Nucléaire : le fiasco de Flamanville en débat

L'EPR de Flamanville (Manche), en 2022. - © Sameer Al-DOUMY / AFP
L'EPR de Flamanville (Manche), en 2022. - © Sameer Al-DOUMY / AFP
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NucléaireLe 1er décembre, à Caen, les intervenants du 4e débat public sur le nucléaire ont tenté de tirer les leçons des échecs successifs qui ont frappé le projet d’EPR à Flamanville. Sans calmer les inquiétudes des antinucléaires.
« L’enjeu est de s’assurer que l’on ne refait pas la même chose qu’il y a quinze ans. » Le mot de la fin de l’organisateur de ce nouveau débat [1] organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) résonnait-il comme un avertissement ? C’est en tout cas comme cela que les militants antinucléaires venus nombreux ce soir-là l’ont interprété — en témoignent leurs applaudissements approbateurs. « L’enjeu » est de taille pour EDF, l’exploitant : faire oublier le fiasco du chantier de l’EPR de Flamanville (Manche), et construire six EPR2 d’ici à 2050, comme l’a annoncé Emmanuel Macron en février dernier, à Belfort. Soit des versions optimisées du réacteur nucléaire EPR : plus faciles et, surtout, moins chères à construire. Le chantier des deux premiers EPR2 devrait démarrer dès 2024, sur la centrale de Penly (Seine-Maritime).
Jeudi 1er décembre, plusieurs acteurs et actrices du monde du nucléaire étaient réunis à Caen pour le débat (retransmis en ligne) intitulé : « Que s’est-il passé à Flamanville ? Quels enseignements en a-t-on tirés ? ». Démarrée en 2007, la construction de ce réacteur n’est toujours pas achevée — il devrait être livré fin 2023. Les coûts ont été multipliés par cinq, atteignant près de 20 milliards d’euros. Il faut dire qu’il a accumulé les échecs : une cuve de béton non-conforme, des soudures qu’il a fallu refaire à plusieurs reprises, des défauts dans les tuyauteries, etc.
« Perte de la culture de qualité au sein de la filière EDF »
Comment en est-on arrivé là ? Publié en juillet 2020, un rapport de la Cour des comptes est venu mettre en lumière les dérives et les surcoûts des EPR français et étrangers. Le constat est si sévère que la Cour préconise une remise à plat de la rentabilité de la filière avant d’envisager la moindre nouvelle construction. Le projet de réacteur situé dans la Manche est « un échec opérationnel » résume Jean-Paul Albertini, président de la section Énergie de la deuxième chambre de la Cour des comptes et présent au débat.
Pour comprendre, il faut remonter le temps, explique-t-il. À commencer par 1998 lorsque l’Allemagne a mis fin à neuf années de « coopération sur le projet d’EPR » en se retirant du nucléaire. « La France se retrouve seule à le porter alors même que les grandes orientations avaient été conçues entre des industriels issus de ces deux pays. » L’expert de la Cour cite ensuite pêle-mêle : une compétition entre les groupes EDF et Areva qui les a poussés à lancer rapidement des chantiers d’EPR, des études détaillées insuffisantes en amont, des défauts d’organisation dans la conduite du chantier, entraînant de nombreux arrêts de chantiers.

Mais aussi « une perte de la culture de qualité au sein de la filière EDF ». L’électricien a notamment demandé à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de baisser ses exigences : c’est ce qu’on appelle « l’exclusion de rupture ». Autrement dit, il s’agit, par exemple, de ne pas analyser les conséquences d’une rupture de tuyauterie étant donné que celle-ci n’a que d’infimes chances de se réaliser. En contrepartie, les contrôles et le suivi de ces pièces devront être drastiques.
Intervenant également dans le débat, Jean-Martin Folz, ex-PDG du groupe PSA, a détaillé la perte de compétences techniques de la filière qu’il avait évaluée dans son rapport sur l’EPR de Flamanville remis en octobre 2019 au ministre de l’Économie Bruno Le Maire. « La filière a beaucoup désappris en six ans », concède Alain Tranzer, délégué général à la qualité industrielle et aux compétences, en référence aux années écoulées entre la fin du chantier du réacteur Civaux-2 (2002), et le début de celui de Flamanville. Une structure de contrôle des grands projets, une maîtrise d’ouvrage rénovée, un nouveau plan de formation et d’embauche… Preuve qu’EDF aurait tiré des leçons de ce camouflet, l’entreprise a dévoilé les différentes étapes de sa feuille de route visant à démontrer sa capacité à mener à bien les chantiers des six EPR qui seront situés à Penly donc, mais aussi à Gravelines, Bugey et Tricastin.

Un avis sévère de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
À ce jour, plusieurs problèmes techniques capitaux persistent et suscitent l’inquiétude de citoyens venus assister au débat. En juillet dernier, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a rendu un avis sévère à propos de l’effet des vibrations sur la cuve de l’EPR de Flamanville.
« Comment est-ce possible que Flamanville soit proche de la mise en service malgré les recours en justice et le refus de diligenter une expertise indépendante sur sa sûreté ? », a interpellé André Jacques, président du Comité de réflexion, d’information et de lutte antinucléaire (Crilan). « Pourquoi ne pas attendre le démarrage de Flamanville avant de lancer les chantiers des EPR2 ? », demande encore un autre citoyen dans l’obscurité de la salle. Sur scène, Antoine Menager, directeur du débat public d’EDF et ex-directeur de l’aménagement EPR de Flamanville rétorque simplement que « la filière industrielle ne fonctionnera que si les contrats sont passés avec suffisamment d’anticipation ».
Pour l’heure, difficile de savoir la charge de travail déjà réalisée et celle qui reste à achever avant de pouvoir démarrer le chantier de Penly. Dans le fond de la salle, des voix s’élèvent regrettant que le coût du nucléaire n’ait pu être abordé pendant la soirée. D’autres réunions publiques sont prévues : « Quelles conditions et conséquences du projet Penly et du programme sur le territoire et l’environnement ? », et notamment, « quel coût, quel financement, et quelle rentabilité ? »