« On n’a pas la tête à ça » : en Nouvelle-Calédonie, le référendum sur l’indépendance est contesté

Les Voix du Non, un mouvement contre l'indépendance, distribuent des flyers au marché de Rivière Salée, une semaine avant le troisième référendum. - © Dominique Catton
Les Voix du Non, un mouvement contre l'indépendance, distribuent des flyers au marché de Rivière Salée, une semaine avant le troisième référendum. - © Dominique Catton
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Luttes PolitiqueLe 12 décembre, la Kanaky-Nouvelle-Calédonie votera pour ou contre son indépendance. Ce troisième et dernier référendum est censé conclure le processus de décolonisation engagé il y a trente ans dans l’archipel stratégique du Pacifique Sud.
Nouméa (Nouvelle-Calédonie), correspondance
La question est la même depuis 2018 et voici la troisième fois qu’elle est posée : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Par deux fois déjà, le nom l’a emporté : 57 % en 2018, 53 % en 2020. Le 12 décembre, les inscrites et inscrits sur la liste électorale spéciale pour la consultation voteront pour la dernière fois.
Pour quiconque a assisté aux premiers référendums sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, le contraste est frappant. En lieu et place des innombrables drapeaux de la Kanaky ou bleu blanc rouge qui ornaient alors les maisons, les balcons, le bord des routes, les pick-up ou même les habits des habitants, cette année, il n’y a rien. Sur la place des Cocotiers, au centre-ville de Nouméa, la capitale de l’archipel, c’est le calme, seulement troublé par les rondes incessantes des camions de police.
« Aujourd’hui, les conditions sont loin d’être réunies pour aborder sereinement la troisième consultation, écrivaient encore mardi 16 novembre dans un communiqué toutes les composantes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS, indépendantiste). La situation sanitaire n’est pas stabilisée et le risque de seconde vague est encore bien présent et tangible. Aujourd’hui, la majeure partie des personnes mortes du Covid [1] sont des Océaniens dont la plus grande partie des Kanaks. » Le Sénat coutumier, une instance créée par la France, mais qui est supposée représenter le peuple autochtone dans la dimension traditionnelle de son organisation ancestrale, a décrété « un an de deuil kanak ».
Les indépendantistes, qui représentent scrutin après scrutin le peuple autochtone dans son immense majorité, « appellent les Calédoniens à ne pas participer à cette consultation ». Jusqu’au dernier jour, ils ont intenté des recours, notamment devant le Conseil d’État, et tenté de faire reporter la consultation. Sans succès.
Cet appel à la non-participation — et non pas au boycott actif, comme cela a été le cas dans le passé (en 1984, 1987, 1988) et avait été le prélude à de terribles violences pré ou postélectorales — est apprécié de façon très diverse dans la population et au sein de la classe politique calédonienne et française. Pour le gouvernement français et le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, ce n’est pas un sujet. « La non-participation est un droit en démocratie », a-t-il affirmé, le 14 novembre, sur Europe 1. Avant d’ajouter, sur Twitter : « C’est sous ce quinquennat qu’il nous revient d’appliquer la fin de l’accord [de Nouméa], signé en 1998, et d’imaginer le jour d’après. »
À Nouméa, les partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie au sein de la France ont bruyamment salué l’annonce du maintien du référendum au 12 décembre. « Le chef de l’État en respectant sa parole et en ne cédant pas aux menaces des indépendantistes nous a démontré qu’il tenait à la Calédonie et qu’il l’aimait, a réagi la cheffe de file des loyalistes (non indépendantistes, droite), Sonia Backès. Le 12 décembre, nous irons voter non à l’indépendance, en sécurité, pour ouvrir enfin une nouvelle page de la Nouvelle-Calédonie. »
Le peuple autochtone est en deuil
Trente ans après la signature, à Paris, des accords qui ont permis le processus de décolonisation mais aussi la fin des « évènements », l’insurrection kanake qui a fait des dizaines de morts en Nouvelle-Calédonie, les représentants du peuple autochtone se sentent mis de côté. S’il n’y a aucun drapeau de la Kanaky dans les rues de la « réserve de Saint-Louis », la tribu la plus proche de Nouméa, c’est parce que le mot d’ordre du FLNKS est respecté : à cause de la crise sanitaire, le peuple autochtone est en deuil. L’ambiance est pesante.
« Chez le peuple kanak, le deuil n’est pas seulement de la peine : c’est une partie importante de la coutume, explique Adolphe Wamytan, jeune habitant de la tribu de Saint-Louis. La coutume, la base de notre système face au système occidental, est avant tout un réseau. Les cérémonies de deuil forment une partie importante de ce réseau, du système d’alliance : c’est un travail crucial dans notre système et à cause de la crise sanitaire, il n’a pas pu être mené. Quand on ne fait pas le travail coutumier, on suspend le monde coutumier. Le référendum ? Nous n’avons pas la tête à ça. Nos politiques sont dans l’impasse. » Il a voté en 2018 et 2020 mais affirme ne pas vouloir voter cette année.
Le FLNKS a assuré à plusieurs reprises qu’il contestera les résultats du scrutin devant les instances internationales. Une délégation s’est d’ailleurs rendue cette semaine à New York afin de prendre la parole devant l’Assemblée générale de l’ONU. Des observateurs de l’institution, qui supervise officiellement le processus de décolonisation, sont en Nouvelle-Calédonie depuis le 19 novembre. Les renforts policiers français, plus de 2 000 gendarmes et policiers avec de nombreux véhicules blindés, sont sur place depuis environ deux mois.