Renault et le gouvernement tentent de noyer le scandale de la pollution

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Le scandale des dépassements de pollution par Renault, révélé par Reporterre en septembre, a fini par exploser jeudi 14 janvier. La ministre Royal est montée au créneau, tandis que l’action du groupe a dévissé. Le fait que des véhicules du groupe dépassent nettement les seuils de pollution est acquis. Mais une question demeure : Renault a-t-il délibérément pré-conditionné ses véhicules pour tromper les appareils de mesure ?
La bombe qu’ils cherchaient à camoufler a fini par leur exploser à la figure : jeudi 14 janvier, on a appris que des agents de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes) avaient perquisitionné au siège de Renault. Enjeu vraisemblable : découvrir des preuves de la dissimulation des émissions trop polluantes des véhicules de ce constructeur.
L’information n’est pas venue du gouvernement, mais du syndicat CGT, dans un tract distribué aux travailleurs du groupe :

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« Les agents ont examiné les ordinateurs portables des responsables techniques dans le secteur de l’homologation et du contrôle moteur », a précisé un délégué CGT Renault de Lardy, joint au téléphone à Reporterre.
En fait, dès septembre, Reporterre avait révélé que plusieurs véhicules du groupe Renault-Nissan dépassait énormément (jusqu’à 15 fois plus !) le seuil autorisé de polllution de 80 mg/km d’oxydes d’azote. Ni Renault ni le ministère de l’Ecologie ne répondaient à nos questions, et les médias faisaient le silence sur cette révélation. Un silence dû aux abondants budgets publicitaires que déversent les constructeurs automobiles sur les médias ?
Dans la foulée, l’association environnementale Deutsche Umwelthilfe décidait de tester l’auto Renault Espace 1.6 dCi, en réaction à l’annonce en septembre par Ségolène Royal de tests destinés à « faire toute la clarté sur l’absence de fraude », comme l’avait déclaré la ministre. Le test commandité par Deutsche Umwelthilfe a été mené par une équipe de l’université de Berne. Il a constaté que l’Espace 1.6 dCi rejette en moyenne onze fois plus d’oxydes d’azote que ne l’imposent les normes européennes. Le 26 novembre, l’ONG faisait parvenir ses résultats, spécialement traduits en français, à la ministre de l’Ecologie.

Elle pouvait y apprendre que le véhicule rejetait jusqu’à 25 fois la norme autorisée d’émissions d’oxydes d’azote, mais pouvait aussi rester en deçà du seuil autorisé, selon la façon dont le moteur avait été préparé aux tests. L’étude ne conclut pas à une fraude, mais, a minima, à un “pré-conditionnement” de la voiture. L’alerte, elle, est restée lettre morte. La DUH a plusieurs fois alerté le ministère français de l’Ecologie, par des mels en anglais dont Reporterre a eu copie, sans recevoir aucune réponse.
Le silence et le refus de prendre en compte les alertes se sont finalement révélés inutiles. Les soupçons de triche par Renault sont maintenant sur la place publique, et l’action du groupe a dévissé jeudi, perdant plus de 10 %.
Le groupe Renault a publié un communiqué dans lequel il affirme que "la procédure en cours ne mettrait pas en évidence la présence d’un logiciel truqueur" sur ses véhicules.
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Renault a-t-il "pré-conditionné" ses véhicules pour tromper les dispositifs de mesure ?
Il serait bon que Renault affirme nettement qu’il n’a pas mis en place un tel logiciel. Et le fond de la question est ailleurs : les véhicules dépassent-ils nettement les normes autorisées ? Et les véhicules ont-ils subi un "pré-conditionnement" pour tromper les dispositifs de mesure ?
A ces questions, nulle réponse. Non plus que de la part de la ministre Ségolène Royal, qui a convoqué une réunion de presse en urgence jeudi après-midi, mais en coupant court aux questions des journalistes, en disant que "ce n’était pas une conférence de presse" !
Mme Royal a indiqué que des tests réalisés sur les modèles Renault et d’autres modèles concernant « plusieurs constructeurs étrangers » révèlent des dépassements de normes pour le dioxyde de carbone (CO2) et les oxydes d’azote (Nox).
Cet aveu découle des travaux d’une commission technique, dite « commission Royal », mise en place par le ministère de l’Ecologie suite au scandale Volkswagen (11 millions de véhicules diesel du constructeur allemand équipés d’un logiciel capable de fausser les résultats des tests antipollution). Cette commission regroupe des représentants des associations de consommateurs, services des ministères de l’écologie, de l’industrie, et de l’économie, l’UTAC, l’ADEME et des experts universitaires ; mais sa composition est inconnue. Elle doit vérifier que les constructeurs français et étrangers n’ont pas eu recours à des logiciels truqueurs. L’Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle (UTAC), chargée d’effectuer les tests, avait déjà contrôlé depuis octobre 22 véhicules des marques Renault, PSA, Volkswagen, Mercredes, Ford, Opel, Toyota et BMW. Le rapport de l’ICCT que nous avions présenté en septembre avait lui analysé 79 véhicules.
Mme Royal n’a pas précisé l’ampleur des dépassements observés sur les véhicules Renault, arguant que « dans un souci de transparence, les résultats ne seront rendus publics que lorsque l’ensemble de l’échantillon – 100 véhicules – aura été testé ». Les constructeurs concernés par les prochains tests sont Nissan, Volvo, Susuki et Fiat. En revanche, « les tests n’établissent pas la présence de logiciels de fraude sur les véhicules d’autres marques que Volkswagen », a assuré la ministre.
« Il ne s’agit en aucun cas d’une situation comparable à celle de Volkswagen », a pour sa part affirmé le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, jeudi, lors d’un déplacement à Berlin.
Mission d’information sur l’automobile à l’Assemblée nationale
Par ailleurs, suite au scandale Volkswagen, l’Assemblée nationale a créé une mission d’information sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale. Sa rapporteure Delphine Batho, jointe au téléphone par Reporterre, s’est montrée prudente. « Nous réalisons un travail en profondeur et sérieux sur les causes des écarts constatés entre émissions et normes ; sur les raisons du laisser-faire européen qui ont fait que le scandale Volkswagen a éclaté aux Etats-Unis et qu’il n’y a pas eu de contrôles en Europe jusqu’à présent ; et sur les solutions pour rétablir la confiance entre les consommateurs et les industries, alors que les enjeux en matière de santé publique et et les enjeux sociaux sont lourds et conséquents », a-t-elle indiqué.
Mme Batho affirme avoir rencontré des membres de la direction de Renault lors de visites sur sites et avoir mené plusieurs auditions en lien avec le groupe, mais « n’a pas l’intention de livrer ses conclusions au compte-goutte » avant que la commission ne remette son rapport, au printemps prochain.
Bataille à Bruxelles contre le lobby automobile
Au niveau européen, la députée Verte Karima Delli, qui suit le dossier des transports, apprécie que « les élus décident de faire la transparence sur ce qui se passe. C’est une bonne chose, car les intérêts privés ne doivent pas passer avant la santé des citoyens, alors que les particules fines entraînent 75.000 décès prématurés par an en Europe ». Le dépassement des normes par Renault ne l’étonne guère : « Les ONG donnent l’alerte depuis des années, mais la réaction est toujours la même – les dirigeants cherchent à minimiser l’ampleur de la triche. » Une commission d’enquête du Parlement européen doit être nommée la semaine prochaine, dans laquelle siègera la députée.
Mais la route reste longue avant une législation antipollution réellement ferme à l’égard des constructeurs automobiles. L’Europe pourrait en effet accorder un délai supplémentaire aux constructeurs dont les véhicules diesel dépassent les seuils d’émissions de polluants. « Les Etats-membres se sont réunis avec la Commission pour une réunion de comitologie, raconte Mme Delli. Ils ont produit un acte législatif permettant un dépassement des seuils de polluants pour les diesels. Ségolène Royal est montée au créneau en affirmant que c’était scandaleux. »
La commission environnement du Parlement européen, réunie le 28 octobre, a rejeté cet acte. « Mais maintenant, il faut que l’ensemble du Parlement le rejette, prévient la députée. Le vote était prévu la semaine prochaine, mais les socialistes et la droite ont manoeuvré pour le repousser en février prochain. Ni les maladies liées aux oxydes d’azote, ni les décès prématurés, ni la nécessaire conversion des moyens de transport ne semblent les préoccuper. Notre but est de dénoncer cela, et de fixer un véritable calendrier pour que les constructeurs respectent les normes, avec davantage de moyens de contrôle. »