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EntretienPlastique

Projet de loi sur les emballages : « McDonald’s, KFC... ont fait un lobbying intense »

Le projet de règlement sur les emballages et déchets d'emballages a fait les frais d’un lobbying intense de la part des industriels.

Après des mois de discussions et un intense lobbying des industriels, le projet de règlement européen sur les emballages se révèle peu ambitieux, regrette Charlotte Soulary, de Zero Waste France.

Un texte peu ambitieux et affaibli. Les associations No Plastic in My Sea, Surfrider Foundation Europe et Zero Waste France déplorent le rapport adopté par la commission Environnement du Parlement européen le 24 octobre. Le projet de règlement sur les emballages et déchets d’emballages a fait les frais d’un lobbying intense de la part des industriels. Charlotte Soulary, responsable plaidoyer de Zero Waste France, revient sur ce vote et s’inquiète du vote en plénière, prévu le 22 ou 23 novembre au Parlement européen.

Reporterre — Quelle était l’ambition initiale de ce texte sur les emballages ?

Charlotte Soulary — L’ambition initiale de la Commission européenne qui a déposé le projet de texte était de réduire la quantité d’emballages mis sur le marché dans l’Union européenne. Pour cela, plusieurs propositions étaient listées : améliorer la conception des emballages pour permettre le réemploi et faire du recyclage, lutter contre le suremballage et, de façon générale, réduire les emballages à la source. Ce texte est discuté depuis un peu plus de deux ans maintenant. Il est de plus en plus édulcoré au fil des discussions.

Les données annuelles d’Eurostat montrent que les déchets d’emballages en Europe continuent d’augmenter, avec plus de 188 kg de déchets par an et par habitant en 2021, soit 10,8 kg de plus qu’en 2020. On pointe beaucoup la pollution plastique, mais cette hausse des déchets d’emballage est aussi due aux papiers et cartons utilisés, notamment, pour la vente à emporter dans les fast-foods.

« Les industriels ont mené un lobbying intense à Bruxelles »

J’en parle, car les acteurs de ce secteur économique ont mené un lobbying intense à Bruxelles. À tel point que le président de la commission Environnement du Parlement européen, Pascal Canfin, s’est exprimé publiquement [voir sa tribune publiée le 17 octobre 2023 dans Libération] citant nommément certaines entreprises, comme McDonald’s, KFC et Dunkin Donuts. Il dénonce leurs pressions et les études biaisées qu’elles ont réalisées pour s’opposer à l’étude d’impact de la Commission européenne.


Comment les industriels défendent-ils les emballages en carton et papier ?

Ils expliquent que leurs emballages sont recyclables. Or ce n’est pas le cas de tous. Les gobelets en carton, par exemple, contiennent du plastique à l’intérieur. Dès lors qu’il y a du liquide dans un emballage carton, il y a forcément du plastique quelque part pour permettre l’étanchéité. Ce qui empêche leur recyclage. Par ailleurs, l’analyse de cycle de vie réalisée par les producteurs n’intègre pas tous les impacts. Leurs méthodes de calcul sont particulièrement restrictives et aboutissent à des résultats faussés.

Ils ont été jusqu’à dire que ces emballages jetables étaient meilleurs pour la planète que les emballages réutilisables ! Ce qui est vraiment très, très tordu, car ça va à l’encontre des études scientifiques reprises par la Commission européenne. D’ailleurs, en septembre dernier, une soixantaine de scientifiques de toute l’Europe ont dénoncé dans une lettre ouverte l’étude biaisée de McDonald’s. Nous avons été surpris et contents de voir cette mobilisation des chercheurs, qui a permis de remettre un peu de raison dans tout ça.

Les industriels du plastique se sont concentrés, lors des discussions, sur la recyclabilité de leurs produits : leur enjeu, c’est d’entretenir le cercle « production/recyclage de plastique ». Les promoteurs du papier-carton comptent plus sur la substitution. Si on ne change pas les usages et qu’on conserve les emballages à usage unique, on pourrait voir les emballages en carton se substituer aux contenants en plastique. C’est un risque sur lequel on alerte depuis des mois et des mois.

Les industriels ont cherché à éviter des contraintes réglementaires en matière d’objectifs de réemploi pour la vente sur place et à emporter dans la restauration. Depuis la France, ça résonne particulièrement, car ce sont des mesures qui ont déjà été prises dans le cadre de la loi Agec de 2020. On est vraiment un pays avant-gardiste là-dessus. Notre espoir, au moment de l’élaboration d’une réglementation européenne sur la question, c’était que la situation française serve d’exemple et de socle minimum.


Le vote du 24 octobre a été serré. Quelles sont les avancées du compromis adopté ?

Le vote a été très, très serré sur tous les objectifs autour du réemploi, avec quarante-et-un voix pour et trente-neuf voix contre. Clairement, nous avons évité le pire. Quelques jours avant le vote, une coalition de deux groupes de droite a en effet présenté des amendements qui visaient à supprimer certaines mesures sur le réemploi et la réduction des emballages. Heureusement, ces amendements n’ont pas été adoptés.

Ceux qui ont été adoptés restent cependant des amendements de compromis qui cherchaient à satisfaire l’ensemble des groupes politiques. Ils ne sont donc pas très ambitieux. Par exemple, les objectifs de réemploi des boissons sont seulement de 20 % d’ici 2030 et de 35 % d’ici 2040, soit bien en deçà de ce que prévoit la loi en France. Ce n’est pas du tout à la hauteur de la crise des déchets d’emballages. Les restrictions de la vaisselle à usage unique dans la restauration sur place ont été maintenues. Mais là encore, la mise en application a été reportée : les pays membres auraient jusqu’à 2030 pour s’y conformer. De plus, une exemption très inquiétante a été introduite : les emballages à usage unique pourraient être acceptés dans les restaurants dans le cas où les infrastructures ne permettraient pas de mettre en place un système de réemploi efficace.

« Ce n’est pas du tout à la hauteur de la crise des déchets d’emballages »

Il y a quand même eu quelques avancées positives, comme la restriction de l’ajout intentionnel des polluants éternels (Pfas) dans les emballages. Parmi les autres amendements adoptés, l’interdiction du bisphénol A et l’obligation faite aux restaurants de donner gratuitement ou à faible coût de l’eau du robinet aux personnes qui le demandent. Même si ces deux mesures existent déjà en France.


Vous estimez que ce texte est une occasion manquée de sortir du tout-jetable. Pourquoi ?

Il n’y a que deux alternatives pour sortir du jetable : la suppression des emballages, autrement dit le vrac, et le réemploi. Le texte actuel ne va pas assez loin. Il est indispensable de mettre en place une logistique pour la mise en place du réemploi et de la consigne, et ce le plus tôt possible. Ce qui va demander un peu d’investissements et de réflexion. Et pour cette raison-là, il faut le prendre au sérieux. Or, quand on dit « 20 % de réemploi dans le secteur des boissons », on donne le signal à l’ensemble des acteurs économiques que ça restera anecdotique et que ce ne sera pas l’essentiel du marché de l’emballage. Ce qui a des conséquences en matière de création d’offres et d’investissements dans l’infrastructure. Cette dernière ne sera pas à la hauteur d’une généralisation du réemploi.

Or, on ne discute pas un règlement comme ça tous les deux ans ! Il va fixer des objectifs de long terme, avec des entrées en vigueur reportées très loin. Par exemple, l’interdiction des emballages plastiques pour les fruits et légumes est reportée à 2028. On part sur dix-quinze ans de législation. C’est ça qui va enclencher, ou pas, une transition.


Quelles sont les prochaines étapes législatives sur ce texte ?

Maintenant que la commission Environnement a adopté le texte, elle va le porter à la plénière du Parlement européen, qui va voter le 22 ou 23 novembre. Il y aura probablement des amendements. L’enjeu minimal pour nous est que ce texte soit adopté tel quel pour une adoption finale au plus tard en mars. Notre inquiétude, c’est qu’il y ait beaucoup de lobbying d’ici fin novembre.

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