Noël, fête du retour de la lumière, tire son origine des cycles de la nature

Durée de lecture : 7 minutes
Quotidien Écologie et spiritualité NoëlLa fête de Noël doit beaucoup au lien oublié de nos sociétés avec la nature. Reporterre vous emmène en voyage dans les temps de la Rome antique et des traditions celtiques.
D’où vient Noël ? La question semble avoir été posée mille fois, et sa réponse entendue : la date a été choisie par l’Église chrétienne pour fêter la naissance du Christ. Mais pourquoi cette date du 25 décembre ? Pourquoi la fin d’année, pourquoi si près du solstice d’hiver, qui marque le jour le plus court ? Et pourquoi ces symboles, du sapin à la bûche, en passant par les cadeaux ?
La première trace d’une fête chrétienne le 25 décembre remonte aux années 330, à Rome. À cette époque, la toute jeune Église cherche à « rattacher la vie du Christ à une histoire, mettre des dates et une chronologie », explique François Walter, professeur d’histoire honoraire à l’université de Genève et spécialiste de Noël. Mais plus personne ne se souvient de la date de naissance de Jésus… On mène alors l’enquête, cherchant des éléments de correspondance dans la Bible, le contexte, les paroles des uns ou des autres, et, finalement, « on décrète qu’il naît autour du 20, 25 décembre », rapporte l’historien.
« L’abondance promet l’abondance »
Ça tombe bien, à Rome, la date du 25 est libre. Et se trouve au milieu d’une période très marquée par les festivités : les Saturnales, du 17 au 23, les Calendes, qui commencent le 31, et les « douze jours », du 25 au 6 janvier. Les « douze jours » ? « L’année solaire comptant 365 jours, et l’année lunaire 12 de moins, il y avait un moment de vide afin d’ajuster les calendriers. Douze jours qui, dans les traditions anciennes, étaient redoutés », explique François Walter. Craignant qu’il ne leur arrive quelque malheur, les gens arrêtaient toute activité durant cette période, et faisaient la fête ! « Le christianisme a voulu mettre de l’ordre, qu’on ne fasse pas la fête pendant des semaines et des semaines : avec Noël au milieu, on s’est dit que les gens ne seraient pas seulement attirés par les fêtes païennes, que, peut-être, il y aurait une place pour la célébration chrétienne. » Finalement, celle-ci a aimanté toutes les autres, devenant une « fête composite », et « donnant une tonalité chrétienne aux fêtes préexistantes », selon François Walter.
Car avant Noël, des rituels liés à l’hiver et à la fin d’année existaient déjà. Par exemple, la décoration des maisons : « Les païens utilisaient des chandelles et des branchages de laurier, ou d’un autre arbre toujours vert. À cette saison où tous les arbres sont dépouillés de leurs feuilles, il s’agissait d’un symbole prometteur pour la nouvelle année, qui conjurait la stérilité hivernale, et faisait espérer une nouvelle année féconde », raconte Nadine Cretin, historienne des fêtes.

« On vénérait des dieux réputés pour apporter des bienfaits sur la terre, assurer le renouveau de la végétation, la fécondité du bétail, des ressources agricoles », poursuit François Walter. Une grande importance était donnée à la mémoire des morts : on leur laissait une place et de la nourriture sur la table. Sans oublier, évidemment, de « faire la fête », à l’aide de grands repas, « très abondants et copieux, avec des desserts riches, fruits secs, épices, amandes… Car l’abondance promet l’abondance », analyse Nadine Cretin.
Autre rituel qui nous est parvenu, en Provence : une coutume consistait à mettre des grains de blé à germer à la Sainte Barbe, le 4 décembre. « Si le blé était bien venu à Noël, avec des pousses bien drues et droites, cela annonçait de bonnes récoltes », relate l’historienne. Ou encore la fameuse tradition de la bûche, probablement celtique : « Durant cette nuit du solstice, il ne faut pas que le feu s’éteigne, sinon le présage est très néfaste pour les récoltes à venir et la famille. Donc, on utilisait la plus grande bûche possible », explique François Walter.
« Lire les signes annonciateurs de ce que sera l’année végétative »
Le lien avec les rythmes naturels est même plus précis, poursuit Walter : « Dans beaucoup de ces rituels, rattachés à la tradition celtique, apparaît le problème du retour du soleil. » En approchant de la date du solstice d’hiver, le jour le plus court de l’année dans l’hémisphère Nord, le Soleil passe de plus en plus bas sur l’horizon. À partir d’une certaine latitude, le soleil disparaît même durant plusieurs jours. « Dans les sociétés nordiques notamment, ce phénomène générait une inquiétude : est-ce que ça va s’arrêter ? Effectivement à partir du solstice, le soleil remonte, les jours rallongent, et on célébrait ce moment le Soleil reparaît. »
En fin de compte, les différentes traditions (païennes, romaine, chrétienne) attribuent des significations relativement similaires à cette période de l’année : de la nativité chrétienne (étymologiquement, Noël signifie « naissance ») à l’espoir que la terre soit féconde, du rallongement des jours après le solstice d’hiver à l’apparition d’un « fils de Dieu » décrit par la Bible comme « lumière du monde ». Au point qu’on ne sait parfois plus qui a inventé quoi. Comme pour la fête de Mithra, célébré à Rome le 25 décembre : les spécialistes se disputent pour savoir si ce culte du « Soleil invaincu » (« Sol invictus », en latin) a inspiré le Noël chrétien, ou si, au contraire, c’est à cause du choix des chrétiens que les adeptes romains du culte du Soleil ont développé une nouvelle fête à cette date.

Qu’est-ce que cela nous dit du rapport des sociétés anciennes à leur environnement ? « Elles vivaient au rythme de la nature, donc elles la respectaient, attentives à des phénomènes qui comptent peu pour nous, analyse François Walter. Est-ce que la terre va donner, est-ce que la météo sera favorable… On essayait de lire les signes annonciateurs de ce que sera l’année végétative. Toutes les sociétés anciennes étaient attentives à cela, parce que c’est vital. » Frisant parfois la superstition, même si l’historien trouve ce terme trop fort, préférant parler d’« empirisme » et de « raisonnement par l’expérience ». « Il y avait une sorte d’attente de la normalité. Que les saisons se renouvellent comme cela avait toujours été, sans excès d’un côté ni de l’autre. »
« Ces moments étaient très mal connus : la famille s’agenouillait, invoquait les ancêtres, sans réfléchir, en répétant les gestes des parents. Jusqu’au début du XXe siècle, la nuit de Noël était encore sacrée, indépendamment de la naissance du Christ », rapporte Nadine Cretin. Puis la société s’est sécularisée et n’a plus attaché la même importance à ces rites. « Avec l’invention des engrais, on n’avait plus le même recours aux pratiques magiques pour s’assurer les bonnes récoltes », poursuit l’historienne. Peu sujette aujourd’hui aux aléas climatiques ou astronomiques, l’abondance reste néanmoins recherchée à Noël, depuis les magasins et jusque sur les tables et au pied des sapins.
LA FÊTE DE YULE, ANCÊTRE DE NOËL OU INVENTION NATIONALISTE ?
Étant donné leur place centrale dans nos sociétés, ces traditions de fin d’année n’ont pas manqué d’être investies et utilisées par de nombreux courants de pensée. L’année dernière, le Huffington Post interrogeait des personnes qui avaient « choisi de célébrer le solstice d’hiver » plutôt que Noël. Une frange de néopaïens cherchent ainsi à réhabiliter ce qu’ils appellent la fête de Yule, prétendue ancêtre de Noël dans la culture germanique. Or, « il n’y a pas de document qui atteste cela, uniquement des reconstructions faites tardivement, dans les années 1830, par des folkloristes, ethnographes et anthropologues, corrige François Walter. Cela s’inscrit dans le cadre d’une idéologie nationaliste, qui cherchait à se rapprocher des traditions anciennes, datant d’avant le christianisme », souligne-t-il.
Ainsi, l’idée d’un Noël « véritablement païen », reprenant des pratiques d’avant le christianisme, a connu son apogée… sous le nazisme. Impulsé par Himmler, cette fête reprenait l’idée d’une renaissance de la lumière (incarnée cette fois par le IIIe Reich), et entendait se détacher du christianisme en revenant à une identité « pure », germanique et préchrétienne.