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Luttes

Naturalistes, ils entrent en résistance pour le vivant

Durant un week-end, une partie des Naturalistes en lutte s'est réunie pour échanger sur leurs pratiques, renforcer le réseau et penser à l’après.

Après une tribune publiée en février, Les Naturalistes des terres, collectif de professionnels et amateurs, aux premières loges dans l’observation de la biodiversité, élargissent leurs rangs et s’organisent pour peser dans les luttes écolos.

Nantes (Loire-Atlantique), correspondance

Les naturalistes travaillent dans des associations environnementales, des bureaux d’études ou des Conservatoires d’espaces naturels. Ils peuvent être ornithologues, animateurs nature, militants, étudiants ou amateurs. Ils observent au plus près la biodiversité, pour des inventaires, des programmes de recherches ou, entre autres, des suivis d’espèces. Mais ils se sentent parfois bien impuissants face au déclin du vivant. Désirant passer de l’observation à l’action, certains d’entre eux ont décidé de s’organiser dans un mouvement appelé Les Naturalistes des terres.

La publication d’une tribune, en février dernier, a lancé le collectif. « À Notre-Dame-des-Landes, les naturalistes en lutte ont eu une grande influence sur l’issue victorieuse de cette résistance, en découvrant des espèces protégées qui n’avaient pas été détectées lors des études d’impacts, mais surtout en faisant communauté de lutte avec les non-humains. Dans leur sillage, nous organisons un réseau de naturalistes en lutte sur tout le territoire, Les Naturalistes des terres. Nous souhaitons par ce geste doter notre pratique d’une portée politique et en revendiquer la dimension nécessairement anticapitaliste », écrivaient alors ses auteurs.

Au même moment, un annuaire cartographique était mis en ligne, permettant à tous les naturalistes le souhaitant de rejoindre le mouvement. Cette carte comptait, début avril, plus de 500 inscrits.

Lire aussi : Naturalistes, nous rejoignons les luttes locales

Des professions en plein doute

Dans le courant du printemps, une partie de ces naturalistes s’est réunie le temps d’un week-end, pour échanger sur leurs pratiques, renforcer le réseau et penser à l’après. Ce moment convivial a aussi été l’occasion pour certains de se confier sur leurs doutes vis-à-vis de leur profession. Ceux qui travaillent ou ont travaillé dans des bureaux d’études, notamment. Ils doivent réaliser des études d’impact environnemental pour des porteurs de projets fonciers. Mais cette position est complexe, puisque les commanditaires des études ont plutôt intérêt à ce que celles-ci leur permettent de bétonner sans soucis. Et en face, les bureaux d’études veulent garder leurs clients.

Sans compter l’ambiance délétère qui règne dans certaines de ces boîtes. Les naturalistes en bureau d’études sont souvent mal dans leur boulot. « Je n’ai pas encore fini ma formation, mais je sais déjà que je ne veux pas travailler dans un bureau d’études », a expliqué une participante. « En même temps, quand on débute dans la profession, c’est souvent là qu’il y a du travail », remarque un jeune homme. « Il faut arrêter de dire que tous les bureaux d’études sont le diable », estime un autre. « Quelquefois, il est possible de faire évoluer les projets. L’important, c’est de ne jamais se taire », assure un ancien salarié de bureau d’études.

Les Naturalistes des terres souhaitent aussi participer plus concrètement aux luttes écologistes. © Mathieu Génon/Reporterre

Les naturalistes en bureaux d’études ne sont pas les seuls à se questionner sur leur travail. Dans les associations de protection de la nature, aussi, les convictions se heurtent parfois à des réalités décevantes. Les charges de travail sont souvent trop importantes. Les dirigeants des associations sont parfois plus complaisants avec certains « partenaires », collectivités ou entreprises, que ne le souhaiteraient les salariés. Pour certains, il est même difficile de s’afficher dans certaines manifestations écolos.

D’autant que la loi Séparatisme de 2021 est venue s’ajouter aux questionnements qui traversent le secteur associatif. Pour recevoir des aides publiques ou pour obtenir l’agrément leur permettant d’agir en justice, les associations doivent désormais signer un « contrat d’engagement républicain ». Ce contrat prévoit que celles qui le signent « ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi ». Cela pourrait être utilisé comme un moyen de les museler, alors que la répression contre les militants écologistes s’est intensifiée ces derniers mois (manifestations interdites, menace de dissolution des Soulèvements de la Terre, nouveaux moyens de pistage, etc.)

De l’observation à l’action

Les interrogations de certains naturalistes portent plus globalement sur le sens des missions qu’on leur donne, comme quand, par exemple, ils doivent mettre en œuvre des mesures de compensation environnementale. Une véritable « arnaque », regrettent nombre d’entre eux, car les actions de renaturation ne permettent jamais réellement de contrebalancer la biodiversité détruite. Autre sujet de questionnement : quelle place pour la neutralité dans la pratique scientifique ? Des penseurs tels qu’Alessandro Pignocchi, Baptiste Morizot ou encore Léna Balaud et Antoine Chopot, auteurs de Nous ne sommes pas seuls (Seuil, 2021), nous invitent à repenser notre rapport au vivant. Leurs réflexions viennent nourrir celles des Naturalistes en lutte.

« Comment politiser les animations naturalistes ? » s’est interrogé un animateur nature. « Comment mieux mettre en récit nos recherches ? » s’est demandé une écologue. Les Naturalistes des terres réfléchissent à différentes pistes pour mieux agir pour la défense du vivant. Déserter ? S’organiser en syndicat ? Rendre publiques les mauvaises pratiques de certaines entreprises ou associations ? Devenir lanceurs d’alerte ? Repenser le fonctionnement des études d’impact ? Rien n’est définitivement acté, mais, déjà, « cela fait du bien de se sentir moins seul », confie le salarié d’une association.

Les Naturalistes des terres souhaitent aussi participer plus concrètement aux luttes écologistes. Leur aide peut être précieuse, par exemple pour réaliser des inventaires mettant en avant des espèces protégées non comptabilisées par des porteurs de projet prêts à détruire leurs habitats. D’où l’intérêt de s’organiser en réseau pour partager des connaissances juridiques. Ils peuvent aussi aider les militants des luttes environnementales à ne pas devenir néfastes pour la biodiversité des milieux qu’ils souhaitent défendre. « Nous construisons un réseau d’action politique, il y a un désir de se mettre en mouvement », rappelle l’une des initiatrices du collectif. Bref, les idées sont nombreuses, et l’on devrait entendre parler des Naturalistes des terres dans les prochains mois.

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