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ReportageSanté

Médicobus : une solution contre les déserts médicaux ?

Le médicobus à Randonnai, dans l'Orne, fin juillet 2023.

Les premiers médicobus, remède du gouvernement contre la pénurie de médecins, ont commencé à circuler. Une mesure palliative bien plus qu’une solution contre la désertification médicale, dénoncent élus ruraux et experts.

Randonnai (Orne), reportage

Comme tous les jeudis matins, un minivan bleu et blanc se gare dans un crissement de gravier sur le parking de la mairie de Randonnai (Orne, Normandie). Sur le capot rutilant, une inscription brille entre les gouttes de pluie : « Médicobus, cabinet médical mobile ».

Un coup d’œil rapide à l’intérieur suffit pour confirmer l’information : stéthoscope, table d’auscultation, tensiomètre, balance… Un cabinet médical sur quatre roues se cache derrière la carrosserie. La portière du véhicule claque, et une patiente en sort. Elle s’appelle Françoise et elle est pressée de se répandre en compliments sur le médecin à bord. « Le bus, au début, ça fait bizarre. Mais on s’habitue, c’est vraiment très bien ! » lance-t-elle gaiement.

« Le bus, au début, ça fait bizarre. Mais on s’habitue, c’est vraiment très bien ! » se réjouit une patiente. © Guy Pichard / Reporterre

Depuis que son médecin traitant a pris sa retraite en décembre dernier, impossible jusqu’ici d’en trouver un nouveau pour la sexagénaire. Dans le département de l’Orne, on recense 133 médecins en activité pour 100 000 habitants.

Un chiffre largement en dessous de la moyenne nationale, qui s’élève à 310 médecins pour 100 000 habitants, déjà inférieure à celle des pays voisins : 410 médecins pour 100 000 habitants en Allemagne, en Suède ou en Suisse.

Pour Françoise, la mise en place d’un bus médical et son service de soins non-programmés est une aubaine. Il suffit d’un coup de téléphone au numéro du standard récupéré dans le journal local pour décrocher un rendez-vous dans la semaine.

Des patients déjà refusés par de nombreux médecins

« Quand les gens viennent consulter, ils nous remercient comme des sauveurs. Ils ont souvent été refusés par sept, huit médecins auparavant », dit Lamia Abid.

L’assistante médicale travaille dans le médicobus depuis son lancement dans l’Orne, il y a trois ans. Chaque semaine, elle forme un duo avec l’un des douze médecins de l’équipe avec lequel elle prend le volant pour sillonner l’est du département.

La veille en déplacement avec le médicobus à Vimoutiers, le Dr. Tomey, médecin généraliste, se trouve le jour de notre reportage au Pôle médical Aiglon, à L’Aigle. © Guy Pichard / Reporterre

En coordination avec la Caisse d’assurance maladie, le bus est mis en contact avec des patients qui n’ont parfois plus de suivi médical depuis plusieurs années. « On prend souvent en charge des gens qui s’étaient éloignés du milieu médical ou en avaient pris méfiance depuis la période de crise sanitaire », observe Lamia Abid.

Elle se souvient du cas d’un homme qui refusait de consulter un cardiologue. À force de pédagogie et en recréant un lien de confiance, l’équipe médicale du médicobus a réussi à le convaincre de consulter un spécialiste qui a diagnostiqué un œdème cardiaque.

« Répondre à la désertification médicale »

« C’est un dispositif qui permet d’aller vers les patients, et ainsi de répondre à la désertification médicale actuelle. C’est vraiment un moyen important dans la prise en charge des inégalités territoriales », dit le docteur Gal.

Médecin de permanence dans l’équipe ambulatoire de ce matin de juillet, il se félicite du travail accompli. Directeur de la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) normande, il a travaillé avec l’Agence régionale de santé (ARS) et l’Union régionale des médecins libéraux de Normandie pour mettre en place ce projet de médicobus, aussi financé par la région et par l’État.

Roulant au gazole, le médicobus a toutefois besoin d’une prise secteur pour alimenter les appareils du cabinet. © Guy Pichard / Reporterre

Depuis 2020, le bus de la CPTS Orne-est est le premier véhicule médical de France à être entré en circulation. Selon le bilan qu’en fait aujourd’hui l’ARS Normandie, le dispositif de facilitation d’accès aux soins « s’inscrit parfaitement dans le plan gouvernemental “France ruralités” annoncé en juin dernier qui prévoit le déploiement de 100 médicobus en partenariat avec les collectivités territoriales, d’ici à la fin 2024 afin d’apporter une offre de soins de proximité dans les territoires les plus touchés par la raréfaction médicale. »

Plus de la moitié des 8 369 consultations effectuées depuis sa mise en service ont concerné des patients qui n’avaient plus de médecins, estimait l’ARS en novembre 2022.

75 % de médecins retraités

Pour le reste des patients sans suivi médical, l’ARS Normandie a aussi multiplié l’ouverture de centres de santé depuis 2017, et l’effectif du médicobus devrait doubler à la rentrée. Mais avec quels médecins ? Sur l’équipe de douze généralistes du bus en service, huit sont des professionnels retraités.

Une situation répandue en Basse-Normandie, puisque 25,5 % de l’effectif de médecins du territoire ont plus de soixante ans, tandis que la tranche d’âge des moins de quarante ans représente 18,5 % de l’ensemble des actifs réguliers. Et les chiffres ne devraient pas s’arranger : partout en France, les départs à la retraite des professionnels de santé augmentent depuis 2020.

Lamia Abid, l’assistante médicale du jour, accueille les patients dans la salle principale de la mairie de Randonnai. © Guy Pichard / Reporterre

« Qui va-t-on mettre à bord de ces nouveaux bus médicaux ? », se désole Isabelle Dugelet, maire de la Gresle. Dans son département de la Loire, deux dispositifs sont en projet avec l’ARS. Dans chacun d’entre eux ce sont des « médiateurs de santé » qui exerceront, détectant les maladies, et orientant les patients vers les services hospitaliers, si nécessaire.

« Mais ce dont on a besoin sur le terrain c’est de médecins ! », insiste l’élue. Pour la commune de La Gresle et ses 834 habitants, le plus gros problème lié à la pénurie de professionnels se rencontre avec les décès à domicile.

La maire se souvient d’un dimanche où aucun médecin n’était à même de se déplacer dans un Ehpad pour faire constater le décès d’un pensionnaire. « J’ai dû batailler avec le Samu surchargé pour qu’il envoie quelqu’un », soupire-t-elle. Un médicobus qui ne circule pas le weekend, et sans médecin à son bord, cela ne risque pas de changer grand-chose, selon la maire.

Une amélioration… dans dix ans ?

Chargée de la commission Santé de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), l’élue sans étiquette s’agace de la politique de santé du gouvernement depuis plusieurs années : « Tous les partis ont leur part de responsabilité, quand depuis vingt ans, ils négligent tous les avertissements des zones rurales. »

Certes, le numérus clausus qui réduisait le nombre de nouveaux médecins a été supprimé en 2020, mais selon les derniers chiffres, l’actuelle situation de pénurie de médecins risque de s’aggraver jusqu’à au moins 2028. La fin du numerus clausus et l’ouverture de la formation de médecin à plus d’étudiants ne permettraient une amélioration qu’ensuite.

« Un cautère sur une jambe de bois »

« Pas si on ne prend aucune mesure supplémentaire », prévient Emmanuel Vigneron, spécialiste de la santé et géographe. Depuis plus de trente ans, il étudie les inégalités d’accès au soin et la disparition des services publics en zone rurale.

Pour lui pas de doute, « mettre en place des médicobus contre la désertification médicale, n’est qu’un cautère sur une jambe de bois ». Il compare ces nouveaux bus médicaux aux cabinets itinérants, bannis du Code de la santé pour éviter le charlatanisme, ou bien à ceux de médecine nomade, déployés par le passé dans les anciennes colonies françaises, comme au Sahel.

Lamia Abid, assistante médicale, voit dans le médicobus un moyen de rétablir le contact avec des patients qui s’étaient éloignés de la médecine. © Guy Pichard / Reporterre

Consultant auprès de l’AMRF, il préférerait « qu’on repense l’ensemble du système de santé », et réclame « la sortie du discours d’impuissance de l’État » sur la pénurie de médecins. Pour y remédier, il suggère de multiplier les centres de santé, avec des équipes de médecins salariés.

Mais surtout, il soutient la mobilisation des élus de l’AMRF, pour lesquels il réalise des études en tant que chercheur. « Le questionnement des élus sert d’aiguillon pour trouver des angles d’attaque inhabituels et ouvrir la porte à plus de créativité » afin d’agir contre la désertification médicale, argumente-t-il auprès de l’AMRF.

Demandes sans réponse

Chez les élus des communes rurales, les réflexions concertées autour de la désertification médicale ont permis la réunion de trente-quatre organisations différentes, citoyens sans médecin et professionnels de santé, pour aboutir à quatre propositions visant à contrer la pénurie médicale en zones rurales.

Attirer les étudiants en santé dans ces territoires en facilitant leur installation ; investir dans les services publics, les modes de transport en zones rurales pour les rendre plus attractives auprès des jeunes professionnels ; créer un guichet départemental qui centralisera les aides à l’installation auxquelles les médecins sont éligibles… En 2020, ces quelques mesures ont été présentées par l’AMRF aux différents représentants des candidats à la présidentielle et des législatives. Elles sont jusqu’ici restées lettre morte auprès du gouvernement.

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