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Sivens

Mort de Rémi Fraisse : le Défenseur des droits constate la responsabilité de la hiérarchie et des autorités civiles

Au terme de deux ans d’enquête, le Défenseur des droits a publié jeudi 1er décembre un rapport sur les circonstances de la mort de Rémi Fraisse à Sivens. Il pointe les lacunes de l’encadrement et la responsabilité d’une partie de la chaîne de commandement.

Il avait déjà été blanchi en décembre 2014 par un rapport de l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale). Le maréchal des logis J., auteur du lancer de grenade offensive qui a tué Rémi Fraisse à Sivens (Tarn), a cette fois été dédouané par le Défenseur des droits, Jacques Toubon. Dans une décision datée du 25 novembre 2016 et rendue publique le 1er décembre, l’autorité administrative indépendante juge que le gendarme n’a pas « commis d’imprudence et n’a pas manqué à ses obligations déontologiques et professionnelles ». Les sites d’information ont repris en boucle la dépêche signalant cette décision. Mais en laissant dans l’ombre les autres constats, pourtant cruciaux, consignés dans ce rapport précis et circonstancié de 28 pages.

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Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui s’était saisi d’office de l’examen des conditions de la mort du jeune de 21 ans dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, a eu accès au dossier de l’instruction judiciaire et auditionné une dizaine de protagonistes. Il souligne les responsabilités de la hiérarchie du gendarme.

Un encadrement défaillant

Le Défenseur des droits constate d’abord un « manque de clarté et les incompréhensions entourant les instructions données aux forces de l’ordre par l’autorité civile » ce soir-là à Sivens. A titre d’exemple : les consignes contradictoires d’apaisement et de fermeté formulées par la hiérarchie. Les gendarmes mobiles qui sont déployés sur la Zad du Testet ont pour mission de défendre la « zone-vie » du chantier. Le rapport souligne le « caractère non-vital de cet objectif pour aucun des protagonistes » même si, selon lui « les circonstances [étaient] légalement réunies pour un emploi de la force ». L’homme qui supervisait la totalité des opérations de maintien de l’ordre était le commandant de gendarmerie du Tarn, le lieutenant-colonel Rénier, qui a depuis été promu au grade de colonel. Il affirme avoir reçu des consignes d’apaisement du ministère de l’Intérieur, via le Directeur général de la gendarmerie nationale, Denis Favier.

Or, sur la Zad, c’est un « dispositif de défense ferme » qui est mis en place selon l’aveu même des gendarmes. Le commandant Loddé, qui depuis a été promu au grade de lieutenant-colonel, chef du groupement tactique de gendarmerie dirigeait les unités de militaires ce soir-là. Il avait affirmé dans l’enquête préliminaire que le préfet du Tarn avait demandé de faire preuve « d’une extrême fermeté ». Auditionné par le Défenseur des droits, il revient sur ses déclarations et soutient qu’il n’a pas reçu de consignes directes du préfet, mais qu’il a «  considéré que le commandant du Groupement de gendarmerie du Tarn souhaitait de la fermeté ». La question du retrait un moment envisagé des troupes de gendarmerie est tout aussi brumeuse. Autant d’incohérences soulignées par le Défenseur des droits qui souligne que ses « investigations (…) n’ont pas permis de dissiper la confusion qui entoure le contenu exact des instructions données aux forces de l’ordre par autorité civile ».

Une autorité civile absente

Car selon ce rapport, c’est bien l’autorité civile qui est responsable. Comme le révélait Reporterre dans son enquête sur la mort de Rémi Fraisse, elle est absente ce soir-là. Une absence qui, dans le cadre d’ « une situation tendue et violente, n’est pas admissible » remarque le Défenseur des droits. Ce dernier considère que Thierry Gentilhomme, le préfet du Tarn de l’époque, et le colonel Rénier ont violé des articles du Code de Sécurité Intérieure.

« C’est la première fois que la responsabilité de la chaîne de commandement apparaît ainsi dans un document officiel », indique à Reporterre Arié Alimi, l’un des avocats de la famille de Rémi Fraisse. « Les violations des articles du Code de Sécurité Intérieure par le préfet et le commandant du Tarn sont des éléments constitutifs de l’homicide involontaire. On espère que les juges d’instruction s’en saisiront. Si ce n’est pas le cas, nous le ferons », prévient-il.

Le préfet du Tarn, qui a quitté ses fonctions en août 2016 pour rejoindre le Conseil supérieur de l’appui territorial et de l’évaluation (CSATE), n’a toujours pas été entendu par les juges d’instruction toulousaines en charge du dossier. Anissa Oumohand et Elodie Billot ont refusé son audition, ainsi que celle de Denis Favier, le directeur général de la gendarmerie nationale, estimant qu’elles ne semblent pas utiles « pour l’heure et en l’état » selon des documents que Reporterre a pu consulter. Elles permettraient pourtant d’éclaircir les nombreuses zones d’ombre pointées par le Défenseur des droits. Mais aussi d’examiner de nombreux aspects laissés en suspens dans ce rapport.

Comment l’autorité civile compétente a-t-elle pu laisser « le choix de l’adaptation des objectifs et du dispositif à mettre en oeuvre (…) à la seule appréciation de la hiérarchie opérationnelle sur le terrain », selon les termes du Défenseur des droits, alors que cette opération était un rétablissement de l’ordre de haute intensité, soit un quasi état de guerre ? Pourquoi n’est-il pas fait mention du texto envoyé par Denis Favier au commandant du groupement de gendarmerie du Tarn ? « On est attendu sur les interpellations », a alors écrit Denis Favier depuis Paris où l’on suivait avec la plus grande attention les événements de Sivens. Pourquoi la responsabilité des supérieurs hiérarchiques du préfet du Tarn, à savoir le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre, n’est-elle pas évoquée dans le rapport pourtant exhaustif du Défenseur ?

« Normalement le préfet doit répondre du ministre de l’Intérieur. Mais on peut supposer que le Premier ministre Manuel Valls était particulièrement investi dans ce dossier et qu’il a pu donner des instructions particulières », avance Maître Alimi. Une implication dans l’affaire Rémi Fraisse qui pourrait être un caillou dans la chaussure de celui qui s’apprête désormais à entrer dans la course pour l’Elysée.

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