Les zadistes de Sivens sont toujours bien là

Durée de lecture : 7 minutes
SivensQue sont devenus les zadistes de Sivens ? Quatre mois après leur expulsion de la zone humide du Testet, une centaine d’opposants au projet de barrage se sont réunis dimanche 28 juin à Toulouse pour recréer une ZAD d’un jour
- Toulouse, correspondance
Des photos de la zone humide et de manifestations trônent à l’entrée de La Chapelle, le plus ancien squat de Toulouse. Bien que située à quarante kilomètres, la ZAD du Testet est bien présente. Une centaine de ceux qui ont occupé cette zone à défendre pendant quelques mois ou plusieurs jours se pressent à l’ombre des arbres du jardin dans une ambiance estivale.
Fatima, papillonne d’un groupe à l’autre et affiche un large sourire. La membre du collectif Tant qu’il y aura des Bouilles qui a organisé cette rencontre en soutien aux inculpés l’avoue : « Nous avions besoin de nous voir et surtout de nous retrouver dans un endroit où les pro-barrages ne font pas régner la terreur ». Depuis l’expulsion de la ZAD le 6 mars dernier, il a été en effet difficile pour les opposants au projet de retenue d’eau de se réunir dans le Tarn. « Il y règne un climat de peur depuis le blocage de la ZAD par les agriculteurs de la FDSEA » vitupère Fatima : « On a été disséminés, cassés et criminalisés, mais le moral remonte ».
"Cette histoire n’est pas finie"
Les pieds nus dans l’herbe, A. croque dans son sandwich. « Tout le monde a vécu des moments difficiles après le Testet », explique le jeune homme de 26 ans. « Je rêve souvent des gendarmes mobiles. C’est toujours le même scénario : ils me coursent et je me cache dans les bois pour leur échapper ». Arrivé au Testet l’été dernier, il s’était installé dans la Maison des Druides, un lieu peuplé de pacifistes et perché sur les hauteurs de la forêt. La maisonnette a été attaquée quatorze fois par les forces de l’ordre en l’espace de quelques semaines seulement. « Après la ZAD, j’ai ressenti un grand besoin de calme et de prendre le temps de raconter cette histoire ». Il propage le récit de Sivens lorsqu’il fait du stop pour se rendre à Notre-Dame des Landes ou auprès de sa famille : « Parce que je n’allais pas bien, je me suis beaucoup rapproché de ma soeur, qui a enfin commencé à comprendre ce que je faisais », confie-t-il.
« Moi j’ai passé un moment à déprimer chez mes parents », renchérit « Chep-Chep » qui a rejoint la tablée. Ses yeux légèrement bridés se plissent sous le soleil de plomb. Après quelques passages furtifs sur les ZAD d’Oléron et d’Agen, l’ex-étudiant en environnement a regagné le domicile familial le temps de s’acheter un camion. « Je vais arrêter de militer comme je le faisais avant et parcourir les lieux de lutte plutôt que d’aller dans des manifestations classiques ».

« Nemo », son voisin, a quant à lui choisi de s’établir dans une communauté Emmaüs pour retrouver une vie collective. « Ca change du tout au tout » explique le jeune Lorrain. « A la ZAD, on nique le système. Là-bas, il faut expliquer pourquoi il ne fonctionne pas ».
Autour des tables et des stands d’information, les conversations sont nostalgiques mais pas résignées. « Cette histoire n’est pas finie » veut croire Chep-Chep, « en tout cas tant qu’on ne se désamorce pas le nouveau projet de barrage ». Comme beaucoup d’autres, il n’est pas encore retourné sur la ZAD pour constater l’étendue des dégâts. « J’ai peur d’y aller et de voir cette destruction », souffle Sylvie. A l’âge de 45 ans, la guide naturaliste estime avoir effectué un « virage radical » après son passage au Testet. « Je vais m’installer dans une ferme en communauté pour sortir au plus vite de ce monde pourri jusqu’à la moelle. » L’expérience de Sivens, dit-elle, lui a sorti la tête du sable, et elle ne souhaite pas la replonger dedans.

Livres ouverts
« Avis aux anciens zadistes et aux nouveaux zadistes. La bibliothèque est ouverte ! » Munie d’un mégaphone, une jeune femme se faufile dans la foule. Deux têtes se penchent sur un panneau où sont écrits plusieurs titres. « Tiens, ’Le Testet de Z à A en passant par D’, ça me paraît pas mal mais c’est difficile de trouver un coin pour lire », plaisante Michèle. Les livres ouverts, ce sont les zadistes eux-mêmes, qui racontent leur histoire en comité restreint à ceux qui veulent bien l’écouter. « Sglut » et ses deux lectrices trouvent refuge dans la pénombre de l’ancienne chapelle aménagée en cabaret.

Les deux femmes d’un âge avancé le pressent de questions. « C’est une philosophie de vie ? » s’enquiert Joëlle, venue du Gers pour l’occasion. « Parce que les gens de la région disent que les zadistes sont des sauvages qui ne foutent rien et profitent de tout », ajoute Michèle. Le jeune homme, qui a passé un an et demi au Testet, explique d’une voix calme : « Je n’ai pas choisi cette vie, mais de m’investir dans une lutte. On était soutenu aussi par certains agriculteurs, mais qui étaient moins visibles que les pro-barrages ». Ses deux auditrices, avides de récit, estiment qu’elles ont été mal informées. « Les grands médias ont raconté n’importe quoi » s’écrie Michèle : « Mais on avait quand même conscience qu’il se jouait quelque chose. Les gens ne se faisait pas castagner pour rien non ? »

Les petits groupent se forment et se déforment. « Ce sont des lieux d’expression collective comme cela qui sont en train de disparaître » regrette une participante. Tita hoche la tête en signe d’approbation. Il a quitté la ZAD bien avant l’expulsion et après « des mois passés dans le flou », il n’hésite pas à remettre tout en question. « Le 25 octobre dernier, Rémi Fraisse est mort parce qu’on a été débile et mal organisé. A quatre mille, on aurait pu faire reculer les flics de manière pacifique au lieu de laisser se dérouler les affrontements. La ZAD, c’est une utopie non-réalisée,parce que ce jour là, on a perdu ».
La justice frappe fort
Une réunion plus formelle a cédé la place aux témoignages bruts et directs. Autour de Claire Dujardin, l’avocate qui défend bon nombre d’inculpés de Sivens, les membres du Collectif pour la sauvegarde de la Zone Humide du Testet et les zadistes font le constat des violences policières qui ont émaillé les mois d’occupation. La lutte contre le barrage est également au menu des discussions. « On a un an devant nous pour se retrouver », affirme Fatima. Mais les mois qui viennent seront consacrés au suivi juridique des personnes inculpées.
Charlie fait partie des soixante-dix cas d’inculpation répertoriés. Le clown activiste (en photo à la tête de l’article) arrêté en novembre dernier à Toulouse lors de la première manifestation d’ampleur après la mort de Rémi Fraisse a écopé en appel de deux mois de prison ferme. Accusé d’avoir jeté des pierres sur des policiers, il espère se pouvoir en cassation pour prouver son innocence. Ces derniers mois, « Charlie le clown » a vécu pour la première fois la vie d’un « condamné » :
- Ecouter Charlie :
Charlie ne sait pas encore s’il passera par la case prison ou si sa peine sera muée en travaux d’intérêts généraux. « Beaucoup de dossiers ont été confirmés ou aggravés en appel », constate Claire Dujardin. « Et au vu des profils, c’est scandaleux car ils avaient un casier judiciaire vierge ».
Pour prendre le pouls des condamnations à venir, l’avocate et les zadistes réunis attendent avec impatience la décision de justice concernant l’affaire de Yannick et Gaëtan qui doit être rendue mercredi 1 juillet par la cour d’appel de Toulouse. Les deux Tarnais avaient été condamnés pour violences volontaires sur des dépositaires de l’autorité publique lors de leur arrestation musclée à la ZAD. Au cours du procès, la juge et l’avocat général avaient eu le loisir de voir et revoir une vidéo amateur.. qui montrait clairement que le gendarme victime de plusieurs jours d’ITT avait été blessé par un des ses collègues.