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EnquêteQuotidien

Mettre au monde en pleine épidémie : le quotidien ardu des nouvelles mères

Parturientes comme professionnelles de santé mobilisées dans les maternités sont confrontées au confinement et au manque de moyens de l’hôpital public. Cela pèse sur leur santé physique et mentale. Des femmes racontent à Reporterre la mise au monde en période de crise sanitaire.

Pendant les premières semaines du confinement, certaines femmes ont été contraintes d’accoucher sans pouvoir être accompagnée de la personne de leur choix, au mépris des effets traumatiques que cela peut engendrer (dépression post-partum notamment), et il a fallu attendre le 31 mars pour que le ministère de la Santé se pose en soutien de ce droit des parturientes.

Si de nombreuses maternités autorisent la présence du partenaire de la mère pendant l’accouchement, les protocoles changent tous les jours, les rumeurs enflent et cette incertitude est très pesante. « Quand j’ai entendu que les pères ne pouvaient pas assister à l’accouchement, ça a été la panique totale, dit Léa. Tous mes rendez-vous médicaux ont été annulés par simple SMS de Doctolib, c’était brutal. On se prépare pendant neuf mois, et là on se retrouve toute seule avec cette confiance en soi à reconstruire en quelques jours. Parce qu’il faut le dire, ça m’impacte beaucoup plus que mon compagnon. »

Les partenaires doivent désormais quitter la maternité dans les deux heures après la naissance et toute visite est interdite, ce qui peut provoquer une grande souffrance, d’autant plus si l’hospitalisation est longue. Alors que c’était le « défilé dans [sa] chambre » — ménage, plateaux-repas, auxiliaire, sage-femme, pédiatre — Charlotte, qui a accouché fin mars dans le Morbihan, ne s’est jamais sentie aussi seule que pendant ces quatre jours à la maternité. « C’est très dur physiquement. On fait les cent pas pendant des heures pour calmer son bébé alors qu’on a le bassin en vrac et des points de suture à la vulve. Mentalement aussi, il faut gérer seule son corps meurtri tout en apprenant à gérer son bébé qu’on ne connaît pas encore, en devant mémoriser les conseils des pros alors qu’on est dans le coltar. Je les ai suppliés de me laisser sortir vite. J’ai beaucoup pleuré, beaucoup culpabilisé de pleurer et de stresser ainsi mon fils. »

Catherine, quant à elle, a accouché prématurément et a dû rester une semaine à la maternité, dans l’Essonne. « Les auxiliaires et les sages-femmes étaient vraiment adorables. Mais c’est dur de passer sa journée seule à déprimer dans quelques mètres carrés, sans pouvoir sortir. Je n’avais pas assez de vêtements pour le bébé, mon compagnon n’avait pas le droit de m’en apporter, je devais les laver à la main, raconte-elle. Les appels vidéos aux proches finissent par ne plus être possible car « le réseau devait être saturé ». « Il y avait en plus le stress du poids du bébé. Le dimanche, on m’a dit que j’allais partir. Le lundi, la pédiatre m’assène un "l’enfant restera là tant qu’il faudra", sans rien m’expliquer. J’ai passé mon après-midi à pleurer, j’étais prête à signer une dérogation pour sortir. »

Élodie [1], sage-femme dans une maternité parisienne, explique :

C’est terrible que les partenaires ne soient pas là après l’accouchement, les mères sont au bout du rouleau, avec les nuits difficiles, les saignements, les douleurs. On fait ce qu’on peut mais on est loin de compenser leur présence. Et les psychologues ne passent plus en maternité, c’est seulement par téléphone. »

« Le soin sans la dimension sociale, ça n’existe pas ! »

La crise dégrade aussi les conditions de travail et la santé des sages-femmes, auxiliaires de puériculture, aides-soignantes et agentes d’entretien des maternités, emplois occupés quasiment à 100 % par des femmes et souvent déconsidérés. « On a bâché tout un étage pour y confiner les parturientes atteintes du Covid-19, poursuit Élodie. Notre temps de travail explose. Je passe mes journées à désinfecter des poignées de portes, des instruments. J’ai les mains défoncées à force de les laver. C’est la guerre pour obtenir du matériel de protection, on doit cacher les masques, le gel est une denrée rare. Tous les jours, une ou deux sages-femmes du service tombent malades, contaminées. »

Catherine témoigne : « Je n’avais pas assez de vêtements pour le bébé, mon compagnon n’avait pas le droit de m’en apporter, je devais les laver à la main. »

Zohra [2] est assistante sociale dans une maternité de Seine-Saint-Denis. Son travail consiste à accompagner les femmes en grande précarité – des mères isolées avec parfois plusieurs enfants, qui n’ont pas de logement, pas de papiers, qui sont victimes de violences… – , travail qu’elle estime ne plus pouvoir faire correctement. « Les entretiens pour ouvrir des droits à l’[AME|Aide médicale d’État] ou à la [CAF|Caisse des allocations familiales] ont été suspendus, la hiérarchie m’a demandé de ne plus recevoir les femmes parce qu’on n’a pas de protections. On a même dû se battre pour avoir du savon. Dans mon travail, l’humain est essentiel, tout ne peut pas se faire par téléphone ou par internet puisque souvent ces femmes n’y ont pas accès. Alors je les vois quand même, y compris celles qui sont confinées dans l’aile Covid+, et là on me donne un masque, une surblouse... »

Zohra ne compte plus ses heures, ni ses collègues absentes pour cause de maladie ou de problèmes de garde d’enfant. Entre les appels au 115 et à la protection de l’enfance, elle doit gérer moult détails logistiques : « D’habitude, des associations nous donnent des couches, du lait, des vêtements pour bébés. Là, tout s’est arrêté et les magasins sont fermés ». Résultat : elle multiplie les appels sur les réseaux sociaux pour en récupérer ou ramène des choses de chez elle. « Je dois bricoler des solutions au jour le jour, sans aucune aide alors qu’on est à l’hôpital public. »

Elle déplore que « les travailleurs sociaux soient complètement oubliés dans cette crise, alors qu’[ils sont] aussi en première ligne : le soin sans la dimension sociale, ça ne sert à rien ! Le confinement, ça enferme les gens dans les violences intrafamiliales et sociales qu’ils subissent, ça les aggrave. Ce n’est pas qu’une crise sanitaire, c’est une véritable catastrophe sociale. »

Le post-partum, un confinement en soi

Autre effet de la crise : le séjour en maternité écourté. Pour Odile, sage-femme à Marseille, « c’est l’occasion de créer une plus grande collaboration entre les maternités et les sages-femmes libérales, qui peuvent tout à fait assurer le suivi post-partum à la maison, un cadre souvent plus serein pour les mères ». Tout comme peut l’être l’accouchement accompagné à domicile, qui connaît un regain d’intérêt.

Encore faut-il ne pas vivre dans un désert médical... Thaïs vit dans les Flandres. Rentrée chez elle 72 heures après une césarienne, elle n’a pas trouvé de professionnelle disponible pour le suivi de sortie précoce : « Il y a peu de sages-femmes libérales dans le coin, elles sont vite débordées. C’est la maternité qui m’a fourni le matériel pour qu’on retire nous-mêmes les agrafes de la cicatrice ! » Elle souffre d’une néphropathie, une maladie du rein, et doit donc se soumettre à des contrôles stricts en période de post-partum. Un suivi stressant, auquel s’ajoute le fait de s’occuper de ses trois enfants sans école ni nounou « le temps que ma compagne débute son congé d’accueil de l’enfant ». « Même si c’est déconseillé, j’ai du reprendre le volant pour aller au laboratoire pour les tests, louer une balance pour contrôler le poids du bébé... Résultat, je me remets moins bien de cette césarienne que de la première », ajoute-t-elle.

Le confinement est coûteux pour la santé des nouvelles mères, déjà mise à rude épreuve, et risque d’alourdir encore la charge mentale et le travail domestique des mères.

Suivi médical restreint, impossibilité d’aller voir un ostéopathe pour soulager les douleurs post-accouchement, de recourir à une travailleuse sociale ou aux grands-parents pour être épaulée, d’emmener le nouveau-né en balade pour le calmer de ses longues heures de pleurs… Le confinement est coûteux pour la santé des nouvelles mères, déjà mise à rude épreuve, et risque d’alourdir encore la charge mentale et le travail domestique, qui, à coups de dizaines d’heures invisibles par semaine, reposent très largement sur elles. [3]

Tout en prenant en charge les tâches habituellement liées à l’arrivée d’un enfant — congélation de repas pour l’après-naissance, achat ou collecte de vêtements et matériel pour bébé, recherche d’un mode de garde…—, il a fallu, du jour au lendemain, réorganiser la vie quotidienne, s’inventer de nouvelles compétences : préparation à l’accouchement par vidéoconférence, école à la maison pour les aînés, rationalisation poussée des courses pour limiter les sorties, et aussi, longues heures sur les réseaux sociaux à s’entraider entre femmes, pour trouver des couches ou de la layette alors que les magasins sont fermés et les livraisons incertaines, se refiler des numéros de soignantes ou d’écoutantes disponibles, se soutenir moralement…

Malgré tout, pour certaines, « le confinement, ça a du bon. Même si c’est triste de ne pas pouvoir présenter le petit à la famille, on n’est pas assaillie de choses à préparer pour recevoir les gens, reconnaît Raphaëlle. J’ai profité d’être seule à la maternité pour me reposer pendant que mon mari s’occupait de l’aînée qui a seize mois. Avant, il ne l’emmenait jamais faire des trucs... Il va rester plus longtemps à la maison qu’avec un congé paternité. Pour les courses, je le mettrai à contribution : il m’appellera un million de fois pour savoir si c’est les bons œufs, le bon lait… ! »

Trouver un certain soulagement dans le confinement montre à quel point les nouvelles mères, mêmes en couple, sont isolées et submergées, et à quel point il faut corriger la répartition des tâches, renforcer les sources de soutien et repenser les « congés » parentaux – faire du post-partum une question politique, en somme. « Entre un arrêt précoce en fin de grossesse et le congé maternité, ça fait cinq mois que je suis confinée, dit Mélanie, au téléphone avec Reporterre. Elle a accouché en janvier de son deuxième enfant. « J’ai vécu les premiers mois de mon bébé complètement livrée à moi-même, avec mes points de suture, ma lymphangite mammaire, les allers-retours à l’école et les devoirs de la grande, les bains, les repas... Tout était éprouvant. » Son mari n’avait pas pris de congé paternité, et son travail, prenant, implique de nombreux déplacements. Et pendant le confinement ? Mélanie conclut :

Pendant la grossesse, tout le monde te demande si tu vas bien, mais après c’est démerde-toi, c’est ‘ton’ post-partum », c’est la traversée du désert. Le confinement, là, c’est une bénédiction : mon mari bosse juste trois, quatre heures par jour, on partage. J’ai enfin le temps de faire des choses pour moi, de jouer avec les enfants, ce n’est plus juste un enchaînement frénétique de tâches obligatoires et pas épanouissantes. »

Ressources :

  • Le Collectif inter-associatif autour de la naissance (CIANE) a établi une liste de sage-femmes, auxiliaires de puériculture, éducatrices de jeunes enfants et doulas bénévoles pour répondre gratuitement par téléphone aux questions des femmes sur le suivi de grossesse, l’accouchement et le retour à la maison.
  • L’association Parents & Féministes a mis en place des groupes de parole téléphoniques pour échanger entre mères (lundis et jeudis à 21h, dimanches à 14h) et entre parents (mardis à 21h) sur les difficultés liées au confinement avec des enfants.

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