Reportage — Pédagogie Éducation
Rentrée scolaire : nos enfants plongés dans des passoires thermiques

Une école primaire à Aubagne (Bouches-du-Rhône), en octobre 2022. - © Stephane Ferrer / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Une école primaire à Aubagne (Bouches-du-Rhône), en octobre 2022. - © Stephane Ferrer / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Durée de lecture : 6 minutes
Pédagogie Éducation ÉnergiePrès de 12 millions de jeunes s’apprêtent à retourner en cours, dans des classes souvent mal isolées. Malgré l’urgence, les collectivités peinent à relever le défi de la rénovation, complexe et coûteuse.
Montpellier (Hérault), reportage
Fébriles, menuisiers et maçons s’activent dans les salles de classe. Car dans quelques jours, le bruit strident des perceuses sera remplacé par les rires des enfants. Pendant l’été, l’école Marc Bloch, située dans le quartier populaire des Hauts de Massane à Montpellier, a subi un lifting. Remplacement des fenêtres, isolation des murs côté sud et du plafond… un million d’euros de travaux, pour tenter de transformer cette passoire thermique en établissement confortable. Une gageure selon Ouahid Dorbane, directeur du pôle patrimoine de la métropole : « Quand on met le doigt dans la rénovation, on y laisse souvent le bras ».
Comme l’école Marc Bloch, des dizaines de milliers d’institutions scolaires sont mal isolées à travers la France — trop chaudes en été, trop froides en hiver. « 60 à 70 % des collèges sont à rénover, estime le chercheur Laurent Jeannin, qui travaille sur le sujet. On a 150 millions de mètres carrés de bâti scolaire, dont une grande partie n’est pas en très bon état… Ce chantier est immense ! »
Les quelques chiffres disponibles donnent en effet le tournis : d’après l’Agence de la Transition écologique (Ademe), les bâtiments scolaires représentaient en 2017 « 82 % des consommations énergétiques des communes de métropole, alors que leur part dans le patrimoine immobilier communal ne dépassait pas 31 % de ce patrimoine ». Et neuf sur dix chefs d’établissement ont déjà été interpellés au sujet de la température des salles, selon une enquête du Centre national d’étude des systèmes scolaires [1].

Marseille est régulièrement pointée comme la pire métropole en la matière. À Montpellier, la situation n’est pas plus réjouissante. Au moins 16 % des écoles, la majorité en quartier populaire, seraient de « véritables passoires », selon M. Dorbane. Outre ces cas préoccupants, chaque été, « on a des retours d’enfants qui s’évanouissent, font des malaises à cause de la chaleur », témoigne Murielle Kosman, porte-parole de l’association Une école, un avenir.
En 2022, l’association a attaqué en justice le maire et le préfet, accusés de ne pas protéger les élèves de la canicule. « Tout va trop lentement, se désole la maman. Au rythme actuel de cinq chantiers par an, il faudra près de vingt ans pour verdir toutes les écoles. »

Vite fait, mal fait
Comment en est-on arrivé là ? « L’état du bâti scolaire est l’héritage de choix politiques », dit Laurent Jeannin. L’école Marc Bloch des Hauts de Massane, comme de nombreuses autres, a été édifiée à la va-vite dans les années 1960, après la guerre d’Algérie. « Il s’agissait de construire rapidement, et on a utilisé ce qu’on appelle des structures Pailleron, métalliques, peu chères et légères », explique Ouahid Dorbane ; structures qui se sont révélées être des fours solaires. Idem à la fin des années 1970 : « Avec la loi créant le collège unique, il a fallu construire en urgence, dit M. Jeannin. Entre 1976 et 1990, un établissement était livré chaque jour en moyenne ! » Vite fait et souvent... mal fait. Amiante, plomb, plastique, préfabriqué. Ce fut la quantité au détriment de la qualité.
Dans les années 1980, l’État a transféré la propriété du bâti aux collectivités locales. Avec un effet pervers inattendu : « Les écoles sont devenues des facteurs de réélection pour les maires, explique le chercheur. Il fallait donc des bâtiments ostentatoires, qui pouvaient être inaugurés en grande pompe. » Ce fut l’époque des grands édifices aux larges baies vitrées. Là encore, l’écologie est passée à la trappe.

Résultat, au tournant des années 2000, nombre d’établissements scolaires n’étaient pas (du tout) adaptés aux enjeux du XXIe siècle, en particulier à la crise climatique. Depuis, malgré un changement dans les discours et une réglementation beaucoup plus exigeante, « on peine à rattraper le retard », constate le scientifique.
Ce n’est pas faute de solutions techniques. « Rendre les bâtiments passifs, on sait faire, dit Jean-Luc Lauriol, architecte montpelliérain, qui transforme actuellement d’anciens édifices militaires en classes d’école. Garder l’inertie thermique avec de gros murs, créer une ventilation naturelle en orientant bien les ouvertures, peindre murs et toits en blanc, installer des brasseurs d’air [des ventilateurs de plafond]… mais c’est plus cher et plus long. »

L’argent, le nerf de la guerre
Les freins sont donc surtout économiques et politiques. « La plus grosse difficulté, pour les petites communes, c’est l’accompagnement et le conseil », note Nadège Havet, sénatrice du Finistère et rapporteuse d’une mission d’information sur le sujet. Lorsqu’un ou une secrétaire de mairie doit suivre tous les projets, la rénovation, longue et complexe, relève vite de la mission impossible.
Mais le nerf de la guerre demeure l’argent. Selon le rapport de Mme Havet, il faut compter entre 300 et 1 700 euros au m² pour atteindre une bonne performance énergétique. La facture peut donc grimper en flèche. « Il existe de nombreuses aides, mais elles sont mal connues, et difficilement accessibles, précise la sénatrice. Il faut souvent monter quatre ou cinq dossiers différents, avec des expertises coûteuses à faire en amont. »
« On a très peur du saupoudrage, des rénovations partielles »
Cerise sur le gâteau, « le retour sur investissement, souvent long — vingt ou trente ans pour une rénovation aux standards basse consommation — décourage de nombreux élus, a fortiori lorsqu’existe un risque de fermeture de classe ou d’école », indique son rapport.
Le plan « 10 000 écoles » annoncé par Emmanuel Macron et Christophe Béchu en mai dernier ne devrait donc pas faire de miracle. D’abord, parce que les montants annoncés — deux milliards d’euros de prêts — sont très loin des besoins estimés. Différents experts s’accordent en effet sur un budget nécessaire de quarante milliards sur dix ans.

Ensuite, parce que le gouvernement ne prévoit pas, pour le moment, de suivi ni de contrôle. « Il faut pouvoir évaluer les actions menées, sinon on risque de se retrouver avec une multiplicité de rénovations “de façade”, partielles, et inefficaces, insiste Cyril Verlingue, qui suit le dossier au sein du SNES-FSU. On a très peur du saupoudrage. » Même crainte du côté de Laurent Jeannin : « Sans évaluation et sans cahier des charges précis au départ, on risque de dépenser beaucoup d’argent... pour peu de résultats. »