Les pêcheurs parlent : « La pêche électrique, ce n’est plus de la pêche, c’est de la destruction »

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Europe PêcheMardi 16 janvier, les eurodéputés ont massivement voté, à 402 voix contre 232, pour l’interdiction définitive de la pêche électrique. Cette technique est déjà pratiquée aux Pays-Bas par dérogation. Elle est décriée par les marins-pêcheurs du Dunkerquois, qui constatent la disparition des poissons et s’inquiètent pour leur avenir.
- Actualisation - Mardi 16 janvier 2018 à 14 h 00 - Mardi 16 janvier, les eurodéputés ont massivement voté, à 402 voix contre 232, pour l’interdiction définitive de la pêche électrique.
- Dunkerque (Nord), reportage
« Avec les gars, on est écœurés, on espère que l’autorisation de la pêche électrique ne passera pas en force. » Lundi 15 janvier, au matin, comme les autres pêcheurs du port de Dunkerque, Frédéric Drogerys, le président du comité départemental des pêches du Nord, n’est pas parti en mer. À cause de la météo capricieuse ? Pas seulement. « Plutôt parce qu’il n’y a plus de sole. » Arrimé au quai, il ne cache pas son inquiétude concernant les conséquences désastreuses de la pêche électrique sur l’économie maritime locale. Avec une délégation de six autres pêcheurs des Hauts-de-France (ports de Dunkerque, Calais et Boulogne-sur-Mer), il part dans quelques minutes à Strasbourg afin de suivre au plus près ce qui se dira et votera aujourd’hui, mardi 16 janvier, au Parlement européen lors de la séance plénière.

S’il est adopté, le texte ouvrira la porte à une extension massive de cette technique de pêche, déjà largement pratiquée sur les côtes de la mer du Nord par les pêcheurs néerlandais au nez et à la barbe des pêcheurs français plus qu’agacés par cette concurrence déloyale. D’autant que les ONG et les marins-pêcheurs accusent la pêche électrique de détériorer l’écosystème et de piller les fonds marins sans laisser aux poissons le temps de se reproduire. Difficile pour l’heure de démêler exactement le vrai du faux, faute d’études suffisamment nombreuses et sérieuses sur le sujet. Et raison de plus, selon les pêcheurs nordistes, d’en appeler à la prudence et au principe de précaution avant de statuer sur un éventuel élargissement de cette pêche. Même s’ils sont intimement persuadés que cette technique est dévastatrice : « Le Brésil a arrêté la pêche électrique ; la Chine, qui avait une flotte de 350 bateaux, l’a interdite en 2000 après dix ans de pratique en constatant qu’elle épuisait le stock, poursuit le représentant des pêcheurs dunkerquois. Les Néerlandais pêchent tout trop vite et ils attrapent jour et nuit des soles juvéniles qui n’ont même pas eu le temps de se reproduire… »
« Les Pays-Bas sont nés sur l’eau et leur flotte appartient aux banquiers et autres hommes d’affaires »
Les filets des chaluts de fond, équipés d’électrodes, envoient des décharges électriques dans les sédiments, ramenant les poissons vers le filet. En piteux état, comme le constatent régulièrement les pêcheurs nordistes qui alternent encore, eux, plie le jour et sole la nuit. « Qu’ils pratiquent leur pêche non-stop chez eux ou dans les eaux internationales mais pas ici ! » Frédéric Drogerys, 44 ans et presque trente ans de pêche derrière lui, est remonté. Il ne se laissera pas faire même si, parfois, la lassitude le gagne. « C’est une question de semaines. Pour l’instant, on survit, mais on va devoir arrêter ou partir. S’il n’y a pas de poisson début mars, c’en sera fini de la coopérative à Dunkerque. Ça fait déjà deux mois qu’on n’a pas de salaire ou qu’on gagne moins que le RSA. »

À Dunkerque, 11 fileyeurs et trois chalutiers restent de plus en plus souvent à quai : « Nous sommes entre trois et cinq par bateau, ça fait une cinquantaine de marins-pêcheurs, sans oublier les familles et les salariés de la coopérative… » Du côté des ports de Calais et de Boulogne-sur-Mer, à quelques dizaines de kilomètres de Dunkerque, la situation est la même : la mer se vide, laissant les marins en chômage technique. Les quelque 50 fileyeurs et 20 chalutiers des Hauts-de-France ne portent pas dans leur cœur ces chalutiers néerlandais qui écrasent et raflent tout sur leur passage au mépris des lois, des hommes et de l’environnement.

Dans l’attente de ce vote déterminant qui pourrait sonner le glas de leur activité, les pêcheurs du Nord peuvent compter sur le soutien de leurs élus : « Vendredi, Dominique Riquet, député européen, est venu nous écouter et nous informer, raconte Frédéric. Il a vu qu’on était bien équipés : Dunkerque a été la première criée française à pratiquer la vente à distance. » Fiers aussi de leur savoir-faire, les pêcheurs sont conscients de s’attaquer à plus puissants qu’eux : « On ne joue pas dans la même cour, c’est un peu comme un match entre le PSG et Warhem [une petite commune du Dunkerquois] », poursuit le chef de file des fileyeurs dunkerquois. « Les Pays-Bas sont nés sur l’eau et leur flotte appartient aux banquiers et autres hommes d’affaires. Tout ça, c’est une question de lobbys financiers. Les Néerlandais, ce sont des égoïstes, qui affichent une belle vitrine. Mais, même lorsqu’ils passent leurs vacances en France, ils ne font pas vivre le commerce local, observe Bernard, alias Coco. Alors que nous, tout ce qu’on demande, c’est de vivre de notre petit métier. »
« Même si on nous offrait des chalutiers équipés, on ne pratiquerait pas cette pêche »
Aucun marin-pêcheur ne renonce à se battre, même si le mal est déjà fait. « L’électrique, c’est la mort, estime Frédéric. Moi, j’ai mis mon bateau en vente, on est déjà obligé d’aller plusieurs mois par an à Dieppe car ici, il n’y a plus de poisson. Je vais essayer d’acheter un petit chalutier pour faire un petit peu de tout. J’ai mon gamin quand même… » À 19 ans, son fils aîné a malgré tout décidé de vivre de la pêche, comme son père. Roland, 81 ans, retraité depuis 30 ans, passe voir ses anciens camarades tous les jours : « La pêche électrique, c’est un vrai problème, je les avais prévenus que ça allait tout détruire. » L’an dernier, la flotte dunkerquoise a perdu quatre fileyeurs. « L’Europe finance les Néerlandais pour la pêche électrique sous prétexte que ça pollue moins, tandis qu’elle nous donne de l’argent pour des plans de sortie de flotte. Pour qu’on arrête, quoi », ironise Bernard.

En maugréant contre la météo capricieuse et la pêche qui se raréfie à cause de ces maudits chalutiers électriques, les marins-pêcheurs dunkerquois s’occupent comme ils peuvent avec leurs cordages et leurs filets : « Ça aussi, on ne le dit pas assez, mais les pêcheurs néerlandais bousillent nos filets et jusqu’ici, on n’a jamais eu gain de cause, les plaintes sans classées sans suite », s’insurge Bernard. Les Français ne seraient-ils pas jaloux de ces pêcheurs néerlandais ? « Il faut être honnête, reconnaît Bruno, autre fileyeur dunkerquois, on veut gagner notre vie quand même. Mais on n’a ni les bateaux ni les quotas pour ! » « Non, même si on nous offrait des chalutiers équipés, on ne pratiquerait pas cette pêche », répondent fièrement ses camarades. « On ne pourrait plus se regarder dans la glace et encore moins regarder ceux qu’on laisserait derrière nous, sans poisson. De toute façon, même eux [les pêcheurs néerlandais], ils se rendent compte qu’il y a de moins en moins de poissons ici aussi », poursuit Bernard.

Les quotas, tous ici préfèrent en rire… jaune : après avoir réduit celui du bar de 60 % quand les pêcheurs des Hauts-de-France espéraient une hausse, l’Europe a en revanche augmenté le quota de sole de 15 à 20 %, sauf qu’il n’y en a quasiment plus ! « Et pendant ce temps, à côté, les chalutiers néerlandais font ce qu’ils veulent, c’est écœurant. Si les eurodéputés confirment le vote en faveur de la généralisation de la pêche électrique dans l’Union, et à vrai dire, on s’y prépare, on leur fera voir notre mécontentement, prévient Frédéric Drogerys. On bloquera le port de Calais intelligemment, on unira nos forces avec les collègues de la Côte d’Opale. »

À Dunkerque, sur les quais, les pêcheurs continuent vaille que vaille à plaisanter, à travailler, à s’entraider. Fièrement. Dans l’attente d’une météo plus clémente. Qui dépendra du ciel européen.