Les secrets de la fabrication des Nuggets

Durée de lecture : 8 minutes
AlimentationQue dissimule la croûte dorée de ces bouchées de poulet prisées des enfants ? Des poulets industriels, de l’eau, et beaucoup d’additifs... Suite de notre enquête sur le nugget.
Il y a quelques jours, nous vous avons présenté une partie des secrets du nugget, un aliment devenu très populaire (lire ici le premier volet de notre enquête). Voici maintenant la suite de notre investigation, qui rentre dans l’usine à nuggets. Bon appétit ?
En amont des chaînes de fabrication, comment sont élevées les volailles à nuggets et d’où viennent-elles ? En France, le poulet est la viande la plus consommée et la demande ne fait qu’augmenter. Notre production, mise à mal depuis la grippe aviaire de 2006, a dû se tourner vers de nouveaux marchés. Le Brésil, la Thaïlande et la Pologne sont aujourd’hui les principaux importateurs de l’industrie agroalimentaire française. « Il n’existe pas d’appellation nuggets contrôlée, donc les industriels font ce qu’ils veulent à ce sujet. » Pour Gilles Salvat, microbiologiste à l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments, l’origine de la viande est un critère de qualité fondamental. « Nous importons chaque année 40 % de viande de poulet destinée uniquement à la transformation puisque les poulets vendus entiers sont tous élevés sur le territoire national. »

Parmi les messages publicitaires très souvent ressassés par McDonald’s : « Nous faisons travailler vos producteurs locaux. » Pourtant, seuls les steaks hachés sont garantis 100 % français sur le site du restaurateur. Pas la viande de poulet. « Principe de précaution au cas où une nouvelle grippe aviaire frapperait le territoire et que nous devions changer de fournisseur. » Et la vache folle, alors ? L’attaché de presse affirme que tous les poulets sont élevés en France. Alors, pourquoi ne pas s’en vanter ? Pas de réponse. Et du côté de KFC, c’est le silence absolu : la chaîne est muette comme une carpe.
« 38 kilos au mètre carré maximum »
En tant que directeur de la santé animale et du bien-être des animaux pour l’Anses, Gilles Salvat a visité des fermes d’élevage, hangars fermés de 20.000 poulets, en Bretagne et dans les Pays de la Loire pour la plupart. À l’intérieur ces poulets dits « standards » vivent enfermés, sans lumière du jour. « Mais ils sont en liberté ! » précise Michel Salion, de Cargill, qui entend par là que ce ne sont pas des poulets élevés en batterie. Mais des espèces hybrides à croissance rapide, issues de souches lourdes, c’est-à-dire destinées à développer de la chair. Leur durée de vie ? 50 jours en moyenne avant abattage, contre 100 jours minimum pour les poulets labellisés. Pour quelle densité de population ? « Entre 18 et 21 animaux au m2 contre une moyenne de 11 par m2 en intérieur et 2 par m2 en extérieur pour un poulet de plein air », selon le chercheur. L’attaché de presse de Cargill, en professionnel précis, préfère parler de « 38 kilos au mètre carré maximum puisque la place dans le bâtiment dépend de l’âge des poulets. Quand ils sont très petits, vous avez une impression d’espace, mais quand ils atteignent les 50 jours, évidemment, il y a moins de place ».
Il ajoute que dans leurs fermes agréées, toutes les dispositions sanitaires sont respectées pour éviter le moindre risque de contagion : « Il y a un sas, on y entre avec des combinaisons, on passe les pieds dans un pédiluve avec des solutions antibactériennes pour que les poulets n’attrapent pas de maladies et pour éviter d’avoir à les traiter avec des antibiotiques. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en ait jamais, mais seulement sur ordonnance vétérinaire. » Si un poulet est infecté, l’ensemble du lot est traité.
De plus, « les animaux sont nourris exclusivement avec des aliments végétaux – maïs et blé français, soja d’Inde ou du Brésil non OGM, ainsi que des vitamines et des minéraux ». Quelles vitamines, quels minéraux ? « La direction ne souhaite pas répondre à ce sujet, mais je peux vous dire que nous donnons aussi des oligoéléments à nos poulets ! » Comment se déroule l’abattage ? Le communiquant précise seulement que les poulets ne souffrent pas : « Ils sont endormis avec un gaz avant d’être abattus puis découpés. »
Tout ce qui est écrit sur les étiquettes
De plus en plus de cantines scolaires en France interdisent les nuggets et autres produits transformés. Conseiller en restauration auprès des collectivités, Philippe Durrèche a beaucoup œuvré dans ce sens : « L’histoire des nuggets se trouve à la confluence des goûts des enfants et des intérêts financiers des industriels et des collectivités. Si des parents veulent leur faire plaisir, c’est un choix, mais ce n’est pas aux communes de prendre la responsabilité d’empoisonner les élèves. » Parmi ses recommandations : interdire les « aliments morts sans nutriments ni vitamines », comme les nuggets, au profit de menus faits maison, pour un retour aux circuits courts, locaux et un passage progressif au bio. De plus en plus de villes comme Cannes, Agen et ses vingt communes alentour suivent son cahier des charges.

Les nuggets sont-ils si dangereux pour la santé ? La nutritionniste Paule Neyrat abonde dans ce sens : « Ils sont nocifs : trop gras et contenant trop d’additifs dont on sait maintenant qu’ils ont des conséquences néfastes pour la santé. » Christophe Brusset, ingénieur agroalimentaire [1], déplore quant à lui le laxisme politique et le manque de contrôle sur les chaînes industrielles : « En vingt ans de métier, je n’ai été contrôlé que deux fois. C’est infime. Il y a un manque de respect du consommateur et tout le monde s’en fout tant que c’est moins cher ! Bien sûr, le but d’une entreprise, c’est de gagner de l’argent. On ne peut pas reprocher ça, mais la plus grosse faute est l’absence de règle : on vous autorise 300 additifs, 300 auxiliaires technologiques qu’il n’est pas obligatoire de déclarer. On vous autorise à gonfler la viande d’eau autant que vous voulez, ou bien à ne quasiment pas mettre de viande dans des nuggets de poulets… Que font les députés, ceux qui font nos lois ? » Même lui avoue ne pas comprendre tout ce qui est écrit sur les étiquettes.
La législation européenne n’a pas beaucoup évolué ces dernières années en faveur de la transparence. Dernières mesures de l’UE en date : le règlement Inco concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, mis en application depuis décembre 2014. Selon Foodwatch, organisation pour le droit des consommateurs, cette réglementation « présente de sévères lacunes ».
L’une de ces « non-mesures » concerne de près les nuggets et tout produit à base de viande transformée : les industriels n’ont toujours pas l’obligation de préciser l’origine des viandes utilisées lors du processus de fabrication ni même d’inscrire l’utilisation ou non d’OGM pour de l’alimentation des animaux. Foodwatch de conclure :
« Une chose est claire : les fabricants peuvent continuer de tromper le consommateur en toute légalité sur l’origine des produits, puisque des mentions comme “produit de nos régions” ne sont pas protégées par la loi. »
UNE INVENTION POUR RELANCER LA CONSOMMATION DE POULET AUX ÉTATS-UNIS
Qui a pensé un jour à se débarrasser des os du poulet, l’un des seuls animaux que l’on dépiaute encore dans nos cuisines, pour le transformer en beignets ? L’idée est venue d’un scientifique états-unien spécialiste de la volaille, Robert C. Baker. Après la Seconde Guerre mondiale, les poulets sont vendus entiers par la plupart des bouchers. Dans une société où les femmes travaillent de plus en plus, les ménages délaissent alors la volaille pour des viandes plus faciles à consommer. Les producteurs du nord de l’État de New York sont au bord de la faillite, remarque le scientifique. Avec son équipe, il décide de se mettre en quête d’une nouvelle formule de consommation qui endiguerait ce fléau économique. Ils transforment alors le poulet en filets, en hot dogs, en conserve qu’ils testent chaque fois en magasin, surveillant de près les chiffres de vente.

Puis vient l’idée des beignets : mixer du blanc de poulet cru, ajouter du vinaigre et du sel pour ôter l’excédent d’eau, ajouter un peu de lait en poudre et de céréales, congeler les bâtonnets pour les solidifier, les enduire d’un mélange d’œufs et de chapelure, les congeler une seconde fois… Les premiers nuggets se tiennent et sont commercialisés avec succès en 1963. Ironie de l’histoire, les éleveurs du nord de l’État de New-York disparaitront quelques années plus tard, supplantés par les grosses fermes industrielles en mesure de répondre aux besoins grandissant de fabrication de nuggets.
McDonald’s inscrit au menu de ses restaurants états-uniens ses propres Chicken McNuggets à partir de 1980.
POUR ALLER PLUS LOIN
- Ouvrages
Et si on se mettait enfin à table ? Xavier Denamur, Calmann Lévy, mars 2015.
Vous êtes fous d’avaler ça ! Christophe Brusset, Flammarion Document, septembre 2015.
- Documentaires
République de la Malbouffe
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