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EntretienPolitique

« Pour Macron, les savoirs scientifiques sont des outils de communication »

« Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » a déclaré Emmanuel Macron lors de ses voeux, le 31 décembre 2022.

« Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » La question rhétorique d’Emmanuel Macron a indigné la communauté scientifique. Elle témoigne du peu d’efforts de l’État sur cette question, selon un scientifique en rébellion.

Jérôme Santolini est directeur de recherche, au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). En 2020, il a rejoint l’Appel des 1 000 scientifiques à la désobéissance civile et est devenu l’un des coordinateurs du collectif Scientifiques en rébellion.


Reporterre — Quelle a été votre réaction en entendant le président prononcer « Qui aurait pu prédire la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ? » lors de ses vœux du 31 décembre ?

Jérôme Santolini — Cela traduit un non-respect évident de tout le travail effectué par des milliers de scientifiques depuis des dizaines d’années. Un travail d’ailleurs sollicité par le gouvernement. Pourtant, Emmanuel Macron, s’étant proclamé héros de la défense du climat, assure qu’il n’était pas au courant de la crise climatique. Étonnant ! En réalité, cette phrase illustre bien le peu d’efforts que ce gouvernement a l’intention de consacrer à la question climatique. Il ne se sent pas responsable, il se dit peu informé et démuni. C’est une façon de justifier le peu de résultats qu’il a obtenu.

Je pense que l’exécutif observe la science avec légèreté. Il y a une forme d’obscurantisme ou de scepticisme par rapport aux données scientifiques. Ce n’est pas neuf, mais ça fait toujours mal pour la communauté scientifique d’être si peu considérée.

Une chose est sûre, il ne s’agit pas d’une erreur. À ce niveau, et en particulier pour les vœux du 31 décembre, les discours sont travaillés et retravaillés. Chaque mot est pesé, calculé et cette phrase n’a rien d’une improvisation. Emmanuel Macron est passé maître dans l’art de la communication. Sa politique climatique repose d’ailleurs essentiellement sur des effets d’annonce. Pour lui, les savoirs scientifiques sont des instruments, des outils de communication. En fonction de ses objectifs, il choisit de prendre en compte ou non certains éléments. Cela a été le cas avec le Covid, et ça l’est aussi pour le climat.


Cet automne, les membres du gouvernement ont reçu une formation scientifique largement médiatisée. N’ont-ils donc rien retenu ?

La formation aurait été dispensée à une classe de primaire, les élèves l’auraient comprise. L’effet de serre, on connaît ça depuis 170 ans. Le réchauffement climatique, pareil. Ces phénomènes ne nécessitent pas de formations poussées. N’importe qui comprend que nous sommes entrés dans une période inédite de grands dangers pour les écosystèmes et l’espèce humaine. Les aléas climatiques qui nous touchent tous les ans ont fini de convaincre les derniers sceptiques de cette planète.

Non, la démarche n’est plus d’informer ni même de convaincre. La vraie question désormais, c’est quelles politiques le gouvernement désire-t-il mettre en place ? Emmanuel Macron aimerait faire passer l’inaction climatique pour un défaut de connaissance. La réalité, c’est qu’il mène une politique ouvertement antiécologique.

Les Scientifiques en rébellion ont exigé des mesures contre le réchauffement climatique, à Montpellier, le 15 octobre 2022.

Face à ce manque de considération, est-ce encore pertinent que les scientifiques conseillent le président ?

Non. Leur rôle n’a jamais été de le conseiller, mais de produire des savoirs. Ils donnent des éléments tangibles, rationnels, répondant à une démarche scientifique. Et sur la base de ces éléments, le gouvernement et ses conseillers peuvent prendre des décisions. Seulement, ils n’en tiennent pas compte un instant.

« Changeons de fonctionnement. [...] Cela peut passer par des actes de désobéissance civile »

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a poussé dans ses dernières limites cette forme d’engagement des scientifiques, consistant à produire du savoir et le mettre à disposition de la puissance publique. Résultat : les voilà aujourd’hui en porte-à-faux. Certains auteurs se rendent compte que ça n’a pas été efficace en matière de conseil et d’influence des politiques. Ils s’interrogent : face à l’accélération de la catastrophe et le manque de considération de l’État, le Giec a-t-il encore une utilité ?


Quelle autre stratégie peuvent emprunter les scientifiques pour peser dans les décisions politiques ?

Des modes d’action plus offensifs. C’est d’ailleurs la raison d’être de notre collectif Scientifiques en rébellion. Des milliers d’études, le Giec, vingt-sept COP, le Haut Conseil pour le climat… Tout cela n’a eu que peu d’effets sur la trajectoire économique et politique de la France. Cette forme de neutralité s’est avérée un échec.

Alors, aujourd’hui, il faut changer de fonctionnement. Arrêtons de simplement diffuser l’information et contraignons les décideurs publics. Et cela peut passer par des actes de désobéissance civile. Ce n’est pas nous qui le demandons. Nous ne sommes pas des « écoterroristes ». C’est António Guterres, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) en personne qui, à chaque intervention, repète que les véritables terroristes écologiques sont les gouvernements qui ne font rien contre le réchauffement climatique. S’il a tort, alors mettons-le en prison et dissolvons le dangereux ferment de l’ultragauche qu’est l’ONU.

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