Pour défendre les pesticides, la FNSEA invente le délit de « pollution démocratique »

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Le syndicat départemental de la Somme de la FNSEA a assigné en justice Europe Écologie-Les Verts. Il reproche au parti écolo une « pollution démocratique » lors de la consultation nationale sur les distances d’épandage des pesticides. L’audience se tient aujourd’hui, à Amiens.
Europe Écologie-Les Verts (EELV) est assignée en référé par la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de la Somme (FDSEA 80). Le motif ? Avoir créé un site internet de mobilisation autour de la récente consultation sur les produits phytopharmaceutiques. Le parti écologiste est ainsi accusé de « pollution démocratique » par le syndicat agricole, ardent défenseur du productivisme et des pesticides. EELV dénonce une poursuite « bâillon ». Le différend se réglera ce mercredi 6 novembre, au matin, devant le tribunal de grande instance d’Amiens.
Aux prémices de ce litige, il y a une victoire des associations écologistes. En juin 2019, donnant raison aux associations Eaux et Rivières de Bretagne et Générations futures, le Conseil d’État a partiellement annulé l’arrêté dit « phyto » encadrant les épandages de pesticides en France. Cet arrêté, datant du 4 mai 2017, a été jugé insuffisant sur les plans sanitaires et environnementaux, notamment en raison de l’absence de mesures de protection des riverains des zones traitées. Le Conseil d’État a donc enjoint à l’État de prendre, dans un délai de six mois, des mesures réglementaires pour protéger la population. Cette injonction était assortie d’une consultation citoyenne obligatoire d’une durée de trois semaines.
C’est ainsi que le 7 septembre 2019, les ministres de la Santé, de l’Agriculture et de la Transition écologique ont annoncé l’ouverture d’une consultation citoyenne sur les pesticides. Mise en ligne deux jours plus tard, cette consultation était destinée à recueillir les avis des citoyens sur un projet d’arrêté et un projet de décret relatifs à « la protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation ».
« La FDSEA a été choquée par trois biais de la plateforme de recueil d’avis »
Avant l’ouverture de la consultation, les ministres avaient révélé les distances minimales entre zone d’épandage et zones d’habitation retenues par le gouvernement : dix mètres pour les substances les plus dangereuses et « le traitement des parties aériennes » notamment pour l’arboriculture et la viticulture, et cinq mètres « pour les autres utilisations agricoles et non agricoles ». Même si la décision était déjà prise, Europe Écologie-Les Verts a néanmoins décidé d’encourager ses sympathisants à participer massivement à la consultation. Le parti a élaboré un site, consultationpesticides.fr, afin d’« inonder la consultation de commentaires ». « Annoncer le résultat d’une consultation avant même son ouverture, voilà une drôle de conception de la démocratie participative… indique la page d’accueil du site. Mais ne baissons pas les bras : c’est grâce à la mobilisation des maires protecteurs-ices que le gouvernement est contraint d’agir, même à reculons. Alors, amplifions la mobilisation ! Faisons-nous entendre et soyons si nombreux à réclamer la fin des pesticides à proximité des habitations, de sorte qu’il soit impossible pour le gouvernement de ne pas en tenir compte. »
« Ce site consistait en un formulaire, proposant quelques arguments prémâchés et un texte à adapter, où nous nous occupions du dépôt sur la consultation pour les citoyens », explique à Reporterre le porte-parole national d’EELV, Julien Bayou. Le formulaire a permis de collecter plus de 15.000 avis sur les 50.000 déposés au cours de la consultation gouvernemental. « Un franc succès, se réjouit Julien Bayou. Malheureusement, les outils développés par le gouvernement sont austères et mobilisent peu, on le voit avec le référendum contre la privatisation d’ADP. En proposant des outils un peu mieux conçus, nous avons montré qu’on pouvait accentuer la participation, on devrait tous s’en réjouir. »
La FDSEA de la Somme n’a pas apprécié l’initiative du parti écologiste. Elle a décidé de traîner EELV devant le tribunal de grande instance d’Amiens pour « pollution démocratique », une expression figurant dans l’assignation consultée par Reporterre. Elle y était même soulignée. « Si je me réfère à la sémantique, si l’on considère la pollution comme le fait de trouver des éléments qui n’ont pas lieu d’être dans un endroit précis, oui, ce site internet est de la pollution », estime le directeur de la FDSEA de la Somme, François Magnier, qui précise que « le sujet de ce procès n’est pas sur le fond, il est sur la forme : sur le fond, on est en démocratie, on a le droit d’avoir des avis divergents. Mais, sur la forme, ce site internet a travesti l’acte de démocratie ».

La FDSEA « n’a pas été choquée par la plateforme de recueil d’avis en elle-même, dit François Magnier, mais par trois biais qu’elle a ». D’abord, selon lui, « la plateforme d’EELV ne respectait pas tous les champs de la consultation officielle, comme le fait de devoir créer un titre, ce qui veut dire que les titres déposés sur la consultation ne l’ont pas été par l’internaute ». Ensuite, « la plateforme ne permettait pas à l’internaute d’avoir une contribution totalement libre, puisque des paragraphes étaient imposés et il n’y avait aucun texte permettant à l’internaute de se forger un avis ». Enfin, « la plateforme — utilisant les mots clés “consultation” et “pesticides” — était de nature à induire en erreur l’internaute classique, qui pouvait se retrouver dessus au lieu d’arriver directement sur celui de la consultation publique. » Le tout « nous paraissait un peu fort et on a simplement demandé au TGI de statuer sur la pertinence — ou non — à verser ces avis dans la contribution officielle nationale ».
« La FDSEA nous reproche donc de jouer notre rôle de parti politique »
Le syndicat réclame à EELV 3.000 euros et les adresses de messagerie des participants ; la liste des avis transmis à la consultation via consultationpesticides.fr, dans leur version « saisie » et leur version « transmise » ; les modes de traitement rédactionnel des avis collectés pour le versement à la contribution publique ; et les modes de transfert technique des avis collectés.
« Nous ne comprenons pas très bien le sens de leur démarche sur le plan juridique, réagit l’avocat d’EELV, Maître François Ronget, du cabinet Seattle. L’initiative était totalement légale, les internautes n’étaient en rien trompés. L’outil était transparent, il n’y avait pas de confusion possible avec le site de l’État. L’internaute avait le libre choix d’adhérer à l’envoi d’un canevas de texte, s’il correspondait à ses idées. » « Pour saisir un tribunal, rappelle Me François Ronget, il faut avoir un intérêt à agir, être victime de quelque chose. Là, la FDSEA est victime éventuellement d’une opinion qui ne la satisfait pas. Ma crainte, c’est que ce soit une procédure bâillon, qui vise à bâillonner la liberté d’expression en utilisant la justice. »
« La menace est très sérieuse, déclare Julien Bayou. Notamment pour nos finances. Nous sommes fauchés, on a failli crever après les élections de 2017. Les financements publics se sont drastiquement taris puisqu’on n’a pas eu de députés. » Julien Bayou craint, si son parti venait à perdre ce procès, que d’autres FDSEA intentent des dizaines de procès et puissent réellement affaiblir les comptes d’EELV.
D’autre part, dit-il, « sur un plan politique, organiser des opinions, favoriser la mobilisation des citoyennes et des citoyens pour exprimer une opinion, ce n’est pas antidémocratique, c’est l’essence même de la démocratie. Notre rôle en tant que parti est de concourir aux suffrages, pendant les élections et pendant les consultations. » « La FDSEA nous reproche donc de jouer notre rôle de parti politique », déplore Julien Bayou.
En 2017, selon Mediapart, la FNSEA s’était distinguée pour avoir diffusé à ses adhérents un « guide de réponse » à une consultation lancée par la Commission européenne sur la politique agricole commune (PAC). Quatre-vingts cases étaient alors précochées et les réponses préécrites dans le but de contrer la position des ONG sur le réchauffement climatique. Faites ce que je dis…