de la nourriture de bonne qualité, et pendant ce temps, l’industrie agro-alimentaire enregistre des profits indécents », tonne Laurent Pinatel, de la Confédération paysanne. Faux, répondent en coeur l’Ania (Association des industries agro-alimentaires) et la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) : « Nos marges diminuent sans cesse, ce qui nous freine les investissements et les innovations », explique la directrice de Danone.
Grande distribution, industriels et FNSEA se sont d’ailleurs déjà entendus sur un diagnostic et des pistes de solutions : ils proposent à tous les invités un petit livret sobrement intitulé Pour une approche économique des états généraux de l’alimentation. « Modernisation de l’appareil productif », renforcement de l’attractivité de la France en s’attaquant « aux questions de fiscalité et de droit du travail qui nuisent à notre compétitivité ». Mais surtout, Christine Lambert, présidente de la FNSEA, le rappelle, « il faut un sursaut collectif, et notamment des consommateurs », car « l’alimentation a un prix », et il faut « enrayer la spirale déflationniste ».
A la sortie, Sodeh Hamzehlouyan, citoyenne engagée dans le réseau des Amap, bouillonne : « On est en train de nous dire que c’est aux citoyens de payer la transition de notre modèle agricole. L’argument de la qualité n’est qu’un prétexte, ça fait des années qu’on nous sert de la malbouffe, des pesticides, et maintenant, c’est encore nous qui devons mettre la main au porte-monnaie ! »
Audrey Pulvar, directrice de la Fondation Nicolas Hulot, s’inquiète quant à elle de l’absence d’engagements concrets :
- Ecouter Audrey Pulvar :
Le dernier atelier de l’après-midi, consacré à la transition écologique, s’ouvre sur un discours attendu de Nicolas Hulot. Le ministre de la Transition écologique en appelle à l’intelligence collective, persuadé que le moment est favorable pour un changement de modèle : « Nous pouvons sortir de cet horizon un peu plat et dogmatique du toujours plus. »
- Ecouter Nicolas Hulot :

Des mots jusqu’alors absents des débats apparaissent alors, tels pesticides, transgénèse, artificialisation des sols. Les débats s’intensifient, les prises de position se radicalisent. Le représentant des industries semencières assène qu’il faut utiliser la mutagénèse dirigée pour trouver des solutions aux impacts du changement climatique. Christiane Lambert en rajoute une couche, pointant que « le vert, c’est plus cher ». Le député Dominique Poitier glisse que « les terres agricoles sont en train de devenir des supermarchés pour les spéculateurs fonciers ». Un membre de l’Union des industries des fertilisants agricoles exhorte les participants à « l’écouter », car « nous avons des solutions à ces problèmes ».
L’animateur de séance paraît dépassé. Et quand Stéphane Travert reprend la parole pour clôturer la journée, il observe que « la parole a été libre, un peu rugueuse, et les attentes visiblement immenses ». Rendez-vous fin août pour le début des ateliers de travail, dédiés dans un premier temps à la question : « Comment créer de la valeur ? »
