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Europe

Réforme de la PAC : La Commission européenne s’entête dans l’agriculture productiviste et connectée

Dans un document interne à la Commission européenne consulté par Reporterre, les pistes de réforme de la politique agricole commune mettent en avant le développement numérique des espaces ruraux mais ne prennent pas en compte l’urgence climatique.

100 % d’accès rapide à Internet dans les territoires ruraux d’ici 2025, 35 % des fermes équipées de l’intelligence artificielle d’ici 2030, création de nouveaux logiciels et machines agricoles… Ces dix prochaines années, la priorité serait donnée à rendre les espaces ruraux plus connectés. C’est du moins ce que prévoit la Commission européenne : ces propositions pour la réforme 2020-2027 de la politique agricole commune (PAC) figurent dans un programme de travail rédigé à l’intention de la nouvelle Commission 2019-2024 par l’ex-commissaire à l’Agriculture, Phil Hogan, et que publie Reporterre.

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    Propositions pour la nouvelle PAC-2019

La nouvelle Commission entrera en fonction le 1er novembre. Janusz Wojciechowski, successeur de Phil Hogan, prendra alors le relais des négociations commencées en juin 2018. « Cette vision part du principe que la solution se trouve dans une agriculture 2.0. C’est l’agriculture Google et Monsanto », commente Jean-Marc Desfilhes, assistant parlementaire de Benoît Biteau, député écologiste.

Les propositions émises par Phil Hogan ont pour objectif de « promouvoir l’emploi, la croissance, l’inclusion sociale et le développement local des espaces ruraux », indique le programme de travail. À l’heure où apparaissent les concepts de circuit court ou de technologie douce, cette réforme semble aller à contre courant des besoins de l’époque . « En deux mots, ce que la réforme met en avant est la productivité et la compétitivité », dit Aurélie Catallo, coordinatrice de la plateforme Pour une autre PAC, collectif regroupant associations paysannes, organisations œuvrant pour le bien-être animal et des consommateurs. « Nous demandons au contraire de valoriser le savoir-faire des agriculteurs, pas celui d’une machine. Les agriculteurs veulent être proches de leurs consommateurs. C’est impossible quand le lait que tu produis est envoyé sous forme de poudre à l’autre bout de l’Europe. »

Mais la Commission ne propose qu’une évolution de la PAC. La structure envisagée pour la nouvelle politique agricole ne diffère pas de celle de son aînée. « Les changements réalisés sont marginaux. Phil Hogan et ceux qui l’ont élaborée essayent de pérenniser le système d’une agriculture productiviste jusqu’au bout, quitte à foncer dans le mur », regrette Aurélie Catallo. Les revendications du collectif Pour une autre PAC sont en opposition au modèle agricole valorisé par la PAC et ses décisionnaires.

Ardi Priks, doctorant à l’université d’Europe centrale, basée à Budapest (Hongrie), analyse ce conservatisme de la Commission : « Deux hypothèses se détachent. La première est une question de budget. Actuellement, les États membres savent qui paye, pour quoi et qui en bénéficie. Un changement structurel de la PAC bousculerait ces certitudes », observe-t-il, « Ma deuxième hypothèse est que même si la Commission présentait une réforme plus radicale, elle n’aurait jamais l’approbation du Parlement et du Conseil. Cet échec pourrait être compromettant pour des carrières. »

Pour une autre PAC est en négociation permanente avec les politiques français pour faire valoir ses revendications. « On arrive à s’exprimer et à être écoutés, mais on ne sait pas si ça sera pris en compte dans les négociations finales », s’inquiète Aurélie Catallo. Un mur d’intérêts se dresse face à eux. Tous les décideurs affirment vouloir inclure la protection de l’environnement dans la PAC, mais la manière d’y arriver diffère. Les Verts ne représentent que 10 % des voix européennes, un poids insuffisant pour réaliser leur souhait de « repartir de zéro » et de construire une nouvelle PAC. Si l’urgence climatique est présente dans les discours, la transition agroécologique peine à devenir une priorité. « C’est incroyable que la Commission Von der Leyen reste sur un modèle d’agriculture productiviste et ne fasse pas du réchauffement climatique une priorité. On a l’impression que tout le monde a compris l’urgence de la situation, sauf eux », dit Jean-Marc Desfilhes.

« Doucement, on observe une diffusion des idées écologiques parmi les États membres. Le problème est qu’elles servent souvent d’excuse pour continuer de toucher des fonds, sans donner lieu à de réels engagements, analyse Ardi Priks.

« Il faut que la commission pour l’Environnement devienne codécisionnaire de la PAC »

Pendant que se déroulera le vote d’investiture de la Commission, le collectif organisera une « agroparade » à Strasbourg (Bas-Rhin), ce mardi 22 octobre. D’autres mouvements se joignent à eux, comme Youth For Climate, des militants de la Ligue pour la protection des oiseaux ou encore Extinction Rebellion. Une alliance similaire pourrait se former au sein de la Commission entre agriculture et environnement : « Il faut que la commission pour l’Environnement devienne codécisionnaire de la PAC. Cette commission et celle pour la Santé émettent des propositions plus fortes pour l’arrêt de l’utilisation des pesticides », dit Jean-Marc Desfilhes.

Quoi qu’il en soit, la situation actuelle de la PAC est bancale. Les négociations peinent à progresser et son budget devrait être revu à la baisse. « Les États membres rechignent à avancer sur le fond de cette réforme, tant qu’ils n’ont pas un budget. Mais, sans accord stable sur le fond, toutes les démarches qui doivent suivre sont bloquées », explique Aurélie Catallo. Les propositions actuellement débattues ont été émises sans s’appuyer sur un budget fixe. Prévue au départ pour être mise en place dès janvier 2021, la réforme de la PAC devrait être prête au mieux en 2022. Un retard qui pourrait se creuser davantage si la négociation du budget rencontre des écueils.

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