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Transports

Préféré au pétrole, le bioéthanol est-il vraiment écolo ?

En 2022, la consommation de bioéthanol a augmenté de 83 %.

La hausse des prix des carburants pousse les automobilistes à se convertir au superéthanol-E85. Peu cher, l’agrocarburant est aussi présenté comme neutre en carbone. La réalité est plus nuancée, selon une ONG.

La hausse des prix des carburants n’a pas profité qu’aux majors pétrolières. Les pompes de superéthanol-E85 ont aussi coulé à flot. En 2022, sa consommation a augmenté de 83 %. Cet agrocarburant est produit à partir de maïs, de blé ou de betterave et peut remplacer l’essence classique dans les voitures adaptées.

Tous les acteurs de la filière, réunis en conférence de presse mardi 24 janvier au matin, et représentés au sein de la Collective du bioéthanol, se sont félicités d’une année en tous points « exceptionnelle ». 35 000 véhicules compatibles au E85 ont été vendus, soit six fois plus qu’en 2021. 85 000 boîtiers de conversion, qui permettent d’adapter un moteur à ce carburant, ont été installés, soit trois fois plus que l’année précédente.

C’est notamment l’augmentation des prix des carburants qui a poussé les automobilistes à se tourner vers cette solution moins chère. Actuellement, le E-85 affiche environ 1,11 euro le litre, contre 1,87 en moyenne pour le SP95-E10. Ainsi, rouler au E85 permettrait à un automobiliste parcourant 13 000 kilomètres dans l’année d’économiser 440 euros, selon la Collective du bioéthanol.

Défrichage d’espaces naturels

Mais le bénéfice est-il aussi écologique ? Oui, répond la filière, qui considère le bioéthanol comme un carburant neutre en carbone. Selon son raisonnement, contrairement aux énergies fossiles, le CO2 émis lors de la combustion de ces végétaux n’augmente pas la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, du fait que ceux-ci l’avaient absorbé auparavant. Ainsi, le bioéthanol consommé en France permettrait d’éviter l’émission de 1,8 millions tonnes de CO2, a calculé le lobby européen du bioéthanol, ePure. Soit l’équivalent des émissions de 900 000 voitures par an, appuie la Collective du bioéthanol.

Pourtant, observe Marie Chéron, de l’ONG Transport et Environnement, « la protection de l’environnement et du climat est incompatible avec une croissance forte et continue de la consommation de bioéthanol ». C’est que l’affaire est complexe. Dans son rapport de 2021 sur les biocarburants, la Cour des comptes a été en effet beaucoup moins enthousiaste que le lobby. Évaluer le bilan environnemental des biocarburants est d’une « grande complexité méthodologique », soulignait-elle en 2021.

Produire des biocarburants demande d’augmenter la quantité de culture de maïs, betterave et blé. Pxhere / CC

Le bioéthanol permettrait une réduction de 50 % à 70 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à un carburant fossile. Mais la Cour soulignait que ces résultats ne prennent pas en compte le « changement d’affectation des sols ». Produire des biocarburants demande d’augmenter la quantité de terres cultivées. Cela peut encourager le défrichage d’espaces naturels. Cela « diminue le stockage de carbone » et donc « la performance environnementale des biocarburants », poursuivait le rapport.

« Lorsque le développement de cultures utilisées pour la production de biocarburants aboutit, directement ou indirectement, à la disparition de prairies, de zones humides ou de forêts primaires, le bilan des émissions de GES [gaz à effet de serre] des biocarburants peut s’alourdir jusqu’à devenir négatif par rapport aux carburants fossiles », prévenait de son côté l’Ademe (Agence de la transition écologique) au printemps dernier.

Un carburant pas très local

Mais en France, les conséquences négatives seraient limitées, nous rassure la Collective du bioéthanol, car les cultures destinées à ce carburant n’occupent que 1 % de la surface agricole française. « Ce sont quand même des parcelles agricoles en moins dédiées à l’alimentation humaine », note Marie Chéron. « En pleine crise alimentaire mondiale, les automobilistes français consomment chaque jour lʼéquivalent de 9,2 millions de baguettes », révélait son organisation dans un rapport de septembre 2022. « Plus on augmente la consommation de bioéthanol, plus on accroît les facteurs de déforestation et le prix des denrées alimentaires », poursuit Marie Chéron. « Manger ou conduire, il faut choisir ! »

Le bioéthanol se vante aussi d’être une filière française, contrairement aux produits pétroliers importés. « L’essentiel du bioéthanol consommé en France est produit en France », assure le dossier de presse de la Collective du bioéthanol. Pas tout à fait : en 2019, 83% des matières premières utilisées pour produire du bioéthanol mis à consommation en France sont d’origine française, indique le ministère de l’écologie. La même année, France Agrimer soulignait que les importations d’alcool permettant la fabrication de bioéthanol étaient en augmentation.

La Cour des comptes, elle, estime que la part de matières premières françaises dans la fabrication de biocarburants a « chuté ». On en serait à deux tiers de betteraves et céréales françaises dans les biocarburants essence comme le E85.

Disparition de la biodiversité

Enfin, les cultures de blé, maïs et betterave pour le bioéthanol n’est pas des plus vertueuses. Les betteraviers demandaient pour la troisième année consécutive une dérogation pour l’utilisation de néonicotinoïdes, pesticides très dangereux pour la biodiversité. Elle leur a finalement été refusée, non par le gouvernement mais par la Cour de justice européenne. La Cour des comptes notait également que les biocarburants contribuent à l’extension des grandes cultures. Avec l’utilisation des pesticides et la destruction des habitats, celles-ci contribuent à la disparition de la biodiversité.

La biodiversité pourrait être affectée par un développement du bioéthanol. Pxhere / CC

Autant de données qui questionnent la politique fiscale française en faveur du bioéthanol, estime Transport et Environnement. En effet, si le bioéthanol coûte moins cher à la pompe, c’est simplement parce qu’il est moins taxé. « La réduction de 1 euro par litre [...] a coûté près de 400 millions d’euros à l’État français en 2021, sans aucun bénéfice pour le climat », dénonce l’ONG.

La Collective du bioéthanol, elle, demande au contraire à ce que le développement de ce carburant continue d’être encouragé, comme énergie de transition avant le passage à la voiture électrique. Notamment, elle demande que l’accès des véhicules roulant au bioéthanol soit facilité dans les Zones à faibles émissions (ZFE) mises en place dans les métropoles. Pour trancher, « il manque un signal clair de la part du gouvernement », appelle Marie Chéron. De son côté, la Cour des comptes recommande « une stratégie (…) à long terme » sur le sujet.

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