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TribuneÉconomie

Réduire le temps de travail, une nécessité écologique

Seule mesure abandonnée par la Convention citoyenne pour le climat, la réduction du temps de travail est pourtant, nous rappelle l’auteur de cette tribune, une réponse cohérente à la suppression des emplois par l’automatisation et à la multiplication des « boulots de merde ». Elle serait même indissociable du nouveau modèle de société que réclame la crise climatique.

Willy Gianinazzi est historien et biographe d’André Gorz.


Si les 150 conventionnels du climat ont manqué de courage pour aborder la question de la taxe carbone, qui ne doit son impopularité qu’à un manque d’imagination pour la concevoir de façon socialement acceptable, leur atelier « Produire et travailler » a fait preuve au contraire d’une grande radicalité, et en même temps d’un parfait réalisme, en proposant de réduire à 28 heures hebdomadaires la durée du travail.

Mais ce coup porté à la « valeur travail » et au « travailler plus » des Sarkozy et Macron, tout comme au productivisme désastreux du système capitaliste, était trop fort pour que cette mesure écosociale soit retenue en dernière analyse. Selon des intervenants lors du vote final, ce thème était irrecevable car sujet à « lynchage médiatique » et « hors de propos » en période de récession. Pour le Medef, un « suicide économique et social » était évité.

Déjouer les effets néfastes de l’automatisation

Et pourtant, avec l’avènement du néolibéralisme, cela fait bien des décennies que la conjoncture économique et ses épisodes dépressifs commandent de trouver des solutions à des destins humains ballottés entre chômage, précariat, stress et non-sens au travail. Car l’automatisation et la robotisation sont des procès structurels toujours en cours, qui suppriment inexorablement le travail et qui n’autorisent son redéploiement que sous une forme dégradée, dans des services souvent d’utilité douteuse (David Graeber décrit ces emplois comme des « boulots de merde »). Il s’ensuit que le chômage et le précariat, qui repartent à la hausse avec la crise actuelle, sont corsetés, en dépit des allégations à la mode sur la croissance pourvoyeuse d’emplois, par cette matrice structurelle que seule une diminution drastique du temps de travail pourrait faire éclater.

La conversion écologique se soutient par la restructuration énergétique des productions, transports et logements, mais cela ne suffira pas pour parer à l’urgence climatique si elle ne s’accompagne pas d’un renversement du mode de production en ce qu’il a d’irrationnel. La croissance à tout prix — produire n’importe quoi, n’importe comment et en quantité toujours plus grande — ôte du sens au travail et heurte la rationalité écologique, qui consiste à utiliser un minimum de matière et d’énergie pour un maximum de qualité et d’utilité de biens librement souhaités.

Brider la publicité pour diminuer la pression sur les consommateurs de besoins factices est une bonne chose que préconisent les 150. Ils proposent aussi de ralentir le cycle de circulation du capital par une plus grande longévité des biens susceptible d’être obtenue par la réparabilité obligatoire et une clause de garantie longue (cinq ans pour le matériel informationnel selon la Convention climat, dix ans pour tout produit selon les Amis de la Terre).

Par ailleurs, la question du financement de la diminution du temps de travail et de l’embauche subséquente de travailleurs supplémentaires serait, à notre sens, l’occasion de trouver une autre solution au problème des retraites que celle socialement régressive préconisée par le gouvernement.

Plutôt que d’accabler par des charges les entreprises qui embauchent ou qui utilisent un capital humain élevé, plutôt que de taxer les robots au risque de freiner l’automatisation, ne conviendrait-il pas de supprimer l’assiette salariale des cotisations sociales en les remplaçant par une cotisation basée sur le chiffre d’affaires de toute entreprise, indépendamment de son quota de salariés ? Aux yeux des patrons et des économistes qui les flanquent, le « coût du travail », comme ils aiment à l’appeler, perdrait en incidence, y compris sur les décisions d’embauche. Et, avantage déterminant pour la question des retraites, le maintien de leur niveau ainsi que le retour à l’âge de départ de 60 ans ne seraient plus mis en cause par le déséquilibre croissant entre population active et population retraitée.

Repenser la société sur d’autres bases que celle, suicidaire, de la croissance

On sait que la réduction du temps de travail a été une revendication consubstantielle au mouvement ouvrier depuis sa naissance. Tirant profit de l’augmentation incessante de la productivité, le patronat l’a régulièrement concédée, de sorte qu’on est passé de 3.000 heures ouvrées en 1900 à environ 1.600 heures par an aujourd’hui.

Arrivée des ouvriers et ouvrières de l’usine Pinay à Saint-Symphorien-sur-Coise (Rhône), avant la Première Guerre mondiale.

Le mouvement écologiste s’est emparé lui aussi de cette exigence, car elle participe du projet d’affranchissement de l’individu par rapport à un appareil de production qui brime son autonomie et saccage son milieu de vie. Forts du premier grand rapport scientifique sur les dangers d’une croissance illimitée, le rapport Meadows, de 1972, les premiers écologistes qui s’engagèrent en politique appelèrent à une réduction du temps de travail pour repenser la société sur d’autres bases que celle, suicidaire, de la croissance. Ainsi le premier candidat écologiste à une présidentielle, l’agronome René Dumont, proposa une réduction du temps de travail à 4 heures par jour [1].

La conquête de cette autonomie individuelle et sociale — sur laquelle s’est beaucoup penché André Gorz, l’un des pionniers de l’écologie politique en France — pourrait se mettre en route aujourd’hui avec la semaine de quatre jours (4 x 7 heures/j). Car la journée hebdomadaire ainsi dégagée pourrait accélérer le développement, entre mille possibilités, de l’autoproduction alimentaire (en milieu rural), de la coopération (de consommation, jardins partagés, Amap, etc.), de la vie associative (par trop délaissée aux retraités), de la vie politique (notamment locale) et des activités créatrices (artistiques, culturelles, de bricolage, etc.).

Mais il semble bien que ce soit le revenu d’existence, ou revenu universel, qui permettrait d’amplifier véritablement le mouvement vers plus de liens sociaux, et une autre façon de coopérer et de produire dont l’économie sociale et solidaire suggère à certains égards les prémices. Associé à la réduction du temps de travail, il favoriserait la sortie d’une société du salariat vers une société de la citoyenneté active, plus adaptée aux remises en question qu’appelle le péril climatique et aux demandes de renouvellement démocratique manifestées par la population.

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