Voitures polluantes : des caméras de contrôle plein les villes ?

- @ Sanaga / Reporterre
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Libertés TransportsPour faire respecter l’interdiction massive des véhicules polluants dans les zones à faible émission, l’État promeut de nouveaux outils de surveillance.
La zone à faible émission (ZFE) sera-t-elle le dernier avatar de la société de surveillance ? Portiques, caméras et radars borderont-ils bientôt les villes pour trier et parquer les habitants au nom de l’écologie ?
Avec la loi Climat, les quarante-trois agglomérations françaises de plus de 150 000 habitants devront, d’ici 2025, instaurer chacune une zone à faible émission. Il est donc prévu d’interdire progressivement la circulation des véhicules les plus polluants et de financer le renouvellement du parc automobile par des véhicules neufs électriques ou hybrides. L’objectif affiché de ce dispositif est de respecter les normes de qualité de l’air de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de diminuer la pollution atmosphérique – responsable de 48 000 décès prématurés selon Santé Publique France.

Dès 2023, près de 2,5 millions de véhicules, soit 6 % du parc national, ne pourront plus circuler dans les principales métropoles françaises. En 2024, 3,7 millions de voitures supplémentaires seront privées d’accès aux grandes agglomérations. Et en 2025, l’interdiction concernera les trois quarts du parc automobile actuel.
« L’écologie est un prétexte pour déployer la vidéosurveillance »
L’ampleur de la transition est colossale et les autorités publiques s’interrogent sur les manières de faire respecter ces restrictions. Le nombre massif de véhicules à contrôler, l’intensité du trafic routier et la diversité des trajets exigent une surveillance totale. D’autant plus que, selon un récent sondage OpinionWay, 42 % des automobilistes interrogés se disent prêts à braver l’interdit.
De nombreux acteurs de la société civile et militants écologistes craignent que la ZFE accélère la mutation vers une « ville sécuritaire » bardée de radars tourelles, de capteurs et de caméras où les gestes de chacun pourront être épiés à l’aide de l’intelligence artificielle. « L’écologie est le nouveau prétexte pour déployer des caméras de vidéosurveillance et légitimer des politiques répressives », assure ainsi la Quadrature du net.
Les élus locaux partisans de la ZFE demandent, effectivement, à l’État de nouveaux moyens de surveillance. « Il ne peut pas y avoir de ZFE efficace sans capacité de contrôle des véhicules autorisés ou non à circuler », clame l’association France urbaine, qui représente les grandes villes et métropoles. Certains maires estiment aussi que les ZFE resteront « virtuelles », ou dit plus poliment, « pédagogiques » sans un accroissement technologique du contrôle.

Lors du premier comité ministériel sur les ZFE, le 25 octobre dernier, le gouvernement a plaidé pour la mise en place de dispositifs automatisés sans intervention humaine. « Il faut faire le maximum pour que ces outils soient développés le plus rapidement possible », a insisté le ministre des Transports, Clément Beaune. Une mission d’information flash menée par deux députés (Les Républicains et Renaissance) est arrivée à la même conclusion, jugeant ce type d’outils « essentiels » pour le déploiement des ZFE.
« Une multiplication de la collecte de données personnelles »
Ces nouveaux dispositifs technologiques pourront lire en temps réel les plaques d’immatriculation et les vignettes par des caméras et repérer automatiquement les contrevenants. À Paris, 200 caméras supplémentaires de vidéoverbalisation vont être installées. À Toulouse, la mairie et l’État prévoient la mise en place de soixante radars high-tech. Ces dispositifs auront la possibilité de signaler, au-delà du respect de la ZFE, les excès de vitesse, le non-port de la ceinture de sécurité, le téléphone au volant, le non-respect des distances de sécurité, etc.
Les industriels et le monde de la tech y voient une promesse de marché juteux. Plusieurs entreprises comme Parifex, Wintics ou Survision, spécialisées dans la surveillance algorithmique, proposent désormais leur « solution ZFE ».

« Le contrôle des ZFE nous offre l’opportunité de mettre notre technologie Lapi au service du bien-être des citoyens », affirme ainsi Survision. Ce type de caméra, avec un système de scan automatique des plaques d’immatriculation, est en mesure de contrôler jusqu’à 10 000 véhicules par jour alors qu’un agent à pied n’en réalise au mieux que quelques centaines. Une autre technologie, à l’étude, le système Lidar, repère la trajectoire des véhicules sur près d’une centaine de mètres grâce à « un ensemble de lasers à balayage qui modélisent l’espace en trois dimensions ».
« Les industriels ont progressivement modifié leur discours, analyse Noémie Levain, juriste à la Quadrature du net. Pour vendre leurs dispositifs sécuritaires et approfondir le contrôle, ils vantent désormais une ville propre et instrumentalisent l’écologie à des fins policières tout en multipliant la collecte de données personnelles. »
« Techno-idôlatrie »
Ces dispositifs ont été autorisés par la loi LOM, adoptée en 2019, via l’article 86 passé à l’époque inaperçu. Il prévoit de « faciliter la constatation des infractions aux règles de circulation » par « l’automatisation » des outils de surveillance. L’amende a également été fixée à 68 euros et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a exigé que ces modalités de contrôle se limitent à 15 % du nombre moyen journalier de véhicules circulant au sein de la zone.
Pas de quoi rassurer pour autant les défenseurs des libertés. « Avec la ZFE, on entre de plain-pied dans la technopolice, estime Alouette, de la Quadrature du net. Cela conduit au renforcement des formes de discrimination et de ségrégation, à l’automatisation de la police et du déni de justice et à la déshumanisation toujours plus poussée des rapports sociaux. »
Le chercheur Guillaume Faburel, auteur du livre Les Métropoles barbares (Passager Clandestin, 2018) voit dans le développement de ces nouveaux dispositifs une forme de « techno-idolâtrie ». « La ZFE s’inscrit dans l’imaginaire de la smart city, dit-il. Les comportements humains sont vus comme des flux à gérer et la big data s’impose comme le modèle unique de la régulation sociale. On mise tout sur la technique en stigmatisant les plus pauvres alors qu’il faudrait réinterroger de manière générale et en profondeur notre mode d’habiter urbain et son incompatibilité écologique. »