« Pour une fois qu’on remet les citoyens au centre du jeu, osons leur faire confiance »

La convention citoyenne pour le climat est une innovation démocratique majeure, explique Mathilde Imer dans cet entretien. Elle y explique aussi où en sont les travaux de l’assemblée et commente les garanties politiques proposées par le chef de l’État.
Mathilde Imer est membre du comité de gouvernance de la convention citoyenne pour le climat. Elle est cofondatrice des Gilets citoyens.

Reporterre est un espace de débat pour toutes celles et ceux qui pensent que l’écologie est la question centrale de l’époque. Nous publions aujourd’hui le point de vue de Mathilde Imer, qui répond à l’entretien avec l’avocat Arnaud Gossement publié hier.
Reporterre — En quoi, selon vous, la convention citoyenne pour le climat est-elle une innovation démocratique ?
Mathilde Imer — En France, c’est un processus complètement inédit, car on n’a jamais rassemblé au niveau national une assemblée de citoyens tirés au sort, qui est représentative de la diversité de la société française. C’est très important sur la question climatique car on voit qu’il y a aujourd’hui un décalage fort entre les politiques publiques mises en place et ce que semblent véritablement souhaiter les citoyens français en la matière. Le tirage au sort et la démocratie délibérative viennent donc compléter notre système représentatif, qui à lui seul ne parvient pas à trouver les réponses adéquates à l’urgence climatique.
Comment s’est passé le tirage au sort ?
Pour sélectionner les citoyens, 250.000 numéros de téléphone (85 % portable et 15 % fixe) ont été générés aléatoirement sous le contrôle d’un huissier, puis ces numéros ont été appelés par les équipes d’Harris Interactive. Afin d’assurer une représentativité maximale, nous avons défini six critères : le sexe, l’âge, le niveau de diplôme, la catégorie socioprofessionnelle, la zone géographique et la typologie du territoire. La définition de critères est la pratique usuelle pour la mise en place d’assemblée citoyenne : cela permet d’éviter les biais sociologiques, comme le fait que les femmes ou les personnes peu diplômées se sentent généralement moins légitimes que les hommes ayant un bac + 5 à participer à ce type de processus. Sur ces six critères, on a respecté les mêmes proportions que la société française. Cela nous a permis d’être au plus proche de ce que vivent les Français.
Où en sont les travaux ?
Le premier week-end, en octobre, a été consacré au diagnostic scientifique. À la fin, les trois quarts des citoyens sont venus nous voir pour nous dire qu’ils s’étaient « pris une claque », que ça avait été « un électrochoc » et « dur à encaisser ». Ce sont les mots qu’ils ont utilisés. À l’image des Français, les 150 citoyens avaient globalement conscience qu’il existe aujourd’hui un problème par rapport au climat, mais ils n’avaient pas du tout conscience de l’urgence et de l’étendue des conséquences du changement climatique.
Au cours du deuxième week-end, nous avons analysé les obstacles à la transition écologique. Dans chacun des cinq groupes de travail — se nourrir, se loger, se déplacer, consommer, produire —, les citoyens ont auditionné des acteurs d’horizons très différents dans un débat contradictoire. J’étais dans le groupe « se nourrir » à cette session. Comme intervenants, nous avons eu aussi bien Greenpeace que la FNSEA [le syndicat agricole majoritaire], la fondation Nicolas Hulot ou encore Système U.

Lors du troisième week-end, nous avons étudié les solutions. Des porteurs de solutions sont intervenus comme Olivier Drot, gérant de magasins Biocoop, Laure-Émilie Angevin, coordinatrice du projet La Rochelle territoire zéro carbone ou Khaled Gaiji, porte-parole de l’association Résistance à l’agression publicitaire. L’objectif était double : faire découvrir aux citoyens les solutions qui existent déjà et leur permettre de comprendre pourquoi ces initiatives qui semblent bien fonctionner au niveau micro ne parviennent pas à se généraliser. Ainsi, ils ont pu réfléchir, quand ils le souhaitaient, à des politiques publiques permettant de les faire passer à l’échelle. Par ailleurs, il y a également eu des débats contradictoires sur les grands leviers d’action. Pour le groupe « se déplacer », par exemple, nous avons auditionné aussi bien Louis Gallois, président du conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën, que Priscillia Ludosky, Gilet jaune. À la fin de cette session, 90 pistes de travail étaient sur la table.
Enfin, le quatrième et dernier week-end a été marqué par la venue du président de la République et l’entrée dans « la première phase de l’entonnoir », pour reprendre l’expression de certains citoyens de la convention. Autrement dit, l’objectif désormais est d’affiner la feuille de route, afin d’avoir moins de mesures, mais des mesures plus détaillées et plus cohérentes entre elles.
À combien de propositions souhaitez-vous aboutir ?
Il n’y a pas de nombre arrêté, c’est aux 150 citoyens de la convention de décider ! On veut que certaines mesures soient le plus détaillées possible pour pouvoir pleinement passer sans filtre. D’autres mesures prendront la forme de recommandations.
Quel est le premier bilan que vous dressez ?
Plusieurs choses me marquent. D’abord l’engagement des citoyens, leur sérieux et leur cohésion. Ils font bien plus que leur travail. Certains se lèvent convention, mangent convention, dorment convention ! Ils font leur part. Ensuite, ce sera aux politiques d’être à la hauteur. Au fond de moi, je trouve que cette expérience en dit long sur l’état de conscience de notre société et je rêve que chaque Français puisse bénéficier d’une formation accélérée comme celle-ci. Il faudrait arriver à généraliser ce débat pour le faire vivre en dehors du Cese [le Conseil économique et social, siège de la convention] : à chacun d’entre nous, grâce aux médias et aux réseaux sociaux, de partager cette expérience au plus grand nombre.
L’avocat Arnaud Gossement critique l’absence de cadre juridique de la convention citoyenne et le non-respect de l’article 7 de la Charte de l’environnement sur la participation du public, qui fait pourtant partie du bloc de constitutionnalité. À ces questions juridiques, quelles réponses apportez-vous ?
L’enjeu à ce stade est moins juridique que politique. Jamais une innovation démocratique n’a été précédée d’un mode d’emploi juridique. Au contraire, le droit se transforme à l’issue de mobilisations ou de rapports de force politiques et sociaux : pas l’inverse ! Il me semble que tous, élus, Gilets jaunes, écolo… Nous voyons bien que notre démocratie traverse une crise profonde. On a besoin d’imaginer des dispositifs qui sortent du cadre actuel pour lui donner un nouvel élan.
À mon sens, il est trop tôt pour poser un tel argumentaire juridique. Le chemin est nouveau, personne ne sait encore comment cela va se terminer, car nous sommes face à une initiative jamais tentée. Je trouve par contre que tous les scénarios juridiques sont intéressants et j’invite les juristes ou constitutionnalistes à faire leur proposition à la convention pour rendre son travail le plus efficace possible et poser l’institutionnalisation d’un tel processus, si c’est le fond de la question. Par contre, lever à ce stade tous les obstacles juridiques posés par une innovation démocratique sans précédent, n’est-ce pas un biais détourné pour souhaiter l’échec du processus avant même qu’il n’arrive à terme ?
Bref, pour une fois qu’on a la possibilité de remettre les citoyens au centre du jeu, arrêtons d’avoir peur d’eux et osons leur faire confiance ! Osons les laisser démontrer que fin du monde et fin du mois, loin de s’opposer systématiquement, peuvent donner lieu à des politiques publiques pleines de bon sens, quand on laisse l’intelligence collective à l’œuvre.

Ce que soulignent les juristes, c’est également le fait qu’il n’existe pas aujourd’hui de garantie légale. Tout repose sur la parole et le choix du gouvernement. N’est-ce pas là une fragilité ?
On peut le regretter, mais le droit actuel n’oblige en rien l’État non plus lorsqu’il s’agit non pas de lancer une consultation, mais de prendre en compte véritablement ses résultats. Les citoyens ne sont pas, ou très peu, écoutés via le système actuel. On le vit quotidiennement et on ne peut pas s’en satisfaire. En tout cas c’est mon avis. À titre d’exemple, une étude récente publiée par la Commission nationale du débat public (CNDP) sur les dernières consultations en ligne démontre que l’État ne tire aucun profit des opinions même très majoritaires du public. Voilà justement une des raisons pour laquelle la convention a du sens : jamais l’État n’a été mis face à l’avis d’une assemblée de citoyens tirés au sort et représentatifs de la diversité de la société française sur un tel sujet. C’est beaucoup plus dur pour l’État de ne pas tenir compte des recommandations d’une telle assemblée que d’une consultation en ligne imaginée dans le cadre de la Charte pour l’environnement dans son article 7, du Grenelle de l’environnement (qui n’était pas représentatif de la société française) ou, plus récemment, des résultats du « grand débat ».
Si un système juridique à la hauteur de l’enjeu existait déjà, croyez-moi qu’on aurait été ravi de passer par celui-ci, mais ce n’est malheureusement pas le cas pour un tel dispositif. Alors, oui, la convention n’est pas la solution miracle face à l’urgence climatique et elle a bien sûr des fragilités, mais il me semble qu’on est dans l’obligation d’essayer de sortir du cadre.
Ainsi, oui, cela repose sur la parole du chef de l’État et la lettre de mission signée par le Premier ministre, mais je pense que c’est risqué pour le gouvernement de décevoir une assemblée citoyenne représentative de la société française qu’il a lui-même instituée. D’autant que le processus laisse le dernier mot aux citoyens de la convention, contrairement au Grenelle ou autre processus de participation. D’ailleurs, beaucoup disent que le coup politique serait assez fort et pourrait se matérialiser dès le lendemain dans les urnes et la rue. Et ce d’autant plus si les citoyens français se saisissent de la convention, comme ce fut le cas en Irlande, où un tel dispositif a permis la légalisation de l’avortement ou encore au Texas où cela a boosté la production d’énergie éolienne.
Est-ce que la prestation du chef de l’État vous apporte assez de garanties sur les débouchés politiques de la convention ?
Au lendemain de l’intervention du chef de l’État, on entendait aussi bien des citoyens de la convention dire « je suis hyper déçu », « il a fait son show », « il nous a baladés et il a menti sur le Ceta [l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada] », que d’autres dire « le sans filtre est réaffirmé et il ouvre bien la voie à un référendum, je suis très satisfait » ou encore certains « je n’ai pas assez de connaissances pour démêler le vrai du faux, mais même s’il a été très convaincant, j’ai pas vraiment confiance »… Bref, sans doute des réactions à l’image de la France.
En tant que membre du comité de gouvernance, la question pour moi était de savoir si les engagements du président de la République seraient à la hauteur des enjeux et du mandat donné aux citoyens de la convention. Trois phrases dans son discours ont particulièrement retenu mon attention : Il a d’abord dit : « Je souhaite sur quelques mesures en appeler à un référendum car c’est ce qui permettra de partager à tout le monde la préoccupation sur le sujet. » C’est selon moi l’engagement le plus important, d’ailleurs c’est celui qu’ont retenu les médias à la quasi-unanimité. Ensuite, il s’est engagé à revenir devant la convention « pour rendre compte des décisions » prises. C’est également conforme à l’exigence de transparence sur les débouchés. D’autant que les citoyens auront le dernier mot pour dire s’ils sont satisfaits ou non des suites données à leurs propositions lors d’une ultime session. Enfin, un troisième élément prête plus à débat concernant la définition du « sans filtre ». Il faut rester vigilant sur ce point, comme la juxtaposition de ces deux phrases nous y invitent : « Si, à la fin de vos travaux, vous me donnez des textes de loi, des choses précises, là je m’engage à ce qu’ils soient donnés au Parlement ou au peuple français tels que vous les proposez » et « si vous avez quelque chose de robuste, que moi je regarde et que je suis convaincu, je pense qu’il y a un chemin ». Si la première formulation du sans filtre est limpide, la seconde peut laisser une marge d’interprétation de par son ambiguïté.
Pour bien comprendre ce que cela implique, il faut se poser deux questions. La première est de savoir s’il s’agit d’un filtre juridique (le président écarterait les mesures non constitutionnelles en tant que garant de la Constitution) ; d’un filtre technique (le président écarterait une mesure qui n’est pas suffisamment précise pour être directement traduisible en proposition ou projet de loi) ou d’un filtre politique (le président se donnerait la possibilité d’écarter certaines mesures pour des raisons politiques). Si les deux premiers filtres, juridique et technique, sont acceptables, le dernier, le filtre politique, serait une entorse majeure à l’engagement pris par le président de la République.
La deuxième question porte sur la personne à qui s’applique le « sans filtre ». Cette expression peut devenir un piège tant elle installe une attente immense, si elle est comprise par l’opinion comme une application directe de la proposition des 150. Or, les propositions arrivent sans filtre sur le bureau des députés, des ministres, dans les urnes pour le référendum, mais même Macron ne peut promettre qu’il n’y aura pas d’amendements votés dans le cadre d’un débat parlementaire ou encore que les Français voteront positivement à l’ensemble des référendums auxquels ils pourraient être appelés à voter.
Enfin, rappelons qu’en Irlande il n’y avait pas d’engagement à passer sans filtre les propositions des citoyens de l’assemblée citoyenne à référendum et que l’Irlande reste pourtant la référence mondiale en matière d’assemblée citoyenne car cela a été un succès grâce à la tenue d’un référendum. Ainsi, plus que le sans filtre, c’est donc l’importance du rapport de force politique couplé à l’engagement sur le référendum que je retiens pour ma part. Car la convention atteint toute sa pertinence s’il y a un référendum au bout.
N’avez-vous pas peur que le référendum se transforme en référendum anti-Macron et qu’il soit contre-productif d’un point de vue écologique ?
C’est toute la beauté du processus. Pour une fois, ce n’est pas le président de la République qui posera la question aux Français mais une assemblée de citoyens représentatifs de la société française. C’est cela qui évite le référendum pour ou contre Macron. En Irlande, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Résultat des comptes : l’avortement a été légalisé avec une large majorité de 64 %, très proche des résultats qu’avait donné le vote interne à la convention irlandaise, 66 %.
Le gouvernement communique beaucoup sur cette convention depuis le début de l’année. Il veut en faire l’exemple de son action sur le climat. N’y a-t-il pas un risque d’instrumentalisation ?
Au vu des mauvais résultats de la politique climatique française, je comprends que certaines ONG dénoncent le fait que le gouvernement se cache derrière la convention citoyenne pour le climat pour ne pas prendre dès maintenant des décisions importantes. Je le regrette également. À mon sens et je l’ai dit à plusieurs reprises, la convention ne dédouane pas le gouvernement d’actions sur le court terme.
Mais il faut savoir faire la différence entre son désarroi pour la politique climatique d’Emmanuel Macron et le travail réalisé par les 150 citoyens tirés au sort. Par ailleurs, certains députés La République en marche (LREM) s’inquiètent de la « radicalisation des citoyens de la convention ». Ce n’est pas une radicalisation, c’est une prise de conscience de l’ampleur des enjeux. À nouveau, le premier week-end après l’exposé de Valérie Masson-Delmotte, une scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), beaucoup sont venus nous voir en nous disant « je me suis pris une claque ».
Le risque d’instrumentalisation existe, bien sûr, mais je pense que la déception pourrait bien être à la hauteur du niveau de récupération et avoir un effet boomerang pour le gouvernement, s’il venait à ne pas tenir son engagement.
Des propositions émergent-elles déjà ? Certaines font-elles consensus au sein de la convention ?
C’est un peu trop tôt pour le dire. Le mieux que je puisse faire à ce stade est de vous donner quelques pistes de travail. Mais notez bien qu’aucune n’est validée par les 150 à ce stade : modifier la Constitution pour que l’État prenne mieux en compte les enjeux écologiques, réguler la publicité des produits les plus polluants, permettre une vraie accélération sur le plan des rénovations thermiques des bâtiments, développer l’agroécologie, favoriser le télétravail, introduire des clauses environnementales dans les marchés publics et les accords commerciaux.
- Propos recueillis par Gaspard d’Allens