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Notre-Dame-des-Landes

Notre-Dame-des-Landes : le pari des rebelles est gagné

Organisé rapidement, devenu alternative au référendum, le blocage festif de la voie express bordant la Zad de Notre-Dame-des-Landes a été, samedi, un succès sans précédent. La résistance au projet d’aéroport est populaire et tenace.

-  Notre-Dame-des-Landes et alentour (Loire-Atlantique), reportage

Les glissières de la voie express n’ont jamais connu un tel ramdam. Le double cortège qui a envahi vers 10 h 30, samedi 27 février, les quatre voies de circulation de l’axe Nantes-Vannes s’est mué en rythme collectif obsédant. Le jeu de quelques coups de bâton sur ces barrières de sécurité a vite été repris, multiplié, amplifié par des milliers de tambourineurs qui s’en sont donné à cœur joie en trouvant un bâton ou une branche sur le terre plein-central ou les bas-côtés. Une énergie incroyable, courant, vibrant sur des kilomètres de profilé métallique, a rempli l’air comme un concert de techno artisanale inspiré par les Tambours du Bronx et une batucada prenante et enjouée. Certains y ont vu une « métaphore de l’action collective », sans chef d’orchestre, écrivant dans l’improvisation des boucles rythmiques, capable de désunir et de se reformer pour imposer un tempo combattif. La rumeur joyeuse et déterminée permettait à peine de se parler dans le cortège.

Pour le préfet, le chiffre public annoncé aura été de 15.000 personnes. Pour les organisateurs, plus de 60.000 et « certainement la plus grosse manifestation pour la sauvegarde du bocage de Notre-Dame-des-Landes et pour le soutien à celles et ceux qui font vivre cette Zad », a dit l’association citoyenne Acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes). Certains dans la foule s’estimaient à 100.000.

Seul l’hélicoptère de la gendarmerie, qui a survolé jusqu’après la nuit tombée, projecteur braqué au sol, a eu une vision exhaustive de la foule, des milliers de voitures et des 68 cars venus de toute la France, garés dans des zones industrielles, sur des bretelles d’accès, au bord des départementales, dans des chemins, au milieu des tronçons de route assez larges pour accueillir deux files de véhicules stationnés et une file au centre. Sans compter les tracteurs, bétaillères, camions-sono, fourgons-cantine et estafettes-buvette, qui se sont installés au milieu de la foule sur la voie express. Venant du point de ralliement sur l’autre voie express enserrant la zone, l’axe Nantes-Rennes, quatre centaines de vélos et une trentaine de tracteurs ont rejoint le gros de la manif.

 « Un symbole des luttes actuelles »

Les drapeaux d’organisation voisinaient avec les créations personnelles. Un avion jouet encagé dans une boule de grillage à poules suspendu à une perche, un flotteur de filet de pêche orné de l’inscription « Ni Dieu ni aquarium. Zad en mer ! », une grosse cloche à vache tintant au guidon d’un vélo. Des pancartes à bout de bras clamaient « Des courgettes, pas des jets », « Dunkerquois contre l’aéroport » ou « C’est non, disent les salamandres et les campagnols », mais aussi, plus large, « Sauvons la Zad et le code du travail », « Licencions le gouvernement et le président ».

Lors du « blocage festif » de la voie express bordant la Zad de Notre-Dame-des-Landes, le samedi 27 février 2016.

La bannière de la Jeunesse ouvrière chrétienne, venue de Belgique, côtoyait celle des Kurdes. « Regarde autour de nous, a fait remarquer un militant de Limoges, un drapeau basque, un occitan, un breton, un noir et vert anarcho-écolo, la confédération paysanne, Attac, la CNT, le Larzac, le Front de gauche, Bure : cette lutte de Notre-Dame-des-Landes a plein de portes d’entrée et dépasse largement la question de l’aéroport. »

« C’est un peu un symbole des luttes actuelles, a ajouté son voisin. Dans un contexte où le mouvement social a plutôt collectionné les défaites de batailles qui n’ont pas été menées, la dernière grande lutte collective étant les retraites, qu’on a perdue. Ici, on n’a pas gagné, mais ça dure et ça prend sérieusement tournure. »

Des tags « Zad partout » ont fleuri sur les piles des ponts autoroutiers, des carottes géantes perforant des avions blancs ont été peintes à même l’asphalte. Une station service Total a rapidement été décorée, le bombage « prix libre » recouvrant le panneau des tarifs de l’essence et du gazole, l’enseigne Total devenant « anarchie totale », à côté d’un immense tag « Mange tes morts, comme en Birmanie » (où la multinationale pétrolière est accusée par des ONG d’exécutions, de travail forcé et de soutien financier à la junte). Un extincteur à poudre, dont le contenu a été libéré à l’air libre, a improvisé avec le vent une incroyable chorégraphie de volutes immaculées sous l’auvent des pompes.

« Si jamais Valls veut attaquer la Zad, il y aura du monde, beaucoup de monde, à venir la défendre »

La marche a continué. On a pique-niqué sur la pente des bas côtés, on pissait plus loin, dans les ajoncs. Cerné par des milliers de manifestants réjouis, le chantier d’établissement de la vigie avançait bien. La construction de près de sept mètres de haut a un air de silo circulaire sur échasses métalliques encâblées. Le toit en chapeau chinois était assemblé au sol pendant que la partie haute était montée et boulonnée. Ce poste d’observation se veut un symbole visible de la résistance, implanté au bord de la voie express, sur un des sites prévus comme échangeur d’une voie de desserte de l’aéroport, « barreau routier » dont le tracé souligne, d’ouest en est, l’emprise de la Zad. Ce poste de veille pirate est inspiré des presidios installés face aux tronçons de chantiers sous haute protection policière de la liaison ferroviaire Lyon-Turin, dans le val de Suse italien, avec qui la Zad entretient des contacts constants.

Ce samedi 27 février, le mot d’ordre de la mobilisation était : « Pour l’abandon du projet d’aéroport et pour l’avenir de la Zad », envisageant donc sérieusement un futur. Lancée avant l’annonce du projet de référendum, cette manifestation était prévue pour construire un rapport de force en cas de tentative d’évacuation de la Zad – paysans et zadistes confondus. Il reste pourtant de cette journée piétonne sur un bitume gagné aux flots de voitures comme une réponse très claire à la question pour ou contre l’aéroport lancée le 11 février par François Hollande en remaniant son gouvernement pour faire une place aux écolos. Une consultation dont on ne sait toujours ni le calendrier, ni la question qui serait posée, ni même le périmètre électoral. « Pas besoin de voter, suffit de voir ici la réponse du peuple à cette aberration », a dit un militant d’un comité parisien. «  En tout cas, ça veut clairement dire que, si jamais Valls veut attaquer la Zad, il y aura du monde, beaucoup de monde, à venir la défendre et à la soutenir », ajoute une quinquagénaire brestoise, un verre de blanc à la main, au cul d’un fourgon-buvette cerné par la foule .

Le point de stationnement des véhicules se trouvant à plus de cinq kilomètres, un service de bétaillères a fait la navette pour reconduire des piétons entassés et ravis. Au passage, surprise : le long de la glissière de la voie express, deux gendarmes mobiles en calot, casque à la ceinture, alternaient quolibets et interpellations curieuses ou narquoises. Dans la journée, à part l’hélico, les gendarmes se sont faits très discrets, se contentant de dérouter la circulation. À distance de la présence incongrue de ces deux pandores, une demi-douzaine de fourgons bleu marine ont gardé le reste de la troupe. En face d’eux, la station service. Lieu sensible. Les tags, ça va, mais le stock d’essence se surveille comme l’huile sur le feu.

Monté sur une plate forme agricole, le groupe anarcho-punk belge René Binamé a fait remuer ses fans et hurler son tube « Kestufé du week-end ? ». Sur les tabliers des ponts, d’énormes banderoles donnaient la réponse : « L’abandon, c’est maintenant. » La nuit est tombée. Place aux concerts, à la bière et aux cantines végétariennes à La Pointe, dans une maison murée, appartenant au département et rouverte pour le week-end. Pour danser en bottes, c’était bien, mais on pataugeait vite. C’est la Zad, où tout le monde reste de boue.

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