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PlayStation 5 ou Xbox Series X ? La surenchère des consoles au mépris de la planète

Mises en vente en novembre, les consoles de jeux vidéo PlayStation 5 et Xbox Series X suivent le schéma bien rodé du coup commercial. Mais, à l’heure du désastre écologique, cette course effrénée suscite de multiples interrogations, notamment chez des spécialistes du secteur, d’autant plus que le gain technologique est quasi inexistant.

La naissance d’une nouvelle génération de consoles de jeux vidéo est un moment à part, entre fantasmes et excitation. Il y a d’abord le ballet de rumeurs, celui des premières fuites. Une communication des petits pas que les constructeurs connaissent par cœur et qui se termine par une guerre des chiffres. Sorties à une dizaine de jours d’intervalle au mois de novembre, la Xbox Series X de Microsoft et la PlayStation 5 de Sony rejouent un combat maintes fois mené. Sur les réseaux sociaux, sportifs, rappeurs ou influenceurs exhibent tantôt la blanche console japonaise, tantôt son noir challengeur étasunien. Chacun est appelé à prendre position — et ça marche. Avant même les fêtes de fin d’année, il est difficile de trouver les précieux appareils dans les rayons des magasins du monde entier. À peine disponibles et déjà en rupture de stock. Pourtant, cette pantomime des géants de la tech commence à fatiguer une partie de l’industrie du jeu vidéo, alors que la catastrophe environnementale se fait de plus en plus pressante.

« Je comprends l’aspect émotionnel des lancements de génération, explique à Reporterre Hugo Bille, game designer suédois. J’ai encore de super souvenirs des premières fois où je branchais une console, cette impression de débarquer dans un nouveau monde. Mais ces engins-là sortent à un moment étrange, après l’explosion du mouvement pour le climat en 2018. » Dans le sillage des Fridays for Future, le créateur du jeu indépendant Fe a lancé un Discord [une plateforme de discussions] avec plusieurs dizaines d’acteurs de l’industrie. Le monde du jeu vidéo a vu ces dernières années la question environnementale s’immiscer dans les discussions, jusqu’à la création fin 2019 de l’alliance Playing For The Planet. Sous l’égide de l’ONU, elle regroupe certains grands studios ainsi que Sony et Microsoft et a pour but d’agir en faveur de la planète. « En janvier 2020, nous avons annoncé une série de mesures très fortes, nous indique par courriel le groupe fondé par Bill Gates et Paul Allen, qui est en pointe sur ces questions. Alimentation en énergies renouvelables à 100 % pour l’ensemble de nos activités dès 2025, empreinte carbone négative dès 2030, notamment. » Ce nouveau cycle de consoles est la première occasion pour les deux géants de mettre en avant leurs progrès environnementaux, surtout en matière d’efficience énergétique. Sony ne s’est, d’ailleurs, pas gêné pour présenter son appareil comme la PlayStation la plus écologique jamais sortie.

Pour une révolution technologique, il faudra repasser 

« Historiquement, chaque nouvelle génération consommait davantage d’électricité que la précédente, explique à Reporterre Jonathan Koomey, chercheur et ingénieur informatique qui a étudié l’empreinte carbone des consoles, principalement celles de Sony, et de leur distribution. La PS4 aura marqué un tournant, en étant moins énergivore que la PS3, et la PlayStation 5 est encore mieux optimisée. Les constructeurs ont pris cette problématique très au sérieux et ont fait un bon travail. » Pourtant, derrière ces grandes annonces, certains experts sont bien moins optimistes.

Pire, selon Frédéric Bordage, créateur du groupe de réflexion GreenIT, cette communication tiendrait de l’écoblanchiment (greenwashing). « La consommation d’électricité n’est pas un marqueur environnemental et ne le sera jamais », rappelle-t-il à Reporterre. Ce défenseur de la sobriété numérique a réalisé l’une des seules études sur le coût écologique du cycle de vie d’une machine. « Le jeu vidéo ne peut pas être vert, poursuit-il, il sera toujours gris ou noir. À partir du moment où l’on a un équipement numérique, on a des effets environnementaux directs négatifs. » À l’issue de ses recherches, il a estimé que l’empreinte écologique du jeu vidéo était d’abord due à la phase de fabrication du matériel, puis à sa fin de vie. « La consommation d’électricité de la console est un détail. »

Ce constat exposé, cette nouvelle génération prend des allures de désastre environnemental. Des millions de nouvelles machines assemblées qui rendent du jour au lendemain obsolètes des millions d’autres pour un argument marketing : la compatibilité avec un téléviseur 4K — avant la 8K voire la 16K — pour de meilleurs rendus graphiques pas toujours visibles à l’œil nu. Pour une révolution technologique, il faudra repasser. Les jeux d’hier fonctionnent sur les consoles d’aujourd’hui et, inversement, les jeux de demain tourneront sur les machines d’hier. « L’un des principaux titres mis en avant pour vendre la PlayStation 5, le remake de Demon’s Souls, est vieux de plus de dix ans, s’attriste Hugo Bille. OK, il est plus joli, mais c’est exactement le même jeu que celui sorti sur PS3 en 2009. C’est une stupidité environnementale majeure. »

Un faible gain en matière d’expérience vidéoludique pour des conséquences terribles. « Il va y avoir une demande des joueurs pour que tous les jeux s’affichent en 4K et cela risque de motiver des achats d’écrans géants neufs, prédit Frédérique Bordage. Or, dans le cycle de vie d’une console, ce qui va le plus affecter l’environnement, c’est la fabrication de la télévision. » Cette production, tout comme celle des consoles, nécessite plusieurs phases très polluantes. Il s’agit, d’abord, d’extraire des minerais, parfois dans des pays peu regardants des droits humains, comme la République démocratique du Congo. Le chercheur australien Ben Abraham a désossé une PlayStation 4 au cours de ses travaux. « J’y ai trouvé tous les éléments que l’on appelle les minerais de conflit », développe-t-il pour Reporterre. Si les géants de la tech ont fait des efforts ces dernières années pour assurer une meilleure traçabilité, Microsoft montrant la voie, eux-mêmes reconnaissent que davantage de travail est nécessaire pour en finir avec les mines clandestines où des enfants sont exploités. Une fois extraites, ces précieuses matières premières sont transformées en composants électroniques dans des usines où gaz polluants et produits chimiques sont utilisés de façon intensive.

« Des expériences tout aussi passionnantes sont possibles avec moins » 

De l’autre côté du spectre se trouvent d’inutiles rebuts. Encore fonctionnelles, la Xbox One et la PlayStation 4 sont de fait rendues caduques et, dans le pire des cas, destinées à la poubelle. Or, en 2019, selon l’ONU, à peine 17 % des déchets électroniques ont été collectés et recyclés dans le monde, la très grande majorité des autres terminant leur course dans des décharges à ciel ouvert. « Même le recyclage a des conséquences, poursuit le créateur de GreenIT. Pour récupérer l’or des composants électroniques, par exemple, il faut un bain d’acide chlorhydrique, des électrolyses, ou encore un bain de cyanure… Autant dire que si l’usine n’est pas parfaitement fonctionnelle, ce processus peut être pire que pas de recyclage du tout. » Contacté, Microsoft se défend de mettre en place cette obsolescence programmée. « Nous appliquons une politique très claire de compatibilité entre les générations : tous vos jeux et accessoires sont compatibles de la Xbox One vers les Xbox Series X, mais également dans le sens inverse. (…) La Xbox One n’a donc vraiment pas fini sa vie, et tous les possesseurs de nos machines de génération précédente continueront à voir de nombreux jeux nourrir leurs envies. » De son côté, Sony n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Pour en finir avec cette funeste course, des solutions existent, comme l’achat de machines reconditionnées. D’autres sont à imaginer. « Sony pourrait choisir de rendre totalement open source sa PS4 ou Microsoft sa Xbox One. Elles pourraient alors débuter une seconde vie entre les mains du milieu DIY [Do it yourself], rêve Ben Abraham avant de compléter : Évidemment, ce n’est pas du tout vers quoi on s’avance. » D’autant que pour la grande majorité des artistes derrière les jeux vidéo, cela fait une décennie que la technologie est suffisante pour raconter leurs histoires. « Pour les jeux indépendants, ce que proposait la PS3 était convenable, estime Hugo Bille. Il s’agit de prouver aux joueurs que des expériences tout aussi passionnantes sont possibles avec moins. » Et le game designer de donner un exemple imparable : « La Nintendo Switch, c’est à peu près une PS3 optimisée. Cela ne l’a pas empêchée de nous offrir Zelda : Breath Of The Wild. » Un jeu considéré dès sa sortie comme l’un des meilleurs de tous les temps. Tout simplement.

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