Nouvelle-Calédonie : en mer de Corail, une biodiversité mal protégée

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Nature Eau et rivièresLe parc naturel de la mer de Corail, la plus grande aire protégée de France, dispose du plus bas niveau de protection possible. La préservation de cet espace immense bénéficierait amplement de garanties plus solides pour assurer l’avenir des espèces qu’il abrite face aux velléités minières, touristiques ou halieutiques.
- Nouméa (Nouvelle-Calédonie), correspondance
Sternes, fous, frégates… des milliers d’oiseaux marins occupent les îlots Chesterfield, dispersés à mi-chemin entre la Nouvelle-Calédonie et l’Australie. Sous l’eau, les récifs coralliens débordent de vie, les poissons sont partout. Ces îlots et leurs récifs éloignés comptent parmi les derniers espaces au monde peu touchés par l’homme. Une richesse qui a motivé la création de la plus grande aire protégée de la France en 2014 : le parc naturel de la mer de Corail. Il couvre la zone économique exclusive de la Nouvelle-Calédonie, soit 1,3 million de km², récifs éloignés inclus. Cela compte pour 53,4 % de la superficie totale des aires marines nationales. Sauf qu’entre cet affichage grandiose et la réalité des mesures de conservation, il y a un grand fossé.
À ce jour, seuls 2 % de la surface du parc bénéficient d’un statut de protection. « C’est une aire marine protégée de catégorie VI selon l’IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature), le plus bas niveau qui existe », commente pour Reporterre Philippe Borsa, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Et même dans cette petite portion protégée, l’espace ne bénéficie pas partout du même statut. Quelque 7.000 km² autour d’îlots éloignés ont été classés en réserve intégrale. Interdiction de s’y rendre sauf en cas d’urgence vitale ou de mission scientifique. Les autres îlots et récifs sont des réserves naturelles. S’il est interdit d’y pêcher, le tourisme reste possible. « C’est une aberration, s’insurge Philippe Borsa. Ces îlots ont les mêmes caractéristiques que ceux classés en réserve intégrale, ils sont aussi importants pour la reproduction d’oiseaux rares. La présence de quelques visiteurs cause de sérieux dégâts sur les colonies, il ne faudrait pas les approcher à moins de 118 mètres, or les oiseaux nichent à seulement quelques mètres de l’estran, ce qui devrait interdire toute visite sur l’ensemble de ces îlots. »

Pour le scientifique et les associations environnementales locales, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie voit en la création de ce parc un moyen de développer l’« économie bleue », des activités maritimes rentables. La promotion du tourisme notamment. Pour preuve, dès la mise en réserve des récifs éloignés en 2018, l’exécutif a annoncé l’organisation d’une croisière de luxe vers ces sites, opérée par la compagnie Le Ponant. Deux cent personnes à bord… L’annonce a fait un tel tollé que le projet a été suspendu. Depuis, aucune nouvelle autorisation n’a été accordée mais le plan de gestion en prévoit la possibilité.
« La création du parc n’a pas eu d’effet non plus sur la gestion de la pêche, explique à Reporterre la spécialiste de l’impact de la pêche sur l’écosystème pélagique, chercheuse à la Communauté du Pacifique, Valérie Allain. Aucune nouvelle mesure n’a été prise quant à cette pratique. » En dehors de la mise en réserve de certains sites, rien ne protège donc les ressources marines.
Il n’est pas non plus interdit d’explorer des fonds sous-marins. Un enjeu de taille car on suspecte la présence de gisements de sulfures massifs volcanogènes autour des îles Matthew et Hunter, d’encroûtements ferromagnésiens et de nodules polymétalliques dans les grandes profondeurs. Des éléments au potentiel économique fort, dont la Nouvelle-Calédonie pourrait profiter. Elle bénéficie d’une grande expérience minière, et la France a de l’avance dans ce secteur. Des études alertent pourtant déjà depuis des années sur les potentiels impacts d’une telle activité.
Des fonds marins explorés à coups de drones
Si aucune recherche n’a officiellement démarré, l’entreprise française d’exploration des grands fonds Abyssa s’est implantée en Nouvelle-Calédonie. Elle proposera une flotte de drones sous-marins destinés à améliorer les connaissances sur les sols profonds. La raison invoquée ? L’acquisition de données permettra une décision éclairée des conditions d’exploitation des ressources ou de la sanctuarisation d’espaces maritimes. « En même temps, sans activité humaine, nous n’aurions pas de données, observe Valérie Allain. Ce parc est immense, jusqu’ici, une grande partie des données que nous acquérons sur les fonds et les espèces présentes nous vient des pêcheurs. Il est impossible de ne financer que des missions scientifiques dans tout cet espace. »
Le faible niveau de protection n’est pas inhérent au parc de la mer de Corail. La France estime avoir atteint les objectifs d’Aïchi avec 30 % de ses eaux protégées, mais moins de 1,7 % bénéficie d’une réelle protection. « Il est nécessaire d’étendre les protections fortes, reconnaît François Gauthiez, directeur de l’appui aux stratégies pour la biodiversité à l’Office français de la biodiversité (OFB) dans le compte-rendu des journées de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) sur l’évaluation des aires protégées. Avant de nuancer : « Se pose la question du reste des aires protégées, les catégories V et VI de l’UICN. Il ne faudrait pas que la défense des premières conduise au dénigrement des secondes. Il suffit de traverser un parc naturel régional pour voir à quel point les infrastructures agroécologiques y sont nettement plus développées qu’à l’extérieur. »

Force est de reconnaître que la création du parc naturel de la mer de corail pose des jalons. Il n’existait avant cela aucun statut de protection pour les récifs éloignés, pourtant identifiés comme étant parmi les derniers sanctuaires marins au monde.
Par ailleurs, d’autres sites du parc, les monts sous-marins, ont été identifiés comme des zones d’intérêt écologique majeur. Leur mise en réserve est en question, même si cela prend du temps. « Le parc marin de la mer d’Iroise ne s’est pas créé en un jour, souligne l’ethnoécologue à l’IRD, Catherine Sabinot. Ce temps long doit conduire à des règles de gestion négociées entre les acteurs concernés, accompagnées de mesures de surveillance ajustées et réalistes. » La chercheuse participe actuellement à un projet évaluant le comportement des oiseaux en cas de dérangement sur les îlots du lagon et comment les usagers perçoivent leur propre nuisance. Ces données permettront de proposer un outil d’aide à la gestion de fréquentation des îlots. Il pourrait s’appliquer à ceux, beaucoup plus éloignés, du parc naturel de la mer de Corail.
Les associations gardent leur mot à dire
Pour la scientifique, l’une des avancées clés avec la création du parc relève de sa gouvernance. « La zone économique exclusive est désormais dotée d’un comité de gestion, il met autour de la table tous les acteurs concernés par le parc, associations comme acteurs économiques, précise-t-elle. Le gouvernement calédonien n’est donc pas le seul acteur de la décision. » Ainsi, si demain la pêche souhaitait s’intensifier, la question serait discutée collégialement. « Mais cela a peu de chances de se produire, le secteur de la pêche est durable en Nouvelle-Calédonie, rassure Valérie Allain. Seuls les navires au pavillon calédonien ont une autorisation. Il y a moins de vingt licences délivrées à ce jour, les prises sont très faibles par rapport aux îles voisines du Vanuatu et des Fidji. »
Reste que dans le monde, une tendance forte à la rétrogradation est observée. La FRB relève que plus de soixante-dix pays ont annulé et ou affaibli leurs zones de protections depuis les années 2000. Dans 62 % des cas, ces changements sont associés au développement d’activités industrielles. Il ne faudrait donc pas que les connaissances acquises sous le couvert d’un besoin de mieux protéger conduisent au déclassement de zones identifiées comme riches de ressources économiques dans le parc naturel de la mer de Corail.