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Climat

Non, le jour du dépassement ne recule pas vraiment

Le 2 août 2023, le monde a consommé l’ensemble des ressources que la Terre peut lui fournir en un an. Ce « jour du dépassement » a reculé de cinq jours par rapport à 2022, mais surtout grâce à une modification de son calcul.

Derrière l’effet d’annonce se cache un tableau toujours aussi sombre. Cette année, le mercredi 2 août est mondialement marqué au fer rouge : il s’agit du « jour du dépassement ».

Déterminée par les calculs de l’ONG Global Footprint Network, cette date sonne le glas de la disponibilité des ressources que la Terre peut fournir en un an. En résumé, au-delà de ce jour, nous vivons à crédit écologique.

Un recul dû à un meilleur calcul

En 2022, le jour du dépassement avait été fixé au 28 juillet, soit cinq jours plus tôt que cette année. Mais dans le détail, « les avancées représentent moins d’un jour », explique l’ONG dans un communiqué. Les quatre jours restants sont le fruit d’une méthode de calcul différente « plus précise, et corrigeant des surestimations ».

Pour Jean-Louis Bergey, coordinateur de la prospective à l’Agence de la transition écologique (Ademe), « un jour de plus ou de moins revient au même en termes purement mathématiques ». Avec la guerre en Ukraine et ses conséquences sur la production de céréales « sans doute y a-t-il eu un peu moins d’importations et donc de consommation ».

La consommation de presque deux planètes Terre

Pour calculer cette date fatidique, les experts étasuniens comparent l’empreinte écologique des pays avec la biocapacité de la planète, c’est-à-dire la surface disponible permettant de produire les ressources et d’en absorber les déchets. La moyenne mondiale atteint alors 1,7, soit l’équivalent de presque deux planètes pour couvrir la consommation actuelle de l’humanité.

L’empreinte écologique englobant les émissions de gaz à effet de serre ne cesse de croître de manière constante depuis plusieurs années, tandis que la biocapacité de la Terre s’amenuise. « Ce qui pèse lourd dans la balance, ce sont les émissions de gaz à effet de serre liées aux énergies fossiles, souligne Jean-Louis Bergey. Viennent ensuite la pêche et l’agriculture. »

« La réduction du dépassement est beaucoup trop lente »

Depuis cinq ans, la date du jour du dépassement stagne. « Il est difficile de déterminer dans quelle mesure ce phénomène est dû au ralentissement économique ou aux efforts délibérés de décarbonisation. Quoi qu’il en soit, la réduction du dépassement est beaucoup trop lente », insistent les experts du Global Footprint Network.

Pour atteindre l’objectif fixé par le Giec de réduction des émissions de carbone de 43 % dans le monde d’ici 2030 par rapport à 2010, il faudrait que le jour du dépassement recule de dix-neuf jours par an au cours des sept prochaines années.

La sécurité alimentaire en péril

« Le dépassement persistant » entraîne des conséquences de plus en graves telles que « des vagues de chaleur inhabituelles, des incendies de forêt, des sécheresses et des inondations, avec le risque de compromettre la production alimentaire », insiste Steven Tebbe, à la tête du Global Footprint Network.

Dans un communiqué, le WWF alerte ainsi sur la menace pesant sur les futurs approvisionnement en eau douce mettant en péril la sécurité alimentaire : « L’agriculture représente 70% de l’utilisation de l’eau douce [dans le monde] », observe l’ONG. Celle-ci enjoint en réponse à intensifier la transition de l’agriculture vers l’agroécologie (couverture des sols, agroforesterie…).

La France à la traîne

Les rares périodes où la situation ne s’est pas aggravée sont celles marquées par les récessions économiques : celle liée au choc pétrolier dans les années 1970, puis en 2008 après la crise des subprimes.

En 1970, le jour du dépassement écologique était estimé au 29 décembre. Puis au 9 octobre en 1995, au 23 septembre en 2000, et au 7 août en 2010. Cette année, la France a atteint son propre jour du dépassement le 5 mai, comme c’est le cas depuis 2017. Si toute l’humanité vivait comme les Français, il faudrait l’équivalent de 2,9 planètes Terre pour subvenir aux besoins de tous.

États-Unis et Canada ne dépassent même pas mars

Parmi les pays qui vivent le plus à crédit on trouve le Qatar — dont le jour du dépassement est fixé au 10 février —, le Luxembourg (14 février), le Canada ou les États-Unis (13 mars).

Les pays en voie de développement comme la Chine (2 juin) ou le Brésil (12 août) obtiennent un score légèrement meilleur, mais leur consommation en constante augmentation devrait creuser leur écart.

Seuls trois pays maintiennent pour l’instant une consommation adaptée à leur ressources : la Jamaïque (20 décembre), l’Équateur (6 décembre), et l’Indonésie (3 décembre).

Sur les 189 pays analysés par l’ONG, 51 (majoritairement situés en Afrique et en Asie) n’apparaissent pas dans ce triste classement, leur empreinte écologique par habitant restant inférieure à la biocapacité mondiale.

Il s’agit, entre autres, de la Guinée-Bissau, du Suriname, du Congo, du Kenya, de l’Inde, du Népal, du Pakistan ou des Philippines. Des pays épargnés par ce jour du dépassement, mais qui font pourtant les frais des conséquences du réchauffement climatique dû à l’activité des autres pays.

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