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ReportageAlternatives

Néopaysans, ils expérimentent la traction animale

Marie Peltier et Thomas Peyre cultivent dans le Nord grâce à la traction animale.

Aidé de chevaux, un jeune couple de paysans bio cultive des terres dans le Nord. La traction animale est un « choix de vie » qui leur permet de s’épanouir tout en récoltant.

Bourbourg (Nord), reportage

Marie Peltier et Thomas Peyre, 33 et 35 ans, se sont installés en 2020 sur la ferme de La Haute planche, à la sortie de Bourbourg, petite bourgade de la communauté urbaine de Dunkerque. Sur 8,5 hectares, ils produisent du blé ancien panifiable et des légumes de plein champ, destinés à la restauration collective, aux Biocoop et aux épiceries locales. Ils ont démarré l’élevage avec trois jeunes bœufs et neuf moutons, qui pâturent aux côtés de deux chevaux de travail. Un début réussi pour ces néopaysans aux trajectoires insolites.

Thomas a obtenu son baccalauréat STI arts appliqués au milieu des années 2000 et a, dès lors, multiplié les expériences. Tout d’abord des études de design d’intérieur aux beaux-arts de Valence (Drôme), puis le choix d’habiter en caravane. « Un des agriculteurs dans la région de Valence, à qui je rendais service en contrepartie de l’installation de ma caravane sur un bout de terrain, me parlait de son engagement politique ancré dans son activité professionnelle et de la complexité du métier, raconte-t-il. Ça m’a vraiment marqué d’être le matin tôt dans les champs, de faire quelque chose de mon corps et de comprendre l’intérêt de ce que je faisais. » Thomas s’est ensuite dirigé vers la Bretagne, s’y formant à la maçonnerie en bâtis anciens. Il a alors proposé à sa sœur Gaëlle de rénover la vieille ferme de celle-ci, La Haute planche, qui abritait un séchoir pour les plantes aromatiques et médicinales biologiques qu’elle cultivait.

Thomas Peyre s’est installé en 2020 sur la ferme. © Didier Harpagès / Reporterre

« Les rencontres et les occasions favorables m’ont convaincu de faire de l’agriculture mon métier, ajoute Thomas. En 2014, j’ai obtenu le brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole (BPREA) paysan-boulanger avec des options en élevage et maraîchage. » Il a expérimenté ensuite la traction animale au sein de plusieurs fermes jurassiennes. « Travailler au tracteur ne m’épanouissait pas, à cause du bruit du moteur et du mal de dos. J’avais l’impression, au moment des fenaisons, de transformer des litres de fioul en foin. »

Puis, au sein du réseau Atelier paysan, il s’est familiarisé avec la conception d’outils adaptés à une agroécologie paysanne. La rencontre avec l’association Hippotese (Hippomobile de technologie et d’expérimentation du Sud-Est) l’a attelé pour de bon à la traction animale.

Marie Peltier, au milieu des courges. © Didier Harpagès / Reporterre

La traction animale, un « choix de vie »

En 2020, de retour à Bourbourg chez Gaëlle, qui avait dû interrompre son activité à la ferme pour raison de santé, il a rencontré Marie Peltier par des amis communs engagés dans l’agriculture biologique. Marie a suivi des études de médecine. En 2016, elle a rejoint un cabinet médical partagé avec plusieurs collègues. Mais « accueillir des patients en souffrance, victimes des mauvaises conditions de vie et de travail, me mettait en colère. L’appareil de santé a un besoin majeur d’investissement public. C’est un non-sens de fixer à la santé et aux soins des objectifs de rentabilité tel que l’impose le système actuel de tarification ».

Marie s’est retirée du cabinet médical en 2019, se limitant à des missions d’intérim de quelques jours en milieu hospitalier. Chemin faisant, elle a découvert le travail des chevaux en forêt avec un débardeur belge et a participé ensuite à des chantiers de débardage dans le Pas-de-Calais. Elle a alors décidé de s’orienter vers l’agriculture et de pratiquer la traction animale.

Marie s’apprêtant à nettoyer une parcelle. © Didier Harpagès / Reporterre

Aux deux chevaux que possède le jeune couple, Noré, le hongre, et Étoile, la jument, sont attelés de nombreux outils, récupérés auprès d’anciens agriculteurs. Thomas les répare et les modifie, voire en fabrique lui-même. Noré et Étoile disposent chacun de 1 hectare pour leur nourriture. « On ne prend pas d’animaux qu’on ne peut pas nourrir, c’est un impératif si l’on veut être autonome en fourrage », souligne Marie.

Le choix de la traction animale n’est pas simple économiquement. « Ce n’est pas un choix économique, mais bien un choix de vie et un choix politique, dit Thomas. Avec le cheval, on vit dans l’organique et le local, dans un autre rapport au temps, on change totalement de paradigme. Mais s’équiper en animaux de travail est un réel investissement. L’énergie animale est une énergie renouvelable, mais elle n’est pas catégorisée en tant que telle par l’État et ne dispose d’aucune subvention. »

Courges, poireaux, artichauts...

Malgré le temps chaud et sec de cet été, les cultures de Marie et Thomas ont bien réagi. Le blé, de variété ancienne, semé durant l’automne précédent, a donné une jolie moisson réalisée en août à l’aide d’une moissonneuse-lieuse, suivie d’un battage début septembre. La farine obtenue permettra à Thomas de produire, au printemps 2023, les pains dont la cuisson sera assurée par le four qu’il construira lui-même. Les artichauts, semés en avril, ont déjà occasionné trois récoltes.

Racines d’orties. © Didier Harpagès / Reporterre

Sur un terrain qui était envahi par les orties, opiniâtrement déracinées par Marie, plusieurs variétés de courges se sont épanouies sans apport complémentaire d’eau. Seule la pluie les a arrosées et elle fut rare cet été. « En fait, explique Marie, nous les avons semées avant un épisode de pluie et très vite les feuilles ont couvert le sol, demeuré relativement humide. Le système racinaire des orties a creusé de minuscules galeries dans lesquelles l’eau a circulé. Un travail précieux, identique à celui des vers de terre ! » Les poireaux, arrosés la nuit par aspersion, se portent bien.

« Nous avons le projet de récupérer l’eau de pluie destinée principalement à l’abreuvement des animaux, dit Marie, qui se plaît à montrer la double haie, plantée récemment le long des parcelles. Dans cette région plate et ventée, les haies seront bénéfiques à la terre et à la biodiversité. »

Les néopaysans sont en « période test » dans la pépinière d’entreprises gérée par l’association À petits pas. Ils savent que l’équilibre ne sera atteint que dans quelques années. Bénéficiant de la mise à disposition des terrains et des bâtiments de la ferme par Gaëlle, ils supportent peu de charges et les missions de Marie financent leurs investissements. « Nous n’avons qu’une vie, alors autant vivre à fond nos envies et nos convictions », conclut Thomas.


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