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Énergie

Les outre-mer carburent encore au charbon et au diesel

La loi impose aux outre-mer d’avoir une énergie entièrement d’origine renouvelable en 2030. Une gageure pour des départements ultramarins qui doivent établir leur feuille de route alors qu’ils sont très dépendants des énergies fossiles et contraints par des choix d’EDF en faveur de centrales thermiques.

Souvent oubliés quand on parle de transition électrique en France, avec un débat focalisé sur le nucléaire, les outre-mer font, pourtant, face à un paradoxe. D’un côté, les superlatifs ne manquent pas pour décrire le potentiel de ces territoires isolés, présentés comme « les fers de lance de la transition écologique », selon la formule d’Annick Girardin, ministre des Outre-mer. De l’autre, ils carburent encore massivement au charbon et au diesel.

En 2017, les énergies fossiles représentent entre 77 %, et 94 % du mix électrique de La Réunion, de la Guadeloupe, de la Martinique et de Mayotte. En Guyane, la situation est plus compliquée : sur le littoral, elles ne comptent que pour 32 % de la part d’énergie produite, du fait de l’exploitation d’un barrage hydroélectrique, mais ce chiffre ne prend pas en compte les communes de l’intérieur, situées dans la forêt amazonienne. Leurs sites ne sont pas reliés au réseau et fonctionnent en majorité au diesel. D’ambitieux objectifs ont pourtant été donnés par la loi de transition énergétique de 2015. D’ici 2030, les départements d’outre-mer doivent être complètement autonomes avec 100 % de l’électricité provenant d’énergies renouvelables, et un objectif transitoire de 50 % en 2020.

Des centrales thermiques ont été renouvelées et fournissent une majorité de l’électricité, selon le choix fait par EDF

Comme en métropole, cette loi prévoit que chaque territoire ultramarin, en collaboration avec l’État, prépare une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Elles sont actuellement en cours de révision pour définir la politique énergétique des dix prochaines années et devraient être adoptées au premier semestre 2019. Le ministère des Outre-mer plaide pour qu’elles fixent un calendrier de sortie des énergies fossiles, mais Annick Girardin envoie des signes contradictoires. Elle a déclaré, en juin, avoir pris la décision de « ne plus financer dès 2030 les installations produisant de l’électricité à partir d’énergies fossiles ». Un peu tard donc pour respecter la loi.

« Les signaux ne sont pas bons, regrette Jérôme Billerey, président de la commission Régions ultramarines du Syndicat des énergies renouvelables (SER). On n’a aucune PPE aujourd’hui qui intègre réellement la loi de transition énergétique. Elles sont très largement insuffisantes en matière de volume de renouvelables. » En début d’année, le syndicat a publié un scénario pour l’autonomie énergétique en 2030 des outre-mer et de la Corse. Il estime qu’il faut multiplier les capacités à installer par quatre à sept, selon les territoires, voire jusqu’à dix pour le parc photovoltaïque de La Réunion.

Le parc éolien de Sainte-Rose, à La Réunion.

Ce n’est pas, pour l’instant, le chemin que semblent prendre les outre-mer. Au contraire, des centrales thermiques ont été renouvelées et fournissent une majorité de l’électricité, selon le choix fait par EDF. Trois centrales au diesel, d’une capacité de plus de 200 MW, ont ainsi été mises en service entre 2012 et 2014 à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique pour un coût global de 1,5 milliard d’euros. « EDF se trouve pris entre deux feux : entre le développement d’une énergie propre et l’obligation d’amortir des investissements énormes, analyse Erika Bareigts, députée PS de La Réunion et naguère ministre des Outre-mer de François Hollande. Aujourd’hui, on est en dessous de ce qui pourrait être fait. Il manque de la volonté, d’être en anticipation des besoins. »

« Cette programmation pluriannuelle de l’énergie est à la limite de la légalité, elle ne cadre pas du tout avec la loi » 

En Guyane, la première PPE prévoit la construction d’ici 2023, d’une centrale au fioul de 120 MW, couplée à 10 MW de photovoltaïque, pour 500 millions d’euros. « Cette PPE est à la limite de la légalité, elle ne cadre pas du tout avec la loi », s’insurge Jérôme Billerey. EDF considère qu’il n’y a rien de contradictoire et promeut le projet, avec l’appui de la collectivité territoriale de Guyane, qui y voit l’occasion de relancer la commande publique. Interrogé par Reporterre, le fournisseur d’électricité, en situation monopolistique en outre-mer, défend ce choix : « Les moyens de production thermiques permettent de pallier l’intermittence des énergies renouvelables et d’assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité. »

Cette vision est passéiste, selon le SER : « En travaillant intelligemment sur un mix énergétique avec de l’hydroélectricité ou de la biomasse, il n’y a plus besoin de fossile en Guyane. Aujourd’hui, on sait faire du stockage avec du photovoltaïque et de l’éolien et cela coûte moins cher que le diesel. » L’argument de la sécurité en approvisionnement continue cependant de faire mouche. Pourtant sensible aux thèmes environnementaux, Gabriel Serville, député guyanais gauche démocrate et républicaine, a, pour cette raison, donné un avis favorable au projet de centrale au diesel lorsqu’il était maire de Matoury, commune sur laquelle elle doit être installée.

Un modèle de petites structures d’énergies renouvelables 

Il raconte : « Lorsque j’ai été approché par EDF, on m’a expliqué par le menu que la centrale de Dégrad-des-Cannes était arrivée à obsolescence et qu’on ne pouvait plus la faire tourner sans courir le risque de mettre la Guyane en situation de rupture d’approvisionnement énergétique. L’autre question, c’était la fiabilité de la production d’énergies renouvelables et leur côté très aléatoire. Pour moi, c’était une question de responsabilité qu’il fallait assumer à ce moment-là. »

La centrale de Dégrad-des-Cannes, en Guyane, en 2008.

La transition électrique en outre-mer serait-elle impossible à mener ? Il reste, en tout cas, beaucoup à faire, notamment sur la question des raccordements au réseau électrique, « vétuste », selon Erika Bareigts. Autre question, celle du seuil de déconnexion des énergies intermittentes, comme le solaire ou l’éolien. Il s’agit du seuil à partir duquel le gestionnaire de réseau est autorisé à déconnecter ces installations pour assurer la sécurité de l’approvisionnement. Il a été fixé en 2008 à 30 par EDF et fait l’objet de débats. Il pourrait passer à 45 % d’ici 2023 dans certaines PPE.

Lors de la présentation de la PPE le 27 novembre, François de Rugy, ministre de la Transition écologique, a confirmé que « les centrales à charbon seront fermées d’ici 2022 ». Ce scénario de sortie des énergies fossiles n’est valable que pour les quatre sites en métropole et ne comprend pas ceux en Guadeloupe et à La Réunion. Sollicité par Reporterre, le ministère n’a pas explicité sa position pour les Outre-mer.

Enfin, lorsqu’une transition est envisagée, comme passer du charbon à la bagasse ou à la biomasse dans les centrales, elle repose sur un modèle de production à grande échelle. « À La Réunion, on n’a pas d’espace pour installer des forêts d’exploitation, cette biomasse viendrait d’ailleurs, amenée par bateau. On ne sera pas dans un cercle vertueux », souligne Erika Bareigts. Elle défend un modèle de petites structures d’énergies renouvelables, adaptées au marché local. Loin des actuelles centrales au diesel.

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