Quand les arbres communs racontent des histoires d’exception

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Nature ForêtsDe nombreux ouvrages sont consacrés aux arbres. Mais Arbor se distingue en refusant l’exotisme. Saisis par l’objectif d’Antoine Herscher, les arbres du commun sortent de l’anonymat pour raconter aux hommes des histoires inattendues.
On ne compte plus les livres où les arbres sont en majesté. Arbres historiques, arbres extraordinaires, arbres de nos contrées, arbres d’ailleurs… L’imagination éditoriale des éditeurs est sans fin. Avec Arbor (sous-titré « les arbres prennent la pose »), il n’est plus question de classifier, de ranger, d’étonner ou de surprendre. L’exotisme est banni. L’exceptionnel n’est pas le bienvenu. Nous changeons de registre pour partir à la découverte de ce que peuvent avoir d’extraordinaire des arbres saisis dans leur banalité.

Rien ne l’annonce. Antoine Herscher nous propose soixante photos d’arbres. Toutes sont en noir et blanc. Le format est carré. L’impression (faite en Italie) est soignée avec des dégradés infinis. Les photos ont toutes été prises dans le sud de la France, des Landes à la Drôme en passant par l’Auvergne avec quelques incursions en Espagne, plus précisément en Andalousie. Qu’est-ce qui les distingue d’autres photos d’arbres prises dans ces mêmes régions ? Quelque chose d’essentiel. Les clichés ne renvoient pas à des arbres remarquables en soi. Aucun de ceux photographiés par Herscher n’abrite une chapelle votive. Aucun ne renvoie à un épisode d’histoire locale ou nationale. C’est l’inverse. Les images sont celles d’arbres banals, communs, mais qui, saisis par le photographe, mis en avant par lui en quelque sorte, prennent vie, occupent l’espace, et sortent de l’anonymat.
Et l’on vagabonde ainsi entre le rêve et la réalité
Par sa magie, le banal ne l’est plus. Des plantations de peupliers graciles renvoient à des rêves de jeunesse oubliée ; les chênes-liège dépouillés de leur écorce suscitent une gêne confuse comme si l’on surprenait une personne en train de se dévêtir ; les alignements de platanes majestueux enserrés dans une gangue de buis débouchent forcément, l’imagination aidant, sur une maison où nous aimerions vivre… Et l’on vagabonde ainsi entre le rêve et la réalité, en se laissant bercer par des images qui s’incrustent en nous, certaines apaisantes, d’autres violentes.

Aucune photo ne laisse indifférent. Chacune illustre une histoire inconnue et incertaine. Que nous disent ces platanes qui, inclinés vers l’extérieur, en bordure d’une route de campagne anonyme dans le midi de la France, semblent vouloir fuir leur territoire ? Quel danger les menace ? Et cet autre qui cherche à franchir une palissade faite de noisetiers, pourquoi fuit-il ? Et cet arbre malingre (un frêne ?) posé au milieu d’un champ d’éoliennes sans âme, de quelle catastrophe est-il l’ultime survivant ? Et ces troncs qui ne sont plus que des moignons d’arbres perdus dans des paysages de montagne, et ces saules élagués…

Aucun être humain n’apparait sur les photos. Mais l’homme est omniprésent. La sérénité de la forêt landaise saisie par Antoine Herscher, les collines andalouses couvertes d’oliviers, les arbres guillotinés dans les Bouches-du-Rhône… L’humain est partout ou presque. Arbor est autant un livre — magnifique — sur les arbres que sur l’homme.

- Arbor. Les arbres prennent la pause, photos d’Antoine Herscher, préface de Jean-Paul Cumier, éditions Actes Sud, 96 p., 25 €.
