ZFE : tout savoir sur les zones à faibles émissions

Une vignette Crit'air 3. - © Emmanuel Clévenot / Reporterre
Une vignette Crit'air 3. - © Emmanuel Clévenot / Reporterre
Durée de lecture : 10 minutes
ZFE Transports PollutionsVilles concernées, calendrier, efficacité, dérogations, injustices sociales… Tout ce qu’il faut savoir sur les zones à faibles émissions qui vont bientôt chasser les voitures les plus polluantes de plusieurs centres-villes.
Plus de la moitié des Français (51 %) ne connaissaient pas la classification Crit’air de leur véhicule en octobre dernier. Pourtant, depuis le 1ᵉʳ janvier, 44 % d’entre eux sont concernés par les zones à faibles émissions (ZFE), dont l’accès en voiture est conditionné à la présentation de cette certification.
À l’horizon 2025, les ZFE seront instaurées progressivement dans 43 agglomérations françaises. Le périmètre concerné, les dates d’exclusion des différents véhicules de même que les dérogations possibles doivent être définis par les collectivités.
L’État propose différentes aides à la conversion électrique et sera chargé de mettre en place la verbalisation des contrevenants à compter du deuxième semestre 2024. Un capharnaüm d’acteurs, de dates et de critères qui rend la mesure peu lisible. Le point en cinq questions-clés :
- 1 - Pourquoi une ZFE ?
- 2 - Qui est concerné ?
- 3 - Est-ce juste et efficace ?
- 4 - Quel est le calendrier ?
- 5 - Quelles dérogations et mesures d’accompagnement ?
1 — Pourquoi une ZFE ?
Instaurée par la loi d’orientation des mobilités de 2019, puis élargie par la loi Climat et résilience de 2021, la mise en place des ZFE répond à l’obligation européenne d’assurer une « bonne » qualité de l’air sur son territoire. Les normes édictées sont strictes — quoique plus souples que celles de l’Organisation mondiale de la santé — et sont censées préserver la santé des Européens.
En la matière, la France n’est pas bonne élève : l’État a été condamné par la Cour de Justice de l’Union européenne. Malgré les injonctions de la Commission européenne, 27 agglomérations françaises ont encore dépassé les seuils réglementaires en 2021.

Chaque année, 40 000 décès prématurés sont liés à une mauvaise qualité de l’air, selon Santé publique France. Parmi les polluants incriminés : le dioxyde d’azote et les particules fines, principalement émises par la combustion du diesel et responsables de maladies respiratoires et cardiovasculaires.
Les populations défavorisées en sont les premières victimes, « car elles vivent souvent à proximité de grands axes routiers ou dans des centres-villes paupérisés », explique l’urbaniste Frédéric Héran. La mise en place des ZFE doit permettre à terme de faire baisser la pollution atmosphérique.
Vous pouvez suivre ici l’évolution en temps réel de la qualité de l’air de votre ville.
2 - Qui est concerné ?
Depuis 2019, toutes les villes dépassant les seuils réglementaires de qualité de l’air sont concernées. Soit 11 agglomérations (voir notre carte ci-dessous). La loi Climat & Résilience a rehaussé cette ambition, si bien que depuis 2021, toutes les métropoles de plus de 150 000 habitants sont priées de préparer la mise en place d’une ZFE.
À défaut de plan plus ambitieux, l’ensemble de ces villes devront interdire l’accès du centre-ville aux véhicules non classés (mis en circulation avant 1996) ainsi qu’aux voitures dotées d’une vignette Crit’air 4 et 5 (diesel ou assimilés mis en circulation avant 2005 et 2000 respectivement).
Certaines agglomérations, comme Strasbourg ou Paris, ont aussi choisi de rehausser leurs ambitions : les véhicules plus récents classés Crit’air 3 (voiture à essence mise en circulation avant 2005 ou diesel avant 2010) seront aussi exclus de la ZFE à une échéance plus précoce.
À terme, seuls seront autorisés à circuler sans difficulté les véhicules 100 % électrique ou à hydrogène (vignette verte) et ceux classés Crit’air 1 (véhicules au gaz ou hybride rechargeable ou à essence mis en circulation à partir de 2011) et 2 (essence avant 2010 et diesel à partir de 2011).
À l’instar de la classification européenne (Euro 1 à 6), la classification des voitures françaises dépend du type de carburant employé et de la date de mise en circulation. Une méthode de calcul que dénonce l’association 40 millions d’automobilistes : « Comment expliquer à quelqu’un qui a son contrôle technique à jour, avec une conformité environnementale parfaite qu’il ne peut plus circuler sur ces zones ? s’étonne le président de l’association, Philippe Nozière. Nous sommes prêts à soutenir un examen de conformité environnementale tous les ans mais il faut que les critères d’attribution soient définis selon la pollution réelle des véhicules. »
3 - Est-ce juste et efficace ?
En termes d’efficacité, les scientifiques sont unanimes : le déploiement des ZFE améliore la qualité de l’air. En ville, près de 60 % des oxydes d’azote (NOx) et 18 % des particules fines (PM10), responsables de maladies pulmonaires et cardiovasculaires, sont issus des transports routiers.
« Les effets [de la réduction de la circulation automobile] sur la santé sont indéniables. C’est irréfutable », assure Camille Defard, de l’institut Jacques Delors. Selon le Réseau action climat, la mise en place d’une ZFE à Madrid a permis de réduire la concentration en NO2 de 32 %. À Lisbonne, la concentration en particules fines PM10 a été réduite de plus de 20 %. À Bruxelles, la concentration en NO2 a chuté de 9 % et celle de particules fines de 17 %.

Mais attention, pour que les bénéfices sanitaires soient équitablement répartis, il convient de délimiter une zone suffisamment large pour éviter de simplement déplacer la pollution sur les quartiers périphériques. Il faut aussi vérifier que les mobilités alternatives sont opérationnelles : les réseaux de métro, de tram ou de bus doivent être suffisamment développés et les pistes cyclables sécurisées.
À Marseille par exemple, la ZFE ne concerne qu’une petite superficie autour du port qui lui-même « n’est soumis à aucune norme suffisamment stricte », dénonce la porte-parole d’Alternatiba Marseille Florence Joly. Résultat : les véhicules sont repoussés sur la périphérie et les habitants restent encore soumis à la pollution des bateaux.
En outre, la ville accuse un grand retard dans le développement des transports publics. À Strasbourg en revanche, la ZFE couvre l’intégralité de la métropole et englobe 29 communes. Les élus mènent depuis plus d’un an des concertations afin de développer les offres de transports alternatives et les dérogations adéquates.
« Qui peut s’adapter, qui sera exclu ? »
Pour Camille Defard, l’enjeu des ZFE est avant tout social : « La réelle question est de savoir qui peut s’adapter à ces nouvelles mobilités et qui en sera exclu ? » Une question d’autant plus importante que les plus précaires sont aussi les plus exposés à un air dégradé.
Pour plus de justice sociale, les mesures d’accompagnement doivent permettre à l’ensemble de la population d’avoir accès à une mobilité. 38 % des ménages les plus pauvres ont un véhicule classé 4 ou 5, contre 20 % des plus riches.
Ce sont aussi les habitants des communes rurales ou péri-urbaines qui possèdent les véhicules les plus polluants. Or, ce sont aussi ces territoires qui sont les plus dépendants de la voiture. La concertation est donc primordiale et doit permettre de proposer aux habitants des solutions alternatives adaptées et accessibles.
4 - Quel calendrier ?
Le calendrier est laissé à la libre appréciation des collectivités (voir notre carte ci-dessus), sauf pour les communes dont les seuils réglementaires en matière de qualité de l’air sont dépassés. C’est d’ores et déjà le cas de Paris, Lyon, Marseille, Rouen et Toulouse qui doivent interdire a minima les Crit’Air 5 en 2023, Crit’Air 4 en 2024 et Crit’Air 3 en 2025.
Enfin, la verbalisation pourrait débuter au cours du second semestre 2024, a annoncé le gouvernement. Celle-ci sera en grande partie automatisée, et pourrait nécessiter l’installation de nombreuses caméras dans les centres urbains. Une perspective qui a soulevé l’indignation des défenseurs des libertés individuelles.
D’ici là, les polices municipales pourront constater et verbaliser les infractions, lors de contrôles de routine par exemple. Mais différentes agglomérations ont d’ores et déjà prévenu que leurs agents ne seront pas missionnés pour effectuer ce type de contrôle.
5 - Quelles sont les dérogations accordées et les mesures d’accompagnement proposées ?
Les dérogations comme les mesures d’accompagnement sont définies par les métropoles. Elles révèlent en creux les orientations politiques choisies par les édiles. Les dérogations peuvent concerner les professionnels comme les particuliers, mais aussi dépendre des activités menées ou de la fréquence d’usage du véhicule.
À Strasbourg par exemple, il est possible de demander un « Pass ZFE » destiné aux « petits rouleurs ». Les détenteurs de ce certificat — mis à jour à chaque utilisation — pourront ainsi circuler avec un véhicule vieillissant sur la ZFE jusqu’à 24 fois par an.
Autre exemple : à Reims, les producteurs locaux justifiant d’une activité agricole ou les transporteurs de raisin en période de vendanges pourront aussi demander une dérogation à titre individuel.

Les mesures d’accompagnement prennent différentes formes : développement des transports alternatifs, aides financières ou techniques à la mobilité ou action de communication. À Rouen par exemple, la métropole a ouvert un nouveau service de covoiturage simple et gratuit.
Résultat : la ville est aujourd’hui la première à pratiquer ce type de mobilité, deux fois plus que Montpellier pourtant situé sur la deuxième marche du podium. À Strasbourg, outre la construction de nouvelles lignes de tram, la municipalité a engagé depuis un an une large consultation des habitants, « au pied des immeubles » pour informer et mieux comprendre les besoins.
Restes à charge
De son côté, l’État propose différents dispositifs d’accompagnement (aides à la conversion, bonus écologique, prêt à taux zéro) pour pousser les détenteurs de véhicules thermiques à passer à l’électrique. Mais le reste à charge dépasse encore les 20 000 euros, et ne convient pas aux « petits » budgets.
En outre, les constructeurs automobiles ne proposent encore que des modèles électriques volumineux, dont l’intérêt environnemental reste discuté. L’État a annoncé par ailleurs travailler avec le secteur automobile à un système de location de petites voitures électriques pour 100 euros par mois, mais le dispositif est encore en cours de négociation.
Et ailleurs ?
Plus de 300 villes européennes ont mis en place des espaces de circulation restreints. L’Allemagne et l’Italie sont les plus avancées, avec plus d’une centaine de villes impliquées chacune. L’accès à ces zones est conditionné aux vignettes Euro 1 à 6, dont les critères d’attribution reposent sur les mêmes critères que les vignettes françaises. Le système de notation est simplement inversé : les vignettes notées 6 étant les plus écologiques.
Ces zones à circulation restreinte ont toutefois des profils variés, comme l’explique l’urbaniste Frédéric Héran. En Italie, il existe des zones à trafic limité, prévues pour limiter l’afflux de touristes dans la plupart des centres historiques. Aux Pays-Bas s’est généralisée depuis 20 ans l’interdiction du transit dans tous les quartiers. « Les usagers doivent entrer et sortir par le même endroit, ce qui supprime la possibilité de traverser un quartier en voiture », explique l’urbaniste.
En Espagne, les autorités ont aussi mis en place des « zones apaisées » où la circulation est limitée, ce qui permet de laisser les habitants réinvestir certaines places.
Cet article est le premier de notre enquête sur les zones à faibles émissions :