En Amazonie, une sécheresse interminable

La sécheresse historique affecte des milliers de personnes en Amazonie. - © Suamy Beydoun / AGIF via AFP
La sécheresse historique affecte des milliers de personnes en Amazonie. - © Suamy Beydoun / AGIF via AFP
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Au Brésil, le Rio Negro, un affluent de l’Amazone, a atteint son niveau le plus bas depuis 121 ans. Avec des conséquences désastreuses pour la biodiversité et les populations.
Rio de Janeiro (Brésil), correspondance
« On a vraiment pris conscience de l’ampleur de la catastrophe quand on s’est retrouvés privés d’eau potable. » Luciana de Lima Kaxinawá détaille les ravages de la sécheresse dans son village indigène, Mucuripe, situé dans l’État brésilien de l’Acre. Ici, au cœur de l’Amazonie, à près d’une dizaine d’heures de bateau de la ville la plus proche, le puits d’eau potable est à sec depuis une semaine. Les habitants en sont réduits à boire l’eau destinée aux douches et lessives, en la désinfectant avec du chlore. « On en était jamais arrivé là », pose cette soignante de 22 ans, contactée par téléphone.
Depuis le mois de septembre, l’Amazonie connaît une sécheresse sans précédent. Pour la première fois en 121 ans, le niveau de la rivière Rio Negro, un affluent du fleuve Amazone, est passé en dessous des 13 mètres de profondeur. En cause, une saison sèche plus longue et plus intense qu’à la normale. Elle s’explique par deux facteurs naturels, dont les effets sont intensifiés par le réchauffement climatique : d’une part le phénomène El Niño qui réchauffe l’océan Pacifique au niveau de l’Équateur et d’autre part les températures élevées des eaux tropicales de l’Atlantique Nord.
150 dauphins retrouvés morts dans des eaux à 40 °C
Depuis la rentrée, la biodiversité est dévastée par des incendies (comme il y a deux semaines dans la région de Manaus, la ville la plus peuplée de l’Amazonie brésilienne) mais également par les altérations de température de l’eau. En octobre, 130 dauphins roses et 23 dauphins de l’espèce tucuxi ont été retrouvés morts dans les eaux à 40 °C du lac Tefé, dans le nord-ouest de l’Amazonie.
Même sort pour des milliers de poissons dans la région de Manaus fin septembre, asphyxiés par la modification du pH de l’eau. Or, leur putréfaction dans une eau stagnante « finit par la polluer », nous explique Ane Alencar, directrice scientifique à l’Ipam, l’Institut de recherche environnementale en Amazonie, qui estime que cela pourrait entraîner une prolifération de bactéries.

La disparition de cette faune et cette flore représente une perte des ressources naturelles alimentaires pour les populations locales. Dans la communauté de Luciana de Lima Kaxinawá, en plus de poissons « retrouvés morts sur une plage », les cultures d’arachide, de pastèques et de maïs ont « brûlé sur les berges de la rivière », nous rapporte la jeune femme. « Cette année, on ne va pas avoir de quoi manger », alerte-t-elle. « Les gens ont besoin de ravitaillements mais la nourriture n’arrive pas parce que les rivières ne coulent pas », ajoute Ane Alencar.
Car dans ces villages reculés, faute de routes, les réapprovisionnements en nourriture, en médicaments, tout comme les transports des personnes s’effectuent par voie fluviale. Avec la baisse du niveau des cours d’eau, certains affluents deviennent impraticables, isolant de nombreuses communautés.
Si la rivière Tarauacá, qui relie le village de Luciana de Lima Kaxinawá à la ville la plus proche, est encore navigable, le temps de voyage a presque doublé : 11 heures au lieu de 6. « Il y a beaucoup d’endroits où les bateaux, même les plus petits, ne peuvent pas passer. Les passagers doivent descendre pour les pousser sur le sable », témoigne la jeune femme.
Une « bombe à retardement » pour l’année prochaine
Fin octobre, rien que dans l’Amazonas, un des huit États brésiliens qui se partagent la forêt amazonienne, plus de 600 000 personnes étaient touchées par la sécheresse et de plus en plus de communes se déclarent en état d’urgence. Pour la directrice scientifique à l’Ipam, il s’agit d’une « crise humanitaire majeure ». Le vice-président brésilien Geraldo Alckmin a d’ailleurs annoncé début octobre, débloquer 138 millions de réaux, l’équivalent de 26 millions d’euros, pour draguer certains des cours d’eau. Le but : améliorer leur écoulement, et donc une meilleure circulation des navires.
Si la saison des pluies devrait débuter en décembre, il faut s’attendre selon Ane Alencar à ce qu’elle soit « plus sèche qu’à la normale », et donc insuffisante pour recharger les sols en eau. « L’épisode actuel pourrait être une bombe à retardement. L’année prochaine, lorsque la saison sèche reprendra, nous aurons déjà atteint un seuil de stress hydrique [rareté en eau] très inquiétant qui pourrait mener à une situation beaucoup plus grave », précise la scientifique.
Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a quant à lui déclaré le 24 octobre : « La planète est en train de se révolter. Elle nous dit : "Ne me détruisez pas, car je suis capable de vous détruire avant d’être détruite". »