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Quotidien

Loi mobilités : la route toujours avantagée

La commission du développement durable de l’Assemblée nationale examine à partir d’aujourd’hui le projet de loi mobilités. Prime à la mobilité, place du vélo, infrastructures ferroviaires et routières, décentralisation… pour les associations écologistes, si ce projet contient des avancées, il reste en deçà des attentes.

C’est un examen aux allures de marathon. La commission développement durable de l’Assemblée nationale commence ce mardi 14 mai, pour deux semaines, l’étude du projet de loi d’orientation des mobilités (dite « loi mobilités »), porté par la ministre des Transports, Élisabeth Borne. Près de 3.000 amendements ont été déposés par les députés. Avec la révolte des Gilets jaunes et l’abandon de la taxe carbone, le texte est au cœur de l’actualité. Le gouvernement veut en faire « un tournant » dans sa politique des transports.

Très attendu — il n’y a eu aucune loi d’orientation sur le transport depuis 1982 —, l’examen du projet de loi a néanmoins été reporté de quelques mois à cause du « grand débat national ». Sa rédaction a aussi créé des polémiques. L’exposé des motifs — l’argumentaire politique de la loi — a été sous-traité à un cabinet privé, ainsi que son étude d’impact. Du jamais vu.

La loi a ensuite été adoptée en première lecture au Sénat début avril, à 248 voix pour et 18 contre. L’exécutif la présente comme « une boite à outils » et lui fixe plusieurs objectifs : « donner la priorité au transport du quotidien » ; « réduire les fractures sociales et territoriales » ; « répondre à l’urgence climatique » (les transports étant responsables de 30 % des émissions françaises de CO2).

Dans ce texte dense, des mesures phares se dégagent. Le gouvernement réaffirme d’abord son engagement financier. Il annonce un plan d’investissement de 13,4 milliards d’euros dans les transports pour la période 2018-2022. La moitié ira au ferroviaire, prioritairement vers la régénération du réseau et les sites saturés.

Un milliard d’euros aux autoroutes pour lutter contre le « désenclavement routier » 

Mais « l’État ne se contentera plus de construire des infrastructures, explique le ministère d’Élisabeth Borne, il assumera aussi un rôle de facilitateur qui donne à tous les outils nécessaires pour apporter les meilleures réponses, inventer, innover et améliorer les déplacements quotidiens de nos concitoyens ». Cette nouvelle approche repose sur une décentralisation de la gouvernance. Tous les territoires devront désormais être couverts par des « autorités organisatrices des transports », qui auront pour but de coordonner les transports collectifs, au plus près du terrain, au sein des communautés de communes ou des régions.

Autre enjeu d’importance, la future « prime mobilité durable », qui remplacera l’indemnité kilométrique. Elle est présentée comme l’un des marqueurs verts de la politique gouvernementale. L’idée est d’encourager les salariés à effectuer à vélo ou en covoiturage leur trajet domicile-travail en octroyant une prime, non imposable et exonérée de cotisation sociale, d’un montant de 400 euros maximum, soit le double du plafond actuel.

Un vélo cargo à Paris.

Auparavant, le covoiturage n’était pas inclus dans l’indemnité kilométrique. Le Sénat a aussi permis le cumul de la prime mobilité durable avec le remboursement des frais de transport en commun et l’a étendue aux frais d’alimentation des véhicules électriques.

Saluée par les associations environnementales, la mesure manque cependant d’« ambition » selon le WWF car la prime mobilité durable reste facultative et dépend seulement du bon vouloir des employeurs. Pour Véronique Michaud, secrétaire générale du Club des villes et territoires cyclables, « il sera difficile dans ces conditions d’atteindre les objectifs du plan vélo adopté l’an dernier, qui prévoit de tripler la part de la bicyclette dans nos trajets quotidiens d’ici à 2024 en la faisant passer de 3 % à 9 % ».

Il se pourrait qu’à l’issue du débat parlementaire, la mesure évolue dans le bon sens. Élisabeth Borne s’est récemment déclarée favorable à ce que la prime mobilité durable devienne obligatoire. Cette proposition se heurte à l’opposition du patronat.

Introduit dans la loi, le plan vélo a été doté de 50 millions d’euros par an, prévus pour aménager des itinéraires cyclables, des places de stationnement et des mesures contre le vol. Le Sénat a introduit des amendements pour que les cars neufs soient équipés d’un système pour transporter au minimum cinq vélos. Il a aussi créé un enseignement de l’usage du vélo à l’école à compter de 2022.

Anne Lassman Trappier, spécialiste des transports à France Nature Environnement (FNE), souligne « la volonté politique affichée pour le vélo et l’effort du gouvernement mais ce financement reste insuffisant. Si l’on veut promouvoir la pratique du vélo, il va falloir résorber les coupures urbaines, faire des passerelles, des tunnels, réaménager des carrefours. Cela ne tient pas dans une enveloppe de 50 millions d’euros et cela ne résorbera pas le retard qu’a accumulé la France vis-à-vis des autres pays européens ».

Le montant semble aussi ridicule par rapport aux investissements, actés dans la loi, en faveur des grands projets routiers. Un milliard d’euros leur seront octroyés, sous prétexte de lutter contre le « désenclavement routier des villes moyennes et des territoires ruraux ». L’autoroute Toulouse-Castres ainsi que le contournement est de Rouen ont été introduits dans la loi. Ces projets sont jugés incompatibles avec les engagements climatiques de la France par le Réseau Action Climat (RAC). Le RAC demande « l’abandon de ces nouvelles routes qui accentueraient la dépendance à la voiture et au pétrole pour des décennies encore et contribueraient à l’étalement urbain et l’artificialisation des sols ».

Une approche volontariste et libérale avec peu d’obligations et beaucoup de mesures facultatives

Anne Lassman Trappier regrette que « la loi ne remette pas en cause les avantages octroyés à la mobilité routière. Le gouvernement n’ose pas toucher au transport routier de marchandises », dit-elle. En effet, le texte ne met pas fin aux exonérations fiscales pour le fret routier. Il n’a pas non plus supprimé les niches fiscales sur le gazole ni créé de redevance poids lourds. « Il semblerait pourtant logique de faire payer aux camions une partie des coûts d’entretien des routes », analyse la membre de FNE. La situation est identique pour l’aviation. La loi n’annule pas les exonérations fiscales sur le kérosène alors qu’il est fortement émetteur de gaz à effet de serre.

Par contre, le gouvernement se lance à corps perdu dans la voiture électrique. Il a rendu obligatoire l’équipement de bornes de recharges dans les parkings neufs ou ceux supérieurs à 20 places. Pour Anne Lassman Trappier, « ce soutien aveugle interroge alors que la généralisation de la voiture électrique n’est pas écologiquement soutenable ».

Bornes de recharge pour voitures électriques à Cenon-sur-Vienne (Vienne).

L’exécutif s’est refusé à inscrire dans la loi l’objectif formulé par Nicolas Hulot d’arrêter les voitures diesel et essence d’ici 2040. La Fondation pour la Nature et l’Homme le déplore : « Ce n’est pas suffisant de créer une boite à outils, il faut fixer un cap », affirme Marie Chéron, chargée du transport à la fondation.

En réalité, l’esprit de la loi repose d’abord sur une approche volontariste et libérale avec peu d’obligations et beaucoup de mesures facultatives. Par exemple, le texte donne la possibilité aux agglomérations de plus de 100.000 habitants de mettre en place des « zones à faible émission » (ZFE) interdisant la circulation de véhicules polluants dans des espaces définis et à certaines heures. Mais il n’oblige pas à la création de ces zones à proximité des écoles et des crèches, comme le demandait l’Unicef (le Fonds des Nations unies pour l’enfance), qui a récemment fait une étude prouvant que, en France, trois enfants sur quatre respirent un air toxique.

De manière similaire, plutôt que d’affronter frontalement la question des petites lignes de train, la loi propose simplement aux régions qui le souhaitent de prendre en charge elles-mêmes leur gestion « C’est inquiétant, réagit Anne Lassman Trappier, ce n’est pas une mesure à même de lever l’incertitude sur leur avenir. »

Pour l’instant, rien n’est acté. Le projet de loi risque à l’Assemblée nationale d’être amendé avant son adoption en juillet. Il ne faudrait pas que le débat déraille. Au Sénat, en avril, les sénateurs ont glissé dans un amendement la création de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin ( TAV). Un « grand projet inutile et imposé » décrié depuis des dizaines d’années.

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