Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

TribuneCenter Parcs et Roybon

Quand l’État préfère un Center Parcs à une zone naturelle

Vendredi 2 mars, le tribunal administratif de Dijon examine un recours contre le plan local d’urbanisme de la commune du Rousset, qui entérine l’implantation d’un Center Parcs. L’auteur de cette tribune raconte comment les autorités locales ont empêché la création d’une zone naturelle protégée, là où le projet veut s’implanter.

Jacquy Lièvre est président de l’association Savoir-Comprendre-Agir, qui s’est impliquée dans l’opposition aux projets de Center Parcs au Rousset (Saône-et-Loire), à Poligny (Jura) et à Roybon (Isère), à travers la coordination Center Parcs ni ici ni ailleurs.


« Ce n’est pas la victoire des uns sur les autres, c’est la collaboration de toutes les forces », proclamait Arnaud Montebourg en juin 2015, lors d’une réunion publique sur le projet de Center Parcs du Rousset, une petite commune de Saône-et-Loire logée entre forêt, étangs et bocages. L’ex-président du conseil général de Saône-et-Loire est un ardent défenseur de ce « village de vacances ».

L’annonce du choix de ce site avait été faite un an auparavant, fin mars 2014, par Pierre&Vacances (P&V). Le promoteur d’immobilier touristique mettait fin à un long suspens qui avait mis à vif les nerfs des élus locaux pendant plus de deux ans face à la mise en concurrence des différents lieux pouvant accueillir le parc de loisir en Saône-et-Loire… ou ailleurs !

Localisation du projet de Center Parcs.

Les tambours pouvaient résonner et les trompettes sonner : les édiles locaux avaient si bien travaillé que le Charolais bénéficierait de tous les « bienfaits » promis : un immense chantier de deux ans, des emplois de service ensuite et, cerise sur le gâteau, le territoire boosté par la renommée accolée à la marque Center Parcs.

Le projet étant qualifié de « nature », ses supporters ne se sont pas lassés de proclamer le grand attachement au respect de l’environnement sur lequel ils fondaient leur soutien moral et financier. Face aux associations de protection de la nature opposées au gaspillage d’énergie occasionné par une « bulle tropicale » chauffée à 29 °C toute l’année et par l’appropriation privée de 100 ha de forêt, dont 45 ha seraient déboisés (25 ha imperméabilisés), la région Bourgogne-Franche-Comté — prête à financer le projet et à acquérir les équipements de loisirs via une SEM (société d’économie mixte) — n’a eu de cesse d’annoncer la « vigilance écologique » qui la guidait dans ses relations avec le promoteur.

Heureusement pour le promoteur, la préfecture veillait 

Deux ans plus tard, une de ces associations a reçu de façon anonyme un courrier lui apportant un grand nombre de documents traitant du projet de Center Parcs : notes de services, cartes, comptes rendus de réunions et mails échangés entre les services du conseil général et de la préfecture de Saône-et-Loire et la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) de Dijon.

Le lanceur d’alerte à l’origine de cet envoi avait rassemblé les pièces mettant en évidence une opération discrète ayant eu lieu quelques semaines avant l’annonce publique du choix de la forêt du Rousset.

  • Télécharger le dossier présentant ces documents :
    « L’intervention préfectorale pour bloquer l’inventaire Znieff en forêt du Rousset »

Février 2014, le conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) était sur le point de placer la forêt du Rousset dans une Znieff, zone de grand intérêt biologique comportant des espèces et habitats remarquables. De quoi empêcher Center Parcs de s’y implanter ne serait-ce que parce que la charte de P&V proclame que ces espaces doivent être préservés.

Heureusement pour le promoteur, la préfecture veillait. Elle qui n’a normalement pas sa place dans le circuit de « modernisation des Znieff » intervenait immédiatement en découvrant le travail du CSRPN en demandant à la Dreal de bloquer l’inventaire floristique et faunistique. Les notes internes au préfet lui signalaient « la fragilité juridique » qui serait introduite « difficilement compatible avec les enjeux économiques et financiers » si le processus allait jusqu’à son terme. Un mois plus tard en réunion plénière de validation, les scientifiques se laissaient faire et ne passaient pas en revue cette zone, qui restait en l’état.

Un paysage charolais.

Un nouveau contour de la Znieff sera finalement validé beaucoup plus tard, après le débat public et l’enquête publique du plan local d’urbanisme (PLU). Il évite soigneusement l’emprise du projet de Center Parcs.

Les dossiers présentés au public ont pu indiquer que la zone présentait de faibles enjeux environnementaux, alors qu’à quelques semaines près, sans l’intervention de la préfecture, ces espaces auraient figuré dans les bases nationales du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) comme « remarquables » et « particulièrement sensibles » (définition des Znieff). Avertis, les élu.e.s et tout particulièrement la présidence de la région Bourgogne-Franche-Comté gardent le silence.

Il n’est pas trop tard pour revenir sur les errements du printemps 2014 

Oublié le communiqué qui, en novembre dernier, rappelait la nécessité que, « sur le plan écologique toutes les garanties soient apportées ». Oublié le « respect scrupuleux de l’eau et des espèces protégées » et « toute la transparence » due aux « associations, citoyens et collectifs » que proclamait le vice-président au tourisme.

Il y a beaucoup d’indécence dans l’omerta à laquelle se heurtent après ces « révélations » les associations demandant le reclassement de la forêt du Rousset en Znieff tel qu’il était prévu avant l’arrivée de Pierre&Vacances. Malgré l’évidence des traces laissées, malgré le flagrant délit en quelque sorte, ces élus aux commandes des collectivités locales ainsi que les scientifiques naturalistes impliqués refusent de dénoncer le passage en force et l’entorse aux procédures.

Manifestation des opposants au projet de Center Parcs du Rousset.

Ils montrent qu’au-delà de leurs déclarations de principe, ils se soumettent à la doxa laissant croire que la protection des ressources naturelles doit s’effacer devant les projets « créateurs d’emplois ». Ils paraissent croire que l’empilage de textes, de documents de programmation, de schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage), de schéma de cohérence territoriale (Scot) et de PLU peut délibérément être contourné par un simple coup de fil de l’autorité préfectorale, pendant que les bénévoles associatifs s’épuiseraient à en étudier les arcanes. Ils misent sur la démobilisation et le désintérêt des populations concernées par ce type de grands projets dans des zones faiblement peuplées.

Ce faisant, ils alimentent largement la passivité démocratique dont ils disent pourtant souffrir et simultanément, ils creusent le fossé qui les éloigne de tous ceux et celles qui refusent la destruction de l’environnement au profit du tourisme industriel.

Répétons-leur donc encore une fois que, dans le cas présent, il n’est pas trop tard pour revenir sur les errements du printemps 2014 et pour requalifier la forêt du Rousset avec le niveau d’intérêt écologique qu’elle mérite. Quitte à décevoir Pierre&Vacances et son PDG tellement « amoureux de la nature » !

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende