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Les coyotes sont entrés dans… Montréal

Montréal a lancé un plan de gestion qui témoigne d'un changement d'approche observé depuis plus de vingt ans en Amérique du Nord.

Les coyotes, de plus en plus présents dans les villes d’Amérique du Nord, s’approchent peu des humains. Mais confrontée à des morsures, Montréal tente de faire coexister ces canidés proches du loup et les habitants.

Montréal (Canada), correspondance

Jean-Sébastien Auger ne s’était jamais vraiment méfié des coyotes qui se baladent dans certains quartiers de Montréal depuis les années 1970. Jusqu’à ce soir d’avril où son chien, sorti dans la cour de sa maison, a été attaqué. « J’ai entendu "Yiiiip !", je l’entends encore dans ma tête. En sortant, j’ai vu mon Ti-Pouel dans la gueule du coyote ». La bête a ensuite bondi au-dessus de sa clôture, emportant son compagnon à quatre pattes. « C’était comme un membre de la famille. Ça n’a pas de sens ce qui se passe dans la ville. » Tomber nez à museau avec un coyote à Montréal n’est pas si inhabituel. Ce canidé, proche parent du loup — plus frêle, aux oreilles plus pointues et au museau fin — est désormais un citadin bien établi.

Entre le 1er janvier 2017 et début août 2023, plus de 2 200 signalements ont été faits. « Il y a peu de liens entre le nombre de coyotes et le nombre d’observations recensées. La hausse des signalements est souvent due à la présence d’un seul animal devenu moins craintif et qui est plus régulièrement observé par les citoyens », explique Gonzalo Nunez, chargé de communication à la mairie de Montréal. La mésaventure de Jean-Sébastien Auger reste rare : le coyote montre rarement les crocs. Seul un signalement sur dix est lié à un comportement agressif envers les humains ou les animaux domestiques.

Sur les réseaux sociaux, des riverains, comme Sylvie, partagent des images des coyotes qu’ils aperçoivent près de chez eux. Facebook / Nouveau Spotted Pointe-aux-Trembles et ses environs

Parmi les arrondissements où les coyotes sont vus le plus souvent figure le sien, avec plus de 300 signalements. Sur un groupe Facebook du quartier, des riverains, comme Sylvie, partagent leurs craintes ainsi que des images des coyotes qu’ils aperçoivent près de chez eux : « Attention à vos petits chiens, ils n’ont même pas eu peur de mon husky . » D’autres les rabrouent, en rappelant que les coyotes ont un rôle écologique de régulation des espèces dans la ville.

En 2017, une série de morsures à Montréal défrayait la chronique. L’été suivant, rebelote, avec trois morsures en une semaine sur des enfants, dont l’une sur une fillette en bas âge. La Ville a alors lancé un plan de gestion qui témoigne d’un changement de l’approche suivie depuis plus de vingt ans en Amérique du Nord. Aux oubliettes, la volonté de déloger le canidé, de le piéger ou le relocaliser. Désormais, il fait partie du paysage. À nous de nous adapter et de lui rappeler qu’il doit avoir peur des bipèdes. L’idée ? Avant tout éduquer les habitants et mieux gérer les déchets.

« Ils se sont adaptés et sont là pour rester ! »

Pourquoi les coyotes viennent-ils dans les métropoles ? D’abord, ces fans de rongeurs ont accès à un buffet à volonté, avec entre autres les écureuils et les rats, explique Pascal Côté, biologiste à Conservation de la nature Canada : « Ils sont tout-terrain et raffolent des lieux où la nourriture est disponible en quantité. »

Le déboisement, l’absence du loup pour le concurrencer en ville et les changements climatiques, qui rendent des métropoles plus chaudes, sont aussi évoqués par des scientifiques. Doté d’une grande capacité d’adaptation, le coyote a aussi intégré le rythme des habitants. « Ce sont des animaux souvent actifs au crépuscule, mais en ville, ils concentrent leurs activités la nuit, au moment où ils ont moins de chance de croiser les hommes », dit Pascal Côté. « Ils se sont adaptés et sont là pour rester ! » Alors, que faire pour que tout se passe bien ?

Pour ça, il faut tourner le regard vers l’ouest du continent. Là-bas, la coexistence est pensée depuis longtemps. « Contrairement aux villes de l’Est qui ont acquis leurs populations au cours des trente-cinq dernières années, la plupart des villes californiennes ont des coyotes depuis leur fondation », expliquait Dan Flores, écrivain et historien, dans une tribune du Los Angeles Times.

« Contrairement aux villes de l’Est qui ont acquis leurs populations au cours des trente-cinq dernières années, la plupart des villes californiennes ont des coyotes depuis leur création. » © Tayfun Coskun / Anadolu Agency via AFP

Sur la côte pacifique canadienne, Vancouver, qui en compterait entre 2 000 et 3 000, selon la British Columbia Society for the Prevention of Cruelty to Animals, a axé dès le début des années 2000 sa politique sur la coexistence. Elle a souvent été louée pour son efficacité, même si les conflits entre coyotes et humains ont récemment rebondi avec quarante-cinq attaques de coyotes dans le grand parc Stanley entre décembre 2020 et août 2021. Dans son plan, la Ville mise sur l’éducation, avec notamment des cours sur les coyotes dans les écoles. Les enfants y apprennent, par exemple, à les effrayer s’ils en croisent.

Une autre clé du puzzle : la nourriture. Vancouver mise sur une politique stricte d’interdiction de donner à manger aux animaux. L’amende est de plus de 300 euros pour quiconque nourrit n’importe quel animal. L’addition peut monter jusqu’à près de 70 000 euros et un an de prison pour avoir nourri des « animaux sauvages dangereux », selon le BC Wildlife Act.

Citée dans le quotidien Le Devoir, Colleen St Clair, professeure en biologie à l’Université de l’Alberta, affirmait en 2018, recherches à l’appui, que la nourriture était à l’origine de toutes les attaques de coyotes sur des humains. « Il faudrait que dans les parcs urbains, les poubelles soient à l’épreuve des animaux et il faut aussi les vider plus souvent », disait-elle alors. Elle pointait aussi le problème des bacs de compost, fouillés par les coyotes, qui peuvent alors contracter des maladies entraînant potentiellement, selon elle, des comportements agressifs.

Lire aussi : La température augmente, comme nos conflits avec les animaux

Le plan montréalais, lancé en 2018, a plusieurs points communs avec celui de Vancouver. Son premier volet visait à mieux connaître la répartition des coyotes. Le second, à faire découvrir les comportements à adopter envers eux. Si l’on en croise un, la Ville conseille par exemple de lui laisser l’espace nécessaire pour s’enfuir et s’il n’en a cure, de crier pour l’apeurer. Enfin, le dernier axe prévoit des interventions « d’effarouchement », menées par une brigade, afin qu’ils continuent d’avoir peur de l’humain.

Si effrayer l’animal ne fonctionne pas ou s’il est trop tard pour intervenir, les coyotes qui montrent des signes d’agressivité peuvent être capturés et euthanasiés. « C’est une mesure d’exception », explique à Reporterre Béatrice Saulnier-Yelle, attachée de presse au cabinet de la maire de Montréal. La Ville a d’ailleurs annoncé son intention de capturer, en mai, deux spécimens dans le quartier de Rivières-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles pour qu’ils soient abattus. Mi-juillet, les bêtes ciblées n’avaient pas été euthanasiées.

Mais pour Jean-Sébastien Auger, même si ces coyotes sont éliminés, rien ne sera plus comme avant dans son quartier. « Depuis que mon chien a été tué, je ne suis pas à l’aise à l’idée que mon fils se promène tout seul. Je l’emmène à l’école, je vais le chercher. Je veux être sûr qu’il n’y ait pas un coyote qui va le toucher. J’aime mon quartier parce qu’il est en ville et proche de la nature en même temps. Mais s’il faut coexister avec les coyotes, je préférerais déménager. »

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