Nucléaire : « La discussion entre la société et les décideurs ne marche pas »

Ces prochaines années, le gouvernement souhaite fortement relancer le parc nucléaire français. Ici, la centrale de Cruas (Ardèche). - Alain Bachellier / Flickr / CC BY-NC-ND 2.0
Ces prochaines années, le gouvernement souhaite fortement relancer le parc nucléaire français. Ici, la centrale de Cruas (Ardèche). - Alain Bachellier / Flickr / CC BY-NC-ND 2.0
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Nucléaire PolitiqueÀ cause de doutes au sujet de l’utilité du débat sur la construction de réacteurs nucléaires à Penly, la commission a réorienté les discussions sur « la place du public dans la gouvernance de la politique nucléaire ».
Dans un communiqué de décision du 7 février, la CNDP (Commission nationale du débat public) a annoncé que le débat prévu sur les nouveaux réacteurs EPR2 de Penly, en Seine-Maritime, porterait désormais sur « la place du public dans la gouvernance de la politique nucléaire ». Un revirement inattendu sur lequel revient pour Reporterre Michel Badré, président de la commission particulière chargée de l’organisation.
Reporterre — Pourquoi ce changement de programme, à quelques semaines de la fin du débat public sur les EPR2 ?
Michel Badré — Depuis le début, beaucoup se posaient la question de savoir si ce débat servait à quelque chose. Il y avait le sentiment que la décision avait déjà été prise.
À la CNDP, notre position a toujours été de dire : « Non, la décision n’est pas prise, elle dépend du Parlement et sera votée l’été prochain. » On a tenu ce discours jusqu’au 15 janvier à peu près. Et puis après, de nouveaux éléments nous ont poussés à changer de direction pour les dernières semaines du débat.
En premier, il y a eu le vote du projet de loi sur l’accélération du nucléaire au Sénat, ensuite le conseil de politique nucléaire qui s’est réuni à l’Élysée, et après, les deux réunions qui ont été empêchées à Lille et à Lyon… Cela nous a conduits à considérer que les doutes sur l’utilité du débat avaient été renforcés. La preuve, c’est que les deux organisations qui avaient accepté d’y participer, Sortir du nucléaire et Greenpeace, ont décidé de se retirer.
On avait envie que le débat subsiste quand même, parce que c’est un lieu d’expertise partagée, de pluralisme. Donc, on s’est dit qu’on allait rediriger les échanges vers la question de l’utilité du débat, pour qu’il serve vraiment à quelque chose.
Selon vous, il y a trois mois, ce projet de loi d’accélération du nucléaire ne semblait pas être un obstacle au bon déroulement du débat. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
La loi d’accélération du nucléaire n’aurait dû porter que sur des procédures, et pas sur des orientations politiques. Mais dans les amendements qui ont été ajoutés à ce texte, il y a des dispositions de politique nucléaire, comme l’abandon du plafond des 50 % de la production nucléaire dans l’électricité en 2035. On ne nie pas du tout que c’est au Parlement de prendre ce genre de décisions, c’est son travail et sa responsabilité. Mais ça pose quand même un problème de calendrier par rapport au débat public sur le même sujet. On nous a dit : « Vous marchez sur les plates-bandes du Parlement, vous n’êtes pas élus. » Mais dans la Constitution, il est écrit que toute personne a le droit de participer à l’élaboration des décisions. C’est une question de mettre les choses dans le bon ordre.
Ne vous sentez-vous pas un peu pris de court par le gouvernement ?
Je ne me sens pas court-circuité parce que je pense que les gens qui ont pris cette décision n’ont pas apporté une extrême importance au fait qu’il y ait un débat public en parallèle. Mais là n’est pas la question. Le sujet principal, c’est que le discours consistant à dire qu’il faut accélérer et simplifier les procédures parce que c’est très urgent n’est pas suffisant si on n’introduit pas aussi le fait que le public peut avoir des choses à dire. Que les riverains autour de Penly ont le droit de participer à la décision. La question, c’est de savoir comment on va les consulter, recueillir leurs avis tout au long du projet.

Sur ce point, n’y a-t-il pas une déception par rapport à la façon dont les choses se sont passées depuis le début du débat ?
Ce débat a avant tout une utilité démocratique. Et ce que l’on constate, c’est qu’en ce moment, la discussion entre la société en général et les dispositifs de prise de décision ne marche pas. Donc, ce n’est pas qu’on est déçu, mais plutôt qu’on veut que ce débat serve à quelque chose. Moi, je serais vraiment déçu si ce n’était pas le cas.
Qu’attendez-vous de ces dernières semaines de débat ?
Il nous restait encore quatre réunions de prévues, mais on ne va pas les tenir. À la place, on va poser une question à tous les participants du débat : comment pourrait-on améliorer le système pour que les citoyens n’aient pas l’impression qu’on les consulte sur des décisions déjà prises ? Ensuite, on va confronter leurs réponses et essayer de dégager des pistes.
Réorienter le débat sur les enjeux démocratiques et en modifier le planning est une prise de position assez forte de la CNDP, dans un contexte favorable au développement du nucléaire. Comment faut-il l’interpréter ?
J’aimerais bien que ce ne soit pas interprété comme le fait que la commission soit antinucléaire ! Notre rôle n’est pas de dire si on est pour ou contre le projet. En revanche, on est contre le fait qu’un projet se décide sans que le public ait pu s’exprimer.