« Rendons gratuits les mètres cubes d’eau vitaux »

- © Sanaga/Reporterre
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Quotidien Eau et rivièresEt si les 50 premiers litres d’eau, vitaux, étaient gratuits ? Voilà l’enjeu d’une proposition de loi portée à l’Assemblée. Il s’agit aussi de faire payer plus cher les gros consommateurs, explique le député LFI Gabriel Amard.
Sécheresse, coupure d’eau potable, mégabassines… Plus de doute : l’or bleu va devenir un trésor. Comment s’y prendre pour que cette ressource vitale ne soit pas gaspillée et équitablement partagée ? La proposition de loi « visant à garantir l’accès à l’eau potable », présentée jeudi 24 novembre à l’Assemblée nationale, pourrait apporter des pistes de solution. Le député insoumis Gabriel Amard, à l’origine du texte, en explique les enjeux à Reporterre.
Reporterre — L’eau est une ressource sous tension. En quoi la proposition de loi que vous portez pourrait améliorer la situation ?
Cette loi vise à garantir l’accès à l’eau, avec une mesure principale : rendre gratuits les mètres cubes vitaux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) fixe entre 50 et 100 litres par jour le minimum vital pour boire, faire la cuisine et l’hygiène. Nous proposons que ce volume de 50 litres soit gratuit.
Nous souhaitons aussi que les bassins de vie de plus de 3 500 habitants prévoient des toilettes publiques et des fontaines gratuites, et ainsi que des bains-douches dans les agglos de plus de 10 000 habitants.
En parallèle, il faut renchérir le coût de l’eau pour les plus gros consommateurs : plusieurs collectivités ont expérimenté, avec succès, des tarifications différenciées. Elles permettent de faire payer plus cher ce qui est du ressort du confort ou du luxe [le remplissage des piscines individuelles par exemple]. On peut aussi imaginer augmenter le prix du mètre cube pour les usages professionnels ou les résidences secondaires. Ce serait à chaque collectivité de décider. Cette loi viendrait généraliser ce qui se fait déjà dans de nombreux territoires.
Nous devons vivre avec le dérèglement climatique, arrêter l’impréparation politique qui a conduit 117 communes à se retrouver cet été sans eau potable courante.

Lors de son examen en commission, votre proposition a pourtant été rejetée par les députés Les Républicains et Renaissance. Parmi leurs arguments : une telle mesure inciterait au gaspillage… Que répondez-vous ?
Cette loi lutterait contre le gaspillage, en rendant les usages ostentatoires plus onéreux. Et rendre les premiers 50 litres gratuits ne favorisera pas la gabegie, puisque ce sont les mètres cubes indispensables à la vie. L’eau, c’est comme l’air qu’on respire. Trois jours sans eau et nous sommes morts.
Et c’est un droit humain. Pourtant, en France, il est loin d’être garanti : 490 300 personnes n’ont pas accès à une eau potable gérée en toute sécurité. À Mayotte, un tiers des familles n’a pas d’eau courante. En Guadeloupe, les habitants vivent au rythme des coupures et des « tours d’eau ».
Lire aussi : En Guadeloupe, le scandale de l’eau est un désastre écologique
Une politique sociale de l’eau peut s’avérer coûteuse pour des collectivités déjà exsangues – et qui ne parviennent souvent pas à entretenir les réseaux. Comment financer une telle mesure ?
Nous présentons plusieurs sources de financement. D’abord renchérir le prix pour les maisons secondaires et les usages professionnels. Le texte propose aussi de mettre en place une taxe de 10 centimes sur chaque soda et embouteillage de l’industrie agroalimentaire. Ceci viendrait abonder un fonds de péréquation géré par les Agences de l’eau pour soutenir les communes. Enfin, l’idée serait de procéder par palier : rendre les 30 premiers litres gratuits d’ici à 2025, avant d’aller plus loin.
Comment faire pour que cette mesure – cette nouvelle tarification – ne profite pas aux multinationales de l’eau (Veolia, Suez…) qui gèrent encore dans de nombreuses communes la distribution de l’eau ?
Attention, le modèle dominant français, en nombre de services déployés, ce sont bien les régies publiques. Sur les 31 000 services d’eau, 6 300 seulement sont gérés par des opérateurs privés. Ils sont en sévère recul, et c’est le sens de l’histoire. Notre loi ne parle pas de ça, car notre objectif est de faire avancer la garantie du droit à l’eau. La fédération des opérateurs privés [1], que nous avons rencontrée, a d’ailleurs plutôt encouragé ce dispositif.
Il y a de forts risques que votre proposition de loi soit rejetée lors de son examen par l’Assemblée nationale. Quelle est l’étape suivante ?
Nous ne nous arrêterons pas là. En 2010, les Nations unies ont adopté une résolution faisant de l’accès à l’eau et à l’assainissement un droit humain fondamental. Il y a urgence à agir à l’échelle nationale. La France peut et doit faire plus. Je plaide notamment pour que ce droit essentiel soit inscrit dans notre Constitution.