Plombées par les tâches domestiques, les femmes se soutiennent

Durée de lecture : 5 minutes
Covid-19Pour faire face à un surplus de tâches domestiques — bien souvent assurées par les femmes — durant le confinement, certaines ont mis en place un soutien moral et organisationnel, via des groupes de parole par exemple. Plus largement, la période pousse à l’interrogation : comment penser ces tâches collectivement ?
Pour lire la première partie de notre enquête sur les femmes durant le confinement, cliquez ici.
Depuis le début du confinement, l’emploi du temps d’Anissa Baaziz, responsable de site et mère de deux garçons de cinq et sept ans, est millimétré : « Le matin, école à la maison jusqu’à 16 h ; puis travail professionnel pendant une heure et demie, tâches ménagères – rangement, serpillière, repas, lessives –, repas et coucher des enfants, préparation du dîner pour mon mari qui travaille encore à l’extérieur et vaisselle. Je n’ai pas une seconde à moi ! » Pour supporter la charge de travail supplémentaire durant le confinement — due à l’absence, notamment, de relais normalement assurée par la crèche ou l’école et au manque de partage des tâches ménagères — le soutien moral et organisationnel s’organise entre femmes.
Membre de l’association Ensemble pour les enfants de Bagnolet, Anissa Baaziz a vite participé à la mise en place d’un groupe de discussion informel des mères du quartier sur la messagerie WhatsApp. « On discute, on cherche des solutions : j’imprime des documents pour des mères qui n’ont pas d’imprimante, on s’envoie des leçons et des recettes de cuisine et on parle de tout, même si c’est vrai que le travail domestique est en bonne place. Mon mari et les maris des copines ne sont pas dans le groupe mais connaissent son existence et nous transmettent parfois des messages. »

Du côté des associations féministes, ça s’active aussi. L’association « Parents et féministes » continue d’organiser ses trois groupes de parole téléphoniques par semaine. « On a aussi ouvert un groupe "confinement féministe" pour se partager des choses qui nous font du bien : des images humoristiques, des articles, des vidéos… L’idée est de partager un café chaud virtuel », explique Amandine Hancewicz. Lou est l’organisatrice du festival « Very Bad Mother », qui vise à faire de la parentalité un sujet de réflexion et de lutte féministe et à décomplexer les parents submergés par les soupçons et les injonctions sociales qui pèsent sur eux. Elle aussi a ouvert un groupe Facebook intitulé « Very Bad Virus » « où on peut se lâcher quand on craque et se décomplexer ».
À plus long terme, un important chantier de revalorisation de ces tâches domestiques et parentales reste à mener. Il a déjà commencé : à la fin des années 1970, l’universitaire et militante féministe autonome Silvia Federici avait ainsi défendu l’idée de sa prise en charge collective et de la création d’un salaire pour le travail ménager, proposition régulièrement remise au goût du jour et rejetée par toute une partie des féministes car accusé de renvoyer les femmes à la maison. L’expérience du confinement pourrait remettre le débat d’actualité, sous cette forme ou une autre.
« S’occuper des enfants, les éduquer, nettoyer et cuisiner sont des tâches importantes, estime Isabelle Cambourakis, directrice de la collection Sorcières aux éditions Cambourakis, institutrice et mère célibataire. Comment penser ces tâches collectivement ? Il faut construire une réflexion écoféministe à ce sujet, qui traverse tous les milieux sociaux et pas seulement ceux, favorisés, où une esthétisation de ces pratiques est déjà en cours – les comptes Instagram magnifiques dédiés à la cuisine, à la décoration, à l’éducation... » Encore faut-il que le sommet de l’État accompagne le mouvement. « De nombreux sujets plus graves passent avant : la santé, les violences conjugales. Les gouvernements considèrent que ces questions relèvent de l’organisation intime des couples, observe Anne Solaz, directrice de recherches à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Pourtant, ces choix conjugaux ne sont pas sans conséquences économiques et sociales pour les femmes : l’emploi à temps partiel, une moindre rémunération, une stagnation de la carrière, des femmes qui peinent à retrouver un travail après un congé parental ou tombent dans la pauvreté après une séparation… »
« Il faut réfléchir à ce qui a poussé la plupart – moi comprise – à aller se confiner en famille, plutôt qu’entre amis »

Pour la philosophe spécialiste de l’écoféminisme Émilie Hache, c’est carrément le modèle de la famille nucléaire, reposant sur le couple hétérosexuel et où sévit cette inégalité dans la répartition du travail domestique, qu’il s’agit de questionner. « Dans le dernier chapitre de son ouvrage Staying with a trouble [1]], intitulé « Histoires de Camille » la professeure d’histoire de la conscience et des études féministes et autrice de science-fiction américaine Donna Haraway imagine un futur où une communauté décide d’aller habiter dans des endroits abîmés et pollués des États-Unis pour les restaurer tout en imaginant d’autres manières de faire famille, raconte-t-elle à Reporterre. Je pense qu’il faut réfléchir à ce qui a poussé la plupart – moi comprise – à aller se confiner en famille, plutôt qu’entre amis, alors que la cellule hétéropatriarcale peut être très violente comme le démontre la hausse des violences intra-familiales pendant le confinement. »