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Métro du Grand Paris : opération com’ après des morts d’ouvriers

La décision de faire de la sécurité la priorité de l’année a été prise début 2023. Depuix, deux ouvriers sont morts sur les chantiers du Grand Paris Express.

Le chantier des futurs métros du Grand Paris Express ne détruit pas que des terres agricoles : il ôte aussi des vies. Après cinq décès d’ouvriers, la société du Grand Paris tente de convaincre que la sécurité est sa priorité.

« La sécurité n’est pas une variable d’ajustement. » Devant un parterre de journalistes, Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société du Grand Paris (SGP), insiste. 200 kilomètres de lignes, 68 gares, 140 chantiers en cours, le tout pour plus de 40 milliards d’euros selon une évaluation du Sénat. Le Grand Paris Express, futur métro automatique, est l’un des plus grands chantiers d’Europe. Pour tous les fleurons industriels nationaux qui le construisent, c’est une vitrine que l’on voudrait garder attrayante, impeccable. Chaque accident fait tache. Or, cinq ouvriers sont morts depuis le début des travaux, dont deux en mars et en avril. La SGP reconnaît également « moins d’une trentaine » d’accidents graves, c’est-à-dire « où des moyens médicaux ont dû intervenir sur place ».

Il faut donc convaincre que tout est fait pour éviter ces drames. En ce mercredi 15 mai, les journalistes sont choyés. Une visite de chantier a été organisée, les hauts responsables jouent la sincérité dans les réponses aux questions. La décision de faire de la sécurité la priorité de l’année a été prise début 2023, donc avant les deux accidents mortels de cette année : « On entre dans une nouvelle étape du chantier, avec plus d’entreprises, de coactivité [plusieurs entreprises qui travaillent sur un même chantier] et donc des risques accrus », explique Bernard Cathelain.

Le Grand Paris Express, futur métro automatique, est l’un des plus grands chantiers d’Europe. Chaque accident fait tache. © Marie Astier / Reporterre

La SGP estime déjà faire beaucoup. Elle impose une charte de sécurité, incluse dans les contrats, plus contraignante que la loi. « Il est arrivé que l’on demande le remplacement d’un conducteur de travaux parce que les conditions de travail sur son chantier n’étaient pas satisfaisantes », assure, en guise d’exemple, Bernard Cathelain. La SGP assure également multiplier les contrôles de sécurité, tant par des audits externes que par des équipes internes. « On constate que les résultats ne sont pas ceux que nous souhaitons », reconnaît Jean-François Monteils, président du directoire de la SGP.

Démonstration est faite aux journalistes des efforts déployés

Sur le chantier de la future gare de La Courneuve Six-routes, démonstration est faite aux journalistes des efforts déployés. Des rappels sur le port des « EPI » (équipement de protection individuelle : casque, gilet, lunettes, gants, chaussures de sécurité) sont visibles à chaque entrée du chantier. Alain Truphemus, directeur adjoint de la ligne 16, désigne les garde-corps dressés devant chaque « trémie » (les ouvertures dans le sol), les fers à béton protégés de plastiques, le harnais du grutier qui « a sauvé des vies ». Le chantier est propre, tenu au cordeau. Bien loin des images que Reporterre avait pu consulter, prises par un ouvrier sans-papiers sur le chantier de la gare d’Orly : il portait des charges sur un treillis de barres de métal sans protections.

Alain Truphemus, directeur adjoint de la ligne 16, interviewé par les journalistes. © Marie Astier / Reporterre

Pour faire encore mieux, un « plan de renforcement de la sécurité des chantiers » est en train d’être mis en place, annonce la SGP. La première mesure concerne les intérimaires. « Le taux d’accident chez eux est plus élevé », note Bernard Cathelain. Une formation de deux jours à la sécurité sera désormais obligatoire. « On veut s’attaquer au système culturel du BTP », insiste Jean-François Monteils, qui estime que le respect des règles de sécurité n’est pas un automatisme. « À chaque accident, on constate qu’une règle n’a pas été respectée », regrette-t-il.

« La bonne volonté ne suffit pas, ce qu’il faut changer, c’est l’organisation du travail », conteste, auprès de Reporterre hors conférence de presse, Ali Tolu, représentant CGT des salariés chez Vinci groupe et ouvrier sur un chantier de la ligne 18. Il arpente les chantiers du futur métro pour tenter d’améliorer les conditions de travail de ses collègues. Il dénonce les « cascades de sous-traitants », dont on connaît les conséquences dans le BTP : plus on descend dans la chaîne, plus les coûts et les délais sont contraints, plus les conditions de travail se dégradent et plus le risque d’accident augmente.

« Ce qu’il faut changer, c’est l’organisation du travail »

La SGP se défend : s’il y a des sous-traitants, c’est entre autre parce qu’elle s’est engagée à verser au moins 20 % des montants des marchés à des PME et TPE, ce qui multiplie les intervenants. « Et juridiquement, c’est compliqué de limiter la sous-traitance », explique Bernard Cathelain. Ali Tolu, lui, pointe plutôt le choix des grands groupes, qui externalisent de nombreuses tâches. « Chez Vinci, en 2017, on nous a dit qu’on allait récupérer certains métiers en interne : les parpaings, la ferraille, etc. Rien n’a été fait depuis », soutient-il.

Il conteste également les chiffres donnés par la SGP : celle-ci estime que 25 % des compagnons sur ses chantiers sont des intérimaires, 50 % sont des titulaires et 25 % des sous-traitants. Pour Ali Tolu, la proportion de précaires est bien plus importante. Déjà, « les chiffres prennent en compte les administratifs, or il y a plus de titulaires chez les administratifs que chez les ouvriers », explique-t-il. Par ailleurs, « les CDI de chantier et les CDD sont comptés parmi les titulaires », ajoute-t-il. Or, qui dit contrat précaire dit plus de difficulté pour les ouvriers à dire non à un ordre pouvant les mettre dans une situation dangereuse, avait raconté Reporterre.

On travaille le samedi sur certains chantiers

Chaque décès sur un chantier repose aussi la question des délais. « Nous ne mettons pas de pression. Les délais ont été revus après l’arrêt des chantiers à cause du Covid. Nous devons faire passer ce message aux entreprises », insiste Bernard Cathelain. « Aucun des accidents mortels n’a eu lieu sur un chantier où il y avait des conditions de pression sur les délais », appuie Bertrand Masselin, responsable de la sécurité des chantiers du Grand Paris express. Mais Ali Tolu rappelle que l’on travaille pourtant le samedi sur certains chantiers du Grand Paris, ce qui contribue à maintenir une cadence de travail élevée. « Quand on travaille soixante heures par semaine, dans un métier pénible, il y a une accumulation de fatigue ! » dit-il.

À l’entrée du siège de la Société du Grand Paris, un portique, qui rappelle ceux des chantiers, signale la priorité de l’année : la sécurité. © Marie Astier / Reporterre

Enfin, le syndicaliste aimerait être associé à l’enquête quand il y a des accidents. « On est prévenus plusieurs jours après, ils font l’analyse sans les syndicats », dénonce l’ouvrier. La SGP, elle, assure vouloir plus de contrôles des chantiers par les syndicats. « Ils sont les bienvenus », assure M. Cathelain. « Alors, la prochaine fois qu’ils organisent un rendez-vous avec les journalistes, qu’ils m’invitent ! » lance Ali Tolu.

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