« Les fermes collectives répondent à la crise de l’agriculture »

Les fermes collectives, comme la Clef des sables, en Isère, sont un modèle « très intéressant et porteur de solutions pour l’avenir ». - © Estelle Pereira / Reporterre
Les fermes collectives, comme la Clef des sables, en Isère, sont un modèle « très intéressant et porteur de solutions pour l’avenir ». - © Estelle Pereira / Reporterre
Durée de lecture : 5 minutes
Agriculture AlternativesCultiver la terre à plusieurs : tel est le pari des fermes collectives. Plus résilientes, plus attractives et plus écolos, elles sont « une solution aux enjeux agricoles du moment », selon l’autrice et agricultrice Maëla Naël.
[Série 4/4] Vous lisez le dernier article de l’enquête « L’agriculture bio dans la tourmente ».
Maëla Naël a écrit un guide des fermes collectives. Après avoir accompagné pendant quatre ans les installations agricoles en Île-de-France au sein du réseau Abiosol, elle est partie à la rencontre de groupes de paysans et paysannes à travers la France. Elle s’est depuis installée dans le Morbihan, avec d’autres. Elle vit sur une ferme de 80 hectares, qui produit du fromage de vache et de brebis, des légumes et du pain.
Reporterre — De plus en plus de paysannes et paysans s’installent à plusieurs. L’agriculture collective connaît un joli succès. Est-ce un phénomène nouveau ?
Maëla Naël — L’agriculture a toujours été collective – à l’échelle familiale, villageoise... Ce n’est que récemment qu’elle s’est individualisée, entraînant tout un lot de problèmes. Le maraîcher qui galère à tout faire tout seul, l’éleveur criblé de dettes… Le renouveau de l’agriculture collective vient répondre à ces enjeux de l’isolement, de la résilience économique, d’un équilibre travail/vie personnelle. Ce mode d’organisation suscite notamment un intérêt parmi les néopaysans, celles et ceux qui s’installent mais qui ne sont pas issus du monde agricole.
Après, tout dépend de ce qu’on nomme “ferme collective”. Les groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec) existent depuis les années 1960 pour favoriser les associations entre agriculteurs – mais dans les faits, ce sont souvent des couples ou des fratries qui travaillent ensemble. Pour moi, une ferme collective implique au moins trois personnes, pas de la même famille, avec :
- une diversité de productions – élevage, céréales, maraîchage ;
- une recherche de complémentarité entre les activités – le petit lait de la fromagerie qui nourrit un élevage de cochons par exemple ;
- et une horizontalité entre les membres.
Ces fermes de taille moyenne — quelques dizaines d’hectares — diversifiées tant par les activités que par leurs membres ne sont pas nombreuses : une centaine peut-être en France. Mais ce modèle me semble très intéressant et porteur de solutions pour l’avenir.
Aujourd’hui, beaucoup de personnes qui veulent s’installer s’imaginent maraîchers, sur de petites surfaces, en autonomie. Or des dizaines de milliers de fermes sont à reprendre à travers la France, et ce sont pour la plupart des fermes de taille moyenne, en polyculture élevage, souvent capitalisées, avec du matériel et des bâtiments qui élèvent le coût d’achat. Les fermes collectives sont une réponse à ce besoin massif de reprises. Et aussi, pour avoir un modèle agroécologique, le groupe est une solution.
Est-ce plus facile de s’installer en bio, quand on est en collectif ?
La bio demande plus de travail, plus de main-d’œuvre. Mieux vaut être plusieurs. Et il est plus facile de développer des pratiques agroécologiques sur une ferme collective. On peut penser des complémentarités, tous les “déchets” peuvent être valorisés sur place : le fumier pour les légumes, le son du blé pour les animaux…

Dans un contexte compliqué, d’un point de vue climatique et économique, pour avoir des fermes solides, il faut de la diversité dans les activités, donc avoir plusieurs ateliers portés par plusieurs personnes. En clair : ne pas avoir tous ses œufs dans le même panier. La plupart des fermes que j’ai visitées étaient en bio, même s’il existe aussi des fermes industrielles gérées par des associés.
Les fermes collectives peuvent favoriser l’installation de nouveaux paysans. Il est plus aisé de se lancer à plusieurs dans ce parcours du combattant qu’est la reprise d’une ferme. C’est un modèle attirant, car il permet d’envisager d’être agriculteur tout en ayant des week-ends, des vacances. Enfin, ce sont souvent des lieux carrefours, de rencontres et d’échanges, ce qui permet de lutter contre l’isolement en milieu rural. Bref, elles sont une solution aux enjeux agricoles du moment, même si elles ne sont pas non plus la panacée.
Quelles difficultés principales rencontrent les fermes collectives ?
Les principales difficultés touchent à l’humain : il faut pouvoir s’entendre à plusieurs ! C’est vrai surtout en amont, au moment de l’installation. Se mettre d’accord sur un lieu, sur des valeurs, sur les activités. Il y a aussi des freins plus institutionnels. Les banques prêtent difficilement à des collectifs. On manque également d’un cadre et d’outils juridiques pour encadrer l’agriculture collective.
Par exemple, ces fermes expérimentent des statuts comme les Scop et Scic, notamment pour éviter l’enrichissement individuel proportionnel au capital de la ferme, et aussi pour bénéficier du statut de salarié — et de la protection sociale qu’il permet. Sauf que ce statut n’est pas suffisamment reconnu au niveau agricole et empêche de toucher certaines aides comme la dotation jeune agriculteur – une aide importante pour les jeunes installés.

D’un point de vue économique, les fermes collectives ne s’en sortent pas trop mal. Comme il y a souvent plusieurs types de productions, elles sont plus résilientes – un coup de gel sur les vergers peut-être compensé par une bonne récolte de blé – et cela facilite la vente en direct. Les gens viennent faire toutes leurs courses à la ferme.
Quels conseils donner à celles et à ceux qui voudraient se lancer ?
Bien définir en amont qui compose le groupe, et se mettre d’accord sur la zone géographique visée pour l’installation, sur la temporalité – dans un an ou dans cinq ans – et sur les finalités du projet. L’accompagnement me semble aussi indispensable, beaucoup de structures se sont développées, qui soutiennent et suivent les groupes à travers la France.
Aux quatre coins de la France, plein d’initiatives fleurissent sur le sujet : Agricoll en Occitanie ou la coopérative Les Fermes partagées en Rhône-Alpes, pour accompagner les installations collectives, Alterfixe, en Normandie, pour faciliter la reprise des fermes laitières localement. Il y a aussi un travail de plaidoyer à mener pour que les fermes collectives soient enfin reconnues et mieux prises en compte par les pouvoirs publics.