Enquête — Center Parcs et Roybon
Center Parcs au banc d’essai écolo. Verdict : roi de l’écoblanchiment

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Center Parcs et RoybonFondant son discours commercial sur « le plein de nature et d’espace », Center Parcs vante des pratiques « respectueuses de l’environnement ». Alors que trois domaines sont en projet en France, Reporterre a étudié les arguments du promoteur. La réalité n’a pas le lustre d’une brochure publicitaire.
Vous n’avez pas encore planifié vos vacances, vous recherchez un lieu pour échapper au stress de votre vie urbaine et vous mettre au vert quelques jours en famille ? A priori, Center Parcs est le lieu idéal pour ce genre d’escapade. Ce réseau de cinq sites en France (en tout, 21 à l’international), propose des villages de « cottages » à l’intérieur de domaines aménagés avec restauration, activités en tout genre, espaces de promenade, etc. Il suffit de quelques clics sur le site internet du réseau français pour constater que l’on vous promet « le plein de nature et d’espace ». « Center Parcs est l’une des premières entreprises de tourisme à s’être engagée dans la mise en œuvre d’un plan d’actions en faveur de l’environnement », souligne la communication du groupe.
Un discours qui fait s’étrangler les opposants aux trois projets de nouveaux domaines en France : à Roybon, en Isère, Rousset-Marizy, en Saône-et-Loire, et Poligny, dans le Jura. « On continue de construire alors que l’équivalent d’un département disparaît tous les sept ans à cause de l’urbanisation. Et là, on veut installer une ville de 5.600 habitants dans une zone naturelle préservée », regrette Stéphane Peron, porte-parole de l’association Pour les Chambarans sans Center Parcs, qui s’oppose au projet dans l’Isère. « Ils font venir les gens en voiture et en avion, ils visent même 5 % de clients chinois d’ici cinq ans, tout ce discours écolo, ce n’est que de la com ! » s’insurge Hervé Bellimaz, adhérent de l’association le Pic noir, active contre le projet jurassien.
Aïe. Est-il possible de passer des vacances « respectueuses de l’environnement » à Center Parcs ? Ou n’est-ce qu’un discours d’écoblanchiment ? Reporterre a fait le point sur quelques thématiques.
1. Les labels
Pour vanter sa politique de développement durable, Pierre & Vacances – Center Parcs, s’appuie sur des labels et des certifications. La première est la norme ISO 14.001. Une appellation technique, sensée prouver l’engagement de l’entreprise dans un « management environnemental », visant à limiter l’impact de ses activités sur l’environnement, et à vérifier régulièrement ses progrès dans ce domaine. Limite de la démarche, l’entreprise fixe elle-même les objectifs qu’elle souhaite atteindre. L’impact sur l’environnement peut donc diminuer petit à petit, mais ce n’est pas du tout une garantie d’absence d’impact.

Autre label mis en avant, celui de la Clef verte, décernée aux hébergements touristiques soucieux de protection de l’environnement. Elle a déjà été attribuée aux quatre domaines Center Parcs les plus anciens et le dernier né devrait lui aussi bientôt l’obtenir. La grille d’évaluation comporte 140 critères, dont le contrôle du débit des robinets, des lampes basse consommation, ou l’utilisation d’au moins 50 % de produits d’entretien écolabellisés. Il est aussi demandé à l’établissement de sensibiliser leurs clients aux « écogestes », ou de suivre leur consommation d’énergie. « Après, c’est vrai qu’on ne peut pas vérifier que leur consommation diminue chaque année », reconnaît Thierry Lerévérend, directeur de l’office français de la Fondation pour l’éducation à l’environnement en Europe, l’association qui gère le label. Il évoque de lui-même « l’Aqua Mundo », cette bulle géante installée dans les Center Parcs, maintenue toute l’année à 29 °C, et qui abrite une sorte de parc aquatique : « C’est vrai que les Center Parcs peuvent avoir des activités consommatrices d’eau et d’énergie, mais ce ne sont pas des critères éliminatoires car nous ne prenons pas en compte la consommation totale des établissements », estime le directeur. Mais n’est-ce pas trompeur pour les touristes qui souhaitent passer des vacances respectueuses de l’environnement ? « Non, puisque les critères sont respectés », estime-t-il. Avant de préciser : « On ne fait pas de l’écotourisme, la Clef verte n’est pas la promesse d’un tourisme nature ayant un impact minimal sur l’environnement. On assume de s’adresser aussi à des établissements qui se lancent dans une démarche. »
2. Le transport
Cette démarche, Center Parcs ne prétend pas seulement la débuter, mais l’approfondir sans cesse. Premier avantage mis en avant, le fait que les voitures ne circulent pas à l’intérieur des domaines : elles restent au parking à l’entrée. Outre que cela rend la location d’un vélo, payante, quasi obligatoire, c’est sans compter que les parcs ne sont accessibles qu’en voiture. En Isère, Stéphane Peron rappelle que « c’est comme pour les stations de ski en montagne, le bilan carbone est essentiellement dû aux déplacements pour y accéder. Des gens qui y viennent en vacances, mais aussi de tous les camions qui viennent alimenter cette ville. Sachant que les séjours à Center Parcs durent souvent 3 ou 4 jours, chez nous on aurait donc jusqu’à 2.000 voitures qui arrivent et 2.000 qui partent deux fois par semaine. »

3. Préservation de l’environnement et de la biodiversité
C’est l’un des éléments d’attraction des Center Parcs : ils sont installés sur des « sites exceptionnels ». Le groupe explique, bien entendu, les préserver. Première étape, lors des travaux. Ceux effectués dans la Vienne l’ont été selon la démarche « chantier vert », avec « gestion des déchets, prévention des risques de pollution des sols et de l’eau, respect des mesures en faveur des espaces sensibles et espèces protégées », précise la direction de la communication du groupe.
Puis, une fois l’écrin terminé, « nos parcs sont recouverts à 90 % par la forêt et l’eau », affirme encore la page de présentation des domaines. « À Roybon, sur 200 hectares de forêt au total, ils vont en défricher 92 », répond Stéphane Peron. Effectivement, si en bout de course, voiries, parkings, cottages et équipements ne représentent que 10 % de la surface d’un domaine en moyenne, la surface touchée par les travaux est souvent bien supérieure. Les zones défrichées sont ensuite réaménagées, comme rendues à la nature : « Ils considèrent qu’une pelouse avec des arbres replantés n’est pas une artificialisation », regrette le responsable associatif. Une artificialisation qui a forcément un impact sur la biodiversité, puisque la destruction des habitats est l’une des premières causes de son érosion.

Center Parcs s’en défend, mettant en avant au contraire une politique de préservation de la biodiversité. Le dernier né de ses parcs, installé dans la Vienne et nommé le Bois-aux-Daims, joue particulièrement là-dessus. Mares, prairies fleuries et clairières ont été aménagées pour trois espèces animales spécifiques de la zone. Les associations environnementales locales ont eu leur mot à dire, et ont permis d’installer des nichoirs, ou d’éviter les constructions dans une zone du parc préservée. Une démarche qui permet désormais à Center Parcs de promettre une expérience « inédite » à ses clients, grâce notamment à la présence d’un troupeau de daims sur le domaine, des animaux déjà familiarisés à l’homme car ils ont participé au tournage du film de Jacques Perrin Les Saisons.
« Ce n’est pas la nature, ce n’est qu’une mise en scène, conteste Hervé Bellimaz. Par exemple, dans le troupeau, il n’y a que des femelles, parce que s’il y avait un mâle il y aurait des problèmes de gestion ! » Stéphane Peron, quant à lui, constate que la protection de la nature ne fonctionne pour l’instant pas très bien pour le projet qui se profile près de chez lui : « Un cabinet a été chargé par Center Parcs de faire les études de biodiversité. Puis notre association a fait de même, et nous avons montré que certaines espèces n’étaient pas dans l’inventaire du cabinet. Comment veulent-ils protéger une biodiversité qui n’a pas été inventoriée correctement ? »
4. L’énergie
Le Center Parcs du Bois-aux-Daims, en particulier, souligne sa démarche poussée. Les cottages loués aux touristes sont certifiés BBC — basse consommation — et tous les équipements sont HQE — comprenez : haute qualité environnementale. Le tout est complété par l’implantation de panneaux solaires. Mais leur production reste peu significative par rapport à la consommation du domaine. Center Parcs indique qu’ils produisent 400 MWh par an et qu’un cottage ne consomme que 37,45 kWh par nuitée. En imaginant que les 400 cottages du domaine sont chacun utilisés 300 nuits par an, les panneaux couvriraient alors 8,9 % des besoins annuels des cottages, sans compter la consommation des équipements collectifs.
Des efforts qui ne suffisent pas, face à l’hérésie que représente pour les associations écolos l’installation phare présente dans chaque Center Parcs : l’« Aqua Mundo ». Cette bulle géante abrite une grande piscine agrémentée de cascades, de jeux aquatiques, d’espèces végétales tropicales, de plages, etc. À une température de 29 °C toute l’année, elle nécessite chauffage en hiver et climatisation en été. Center Parcs assure tout faire pour réduire la consommation énergétique de l’équipement, et la rendre la plus durable possible. Dans la Vienne, elle sera bientôt alimentée par « une unité de méthanisation portée par un regroupement d’agriculteurs locaux », assure à Reporterre le service communication. En Lorraine, c’est une chaudière à bois qui chauffe tous les équipements collectifs. Reste qu’Hervé Bellimaz s’interroge : « Les quantités de bois nécessaires sont importantes, peut-on se permettre de gaspiller notre forêt pour cet usage là ? »
5. Les ressources en eau
Là encore, Center Parcs explique que tous ses équipements (robinets comme piscine) permettent de réduire la consommation d’eau, avec en particulier « une maîtrise de la piscine au strict minimum des besoins de renouvellement ». Mais si la consommation énergétique des cottages est inférieure, en moyenne, à celle d’un foyer français, la consommation d’eau est elle supérieure : 246 litres par nuitée à Center Parcs, contre environ 148 litres par jour et par français en moyenne.

Selon Hervé Bellimaz, l’approvisionnement pourrait même se révéler compliqué dans le Jura : « La géographie de la zone est très particulière, il est difficile d’y trouver de l’eau. Ils vont sans doute être obligés d’aller la chercher à plusieurs kilomètres, et ensuite ils risquent de la rejeter dans un autre bassin versant. Ils vont accentuer les sécheresses là où ils prélèveront ! » En Isère, le nouveau complexe s’installerait carrément « sur la porte d’entrée de la nappe phréatique qui alimente tout le nord de la Drôme », avertit Stéphane Peron.
« On veut détruire l’environnement simplement pour réaliser une opération immobilière, poursuit-il. L’objectif de Pierre et Vacances est de construire des cottages puis de les revendre à des investisseurs privés ou particuliers. Il s’agit avant tout d’alimenter des actionnaires, alors que nous on souhaiterait un autre mode de développement, un autre tourisme. »