Nucléaire : pas sûr que les centrales puissent fonctionner 60 ans

Centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne). L'allongement du parc nucléaire n'est pas acquis, estime l’Autorité de sûreté nucléaire. - © Matthieu Rondel / AFP
Centrale de Golfech (Tarn-et-Garonne). L'allongement du parc nucléaire n'est pas acquis, estime l’Autorité de sûreté nucléaire. - © Matthieu Rondel / AFP
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NucléaireDans un avis, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) détaille les obstacles à l’allongement de la durée de fonctionnement des centrales nucléaires à 60 ans. Certaines pièces essentielles sont en effet fragilisées par le vieillissement.
Dans son discours de Belfort de 2022, Emmanuel Macron a affirmé sa volonté de « prolonger tous les réacteurs [nucléaires] qui peuvent l’être » jusqu’à 60 ans — au lieu de 50. Ces allongements de durée de fonctionnement ne sont pas acquis, estime toutefois l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Dans un avis publié mercredi 14 juin, l’autorité administrative indépendante a identifié deux difficultés potentielles qui pourraient contrecarrer les plans du président de la République.
La première touche le cœur des réacteurs. Elle concerne les « coudes E » du circuit primaire principal : des tronçons courbes de tuyauterie en acier inoxydable moulé collés à la cuve du réacteur. Les réacteurs de 900 mégawatts (MW) en comptent trois, ceux de 1 300 MW et de 1 450 MW quatre. Or ces coudes peuvent se montrer particulièrement sensibles au vieillissement. « Ils peuvent présenter des défauts de fabrication liés au procédé de moulage lui-même, explique à Reporterre le directeur général adjoint de l’ASN Julien Collet. Par ailleurs, l’acier utilisé subit un vieillissement thermique. » Ce processus affecte la ténacité de l’acier : il résistera moins bien à la propagation d’un défaut. Dans son avis, l’ASN alerte sur le fait que la ténacité « diminue de manière importante lors des 40 à 60 premières années de fonctionnement » avant de se stabiliser à des niveaux pouvant être « très faibles ».
Le hic, c’est que leur position, à un endroit particulièrement encombré et exposé aux radiations du bâtiment réacteur, rend toute intervention très complexe. « Aujourd’hui, on ne sait pas si le remplacement de ces coudes est faisable », indique M. Collet. Contacté par Reporterre, EDF a dit étudier « des solutions d’intervention reposant sur la mécanisation et l’automatisation des procédés » pour résoudre ce casse-tête. L’enjeu est de taille, puisque les coudes E de 5 réacteurs (sur 56) présentaient déjà des signes de faiblesse à leur quarantième anniversaire : Tricastin 4, Saint-Laurent-des-Eaux 2, Dampierre 4, Bayais 3 et Paluel 2.
Le risque de séisme près de la centrale de Cruas inquiète
L’autre caillou dans la chaussure d’EDF est la centrale nucléaire de Cruas-Meysse (Ardèche), composée de quatre réacteurs de 900 MW. Le 11 novembre 2019, un séisme s’est produit au Teil, à une dizaine de kilomètres. Si les installations n’ont pas été touchées et ont pu redémarrer après un mois de vérifications diverses, le sujet n’est pas clos. « La faille de La Rouvière à l’origine du séisme a conduit à des ruptures en surface », avec des soulèvements et des décalages du sol de plusieurs centimètres sur plusieurs kilomètres, rappelle M. Collet. Des analyses géologiques sont en cours pour déterminer si ce phénomène, extrêmement rare en France métropolitaine, risque de se reproduire. Si c’était le cas, « la démonstration de sûreté de cette centrale serait complexe à établir et pourrait nécessiter des travaux conséquents, voire remettre en cause la poursuite du fonctionnement des réacteurs de la centrale nucléaire de Cruas », lit-on dans l’avis de l’ASN. Autrement dit, le site pourrait être définitivement mis à l’arrêt, pour éviter qu’un nouvel événement de ce genre vienne en fragiliser les fondations. EDF, lui, évoque seulement « si nécessaire un programme de travaux adapté aux enjeux ».
Dans son avis, l’ASN évoque aussi la tenue des enceintes de confinement des réacteurs nucléaires et l’adaptation aux changements climatiques, qui risquent de peser sur la ressource en eau, indispensable au bon fonctionnement des installations. Mais EDF se montre « confiant dans sa capacité à remplir les conditions de sûreté nécessaires à la poursuite de fonctionnement de tous ses réacteurs », a-t-elle écrit à Reporterre.
Cet avis n’est pas définitif. L’ASN le présente comme une « analyse préliminaire » réalisée à la demande du ministère de la Transition énergétique, comme support à l’élaboration de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) au second semestre 2023. EDF doit livrer d’ici fin 2024 un travail plus approfondi sur cette échéance des soixante ans, sur lequel l’ASN prendra position fin 2026.