Reportage - Fukushima, la vie empoisonnée

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Monde Catastrophes nucléairesAutour de la centrale de Fukushima, il y a des villes, des bourgs, des terres agricoles. La radioactivité est le plus souvent faible dans la région, mais elle est bien là. Tout le monde ne peut pas et ne veut pas partir. Alors, on s’accommode malaisément de cette menace invisible qu’on voudrait oublier mais qui reste bien présente.
- Département de Fukushima, reportage
Après Fukushima, zone interdite, la vie au quotidien dans un environnement marqué par un poison invisible. Est-il là, n’y est-il pas ?
Car la présence de la radioactivité ne se limite pas aux zones réservées définies par le gouvernement. Dans tous les lieux alentours, dans la ville de Minimasoma ou dans celle d’Iitate, et en montagne si présente dans la région comme dans tout le Japon, le spectre du poison est présent, rendu visible par les nombreux chantiers dits de décontamination qui parsèment le paysage.

Les bulldozers raclent la terre, surtout dans les plaines de vallées où s’étendaient naguère les rizières. La terre est placée dans des sacs en plastique noir, regroupés et recouverts de bâches bleues.

Où iront ces milliers de tonnes de terre faiblement radioactive ? Nul n’en sait rien. Personne ne veut donner son terrain pour accueillir durablement ce qui est bel et bien un déchet radioactif. Alors, au long des routes, on passe de montagnes luxuriantes à la jungle profuse vers des paysages sereins de rizières…

… puis à des accumulations sinistres de glaise toxique.

Fukushima, terrain à décontaminer, comme l’indiquent ces oriflammes jaunes posés près des chantiers – un emblème dont le département aimerait bien se passer :

Pourtant, les gens tâchent de vivre, tout simplement. Mais les villes tournent au ralenti – « L’activité économique ne tourne pas, dit un chauffeur de taxi à Iwaki, au sud du département. La seule chose qui marche, ce sont les hôtels qui logent les travailleurs de la centrale de Fukushima ». La population a baissé, par les morts du tsunami mais aussi de la catastrophe, en raison du stress qu’ont subi les personnes déplacées, ainsi que par tous les "réfugiés", qui ont quitté la région. La vie n’en continue pas moins, comme en témoignent les centaines de collégiens en chemise blanche et pantalon – ou jupe plissée – à la gare de Minamisoma, le matin, ou les travaux à la grande usine Marusan Paper.
Mais difficilement, notamment pour l’agriculture, dans un département où elle était encore importante, et qui peine à se relever. Les produits estampillés « Fukushima » se vendent mal. Pour rassurer les consommateurs, la préfecture a installé deux cents machines pour vérifier le taux de radioactivité du riz et d’autres aliments, comme ici, à Futaba.

Des machines fournies par… Areva. « L’an passé, onze millions de sacs de riz ont été analysés, dit M. Miura. Seulement vingt-huit dépassaient le seuil d’interdiction ». Hiroshi Miura est riziculteur, et membre de Nominrem, un syndicat agricole comparable la Confédérations paysanne : « On était fiers de nos produits. Mais quand les consommateurs entendent le mot ‘Fukushima’, ils se méfient ».

M. Miura a perdu sa maison emportée par le tsunami. Il a aussi perdu des amis proches. Mais du tsunami, explique-t-il, on se remet, on peut reconstruire. Pas de la radioactivité : ses terres sont en zone contaminée, il ne peut plus y travailler, il a dû louer des terres ailleurs. Le handicap de la radioactivité s’ajoute à la crise d’une agriculture dont les travailleurs vieillissent de plus en plus, sans que suffisamment de jeunes viennent les remplacer. Et si le traité de libre-échange transpacifique – le symétrique du projet de traité transatlantique - est adoptée, « ce sera la mort de l’agriculture japonaise », dit M. Miura.
A quelques dizaines de kilomètres de là, à Date, un autre agriculteur, Satochi Nemoto, montre le parc solaire qui a été installé à l’initiative du syndicat Nominren et avec des particuliers qui y ont investi une part de leur épargne.

Il fait écho aux propos de M. Miura : « Les agriculteurs sont en situation délicate. Il est difficile de faire disparaître l’idée qu’il y a par ici dix fois plus de radioactivité que normalement. Mais il ne faut pas baisser les bras, sinon, on risque de perdre ce beau paysage ». Le parc solaire a été un moyen de relever la tête : « On ne doit pas rester des victimes. On s’est pris en main, et on voudrait être des pionniers pour la reconstruction du Japon ». Au demeurant, on voit de nombreux parcs solaires à travers les campagnes, elles se sont multipliées depuis Fukushima. « Il y a un fort potentiel au Japon, dit M. Nemoto, c’est une clé pour faire vivre les villages ruraux ». Problème : avec l’abandon des terres agricoles, ne risque-t-on pas de transformer de bonnes terres en parcs solaires, ce qui ne serait pas une solution écologiquement satisfaisante ? M. Nemoto reconnaît le problème, sans y apporter de réponse. Les zones radioactives pourraient être transformées en zones de production solaire. L’idée s’esquisse, l’avenir répondra.

Retour en ville, à Minamisoma, qui respire la paix en ce beau jour de juin. Mais non loin du jardin public, on trouve des logements pour réfugiés, ceux qui ont fui la zone interdite et n’ont pas trouvé ailleurs de famille ou d’amis pour les accueillir :

Ce n’est pas le cas de Matchiko Yamagishi, qui vit dans une jolie maison avec son mari professeur d’anglais et ses deux enfants de six et neuf ans.

Elle n’avait jamais fait attention à la centrale nucléaire. « Je connaissais un peu l’accident de Tchernobyl, mais je ne pensais pas que cela pourrait arriver ici ». Après la catastrophe de la centrale japonaise, en mars 2011, elle était partie se réfugier un an avec ses enfants dans le nord, sur les instances de son mari, afin de se protéger de la radioactivité. Puis elle est revenue et la vie a repris ici. On préfère en fait oublier la radioactivité. « La mairie nous a donné un radiamètre, mais on ne le regarde pas vraiment ».

« Oui, je suis inquiète de la radioactivité pour mes enfants. L’accident n’est pas encore terminé, il peut reprendre à la centrale et il serait irréversible. Mais dans la vie quotidienne, je ne suis pas préoccupé de ces choses. De toute façon, on ne peut rien faire. Je me sens résigné ».
- A suivre… -
Ce reportage a été réalisé avec Jean-Paul Jaud et son équipe de tournage, dans le cadre du film qu’il prépare sur la transition énergétique.
