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Agriculture

Salon de l’agriculture ? Non. Salon de l’agro-industrie

La grande vitrine annuelle de l’agriculture française baisse le rideau ce dimanche. Mais le Salon a éclipsé les associations et acteurs du bio au profit des multinationales de l’agroalimentaire, venues labourer les esprits. Pourtant, avec 700.000 visiteurs, difficile de faire l’impasse sur l’événement.

-  Salon de l’agriculture (Paris), reportage

À midi, l’affluence est à son comble. Une quarantaine de salariés s’activent sur le plus gros stand du Salon de l’agriculture. « Venez déguster les produits Lidl. Vous les retrouverez en magasin », lance un employé de la chaîne discount au milieu de la foule. Les badauds se pressent pour goûter le jambon sous cellophane et le fromage pasteurisé.

À côté, McDonald’s propose des jeux pour enfants. À sa droite, Charal invite à se prendre en selfie devant le stand. L’animateur, micro en main, motive le public qui scande le slogan de la marque. « HUM CHARAL ! Plus fort ! Il faut aller le chercher profond, le Charal qui est en nous ! »

Porte de Versailles, les grands groupes sont partout, sous la lumière éclatante du hall d’exposition.

« Ils labourent les esprits. Ils se rachètent une image et font croire qu’ils sont proches des paysans, lâche Emmanuel, un arboriculteur en colère. Ici, c’est le temple de l’agrobusiness. Les multinationales sont omniprésentes. » À Paris, les fossoyeurs de l’agriculture se pavanent alors qu’à la campagne, les paysans crèvent. On compte 600 suicides en 2015. En dix ans, les agriculteurs ont perdu plus de 30 % de plus-value au profit des transformateurs et distributeurs.

« On donne aux gens l’illusion d’une rencontre »

Dans les allées du salon, le paradoxe culmine. « L’alimentation citoyenne » est au centre des attentions mais les acteurs du bio et les associations restent marginalisés. Seule une petite place leur est laissée au pavillon 4, loin des animaux d’élevage, qui attirent les visiteurs. Le mouvement Terre de liens y fête pour la première fois sa présence. 20 mètres carrés d’exposition à 9.000 euros le ticket d’entrée. En comparaison, McDonald’s a une place réservée dans le premier pavillon depuis quinze ans. On n’imagine même pas le prix que le géant du fast-food à dû débourser pour se retrouver au cœur du salon. 400.000, 500.000 euros ? Les paris sont ouverts. Ici tout est monnayable. Les organisateurs prennent les exposants pour des vaches à lait. « Ils font des devis pour le moindre service, la wifi, les badges… La location d’un micro coûte 300 euros la semaine alors qu’on en trouve à 100 euros à l’extérieur dans les commerces », raconte une bénévole de Terre de liens.

Un membre de la Fnab (Fédération nationale de l’agriculture biologique) regarde, dépité, passer le public. « Notre stand est perdu dans la masse. Nous n’avons pas la même force de frappe que les grands groupes. Peu de personnel. Pas de goodies. Pas de ballon… » En face, sur le stand de Farming Simulator, les enfants jouent à la Playstation 4. À l’écran, ils manient de gros tracteurs et des abatteuses, ces machines capables de raser un hectare de forêt en une journée.

Les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), qui comptent pourtant plus de 200.0000 adhérents, n’ont pas d’espace à eux. Le réseau squatte une table de la région Ile-de-France. À peine un mètre de longueur. La FNCIVAM, une association de développement rural, a, elle, carrément déserté l’événement. « Une économie qui nous permet de financer un demi-poste à l’année », affirme l’un de ses membres.

À part les éleveurs qui font défiler leurs animaux, on trouve peu de petits producteurs. Peu de paysans. Le fromager basque a beau avoir l’accent chantant, quand on pousse la conversation, il reconnaît être commercial. « Les gens viennent pour avoir un contact avec le monde agricole, alors on leur donne l’illusion d’une rencontre. »

« Vous savez, ils ne sont pas tous pauvres, les agriculteurs »

Parfois, les stands n’ont rien à voir avec l’agriculture. Des vérandas et des jacuzzis sont exposés au grand public, pavillon 2. Des cabanes de luxe à 26.000 euros avec des verres en cristal posés sur la table. Les roseaux viennent d’Afrique du Sud. La charpente, de Scandinavie et les tuiles en cèdre rouge, du Canada. « Le tout est monté en Angleterre », explique, sans aucune gêne, le vendeur. Les éleveurs surendettés ont-ils seulement les moyens d’en rêver ? « Vous savez, ils ne sont pas tous pauvres, les agriculteurs. Au Salon, on ne connaît pas la crise. » À voir l’opulence du stand de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricole, majoritaire dans la profession), avec sa terrasse à l’étage, on veut bien le croire.

En vitrine, les organisateurs affichent l’image classique du terroir. Sa quiétude et sa gastronomie. Dans les parcs, on expose les plus beaux animaux de France. Un porcher s’en amuse : « Vous trouverez ici toutes les races de porcs traditionnelles : le gascon, le cul noir du Limousin, le blanc d’Ouest… » Une diversité très loin de la réalité. « La race industrielle White Large représente à elle seule 60 % des porcs français. Ce qu’on vous montre ici, c’est au mieux une mascarade, au pire un mensonge. » Avant de devenir l’égérie du Salon, la vache bazadaise a manqué de disparaître. Seules 4.000 bêtes de cette race pâturent encore dans nos bocages.

Aujourd’hui, les citoyens sont en manque de rustique et d’authenticité. Les firmes tentent d’adapter leur discours. Chez Diester, la multinationale des biocarburants dont le stand a été envahi, mardi dernier, par les faucheurs volontaires, les communicants ont travaillé leur novlangue : « Le colza, une culture durable au cœur d’une filière responsable », lit-on sur leur plaquette. L’environnement est devenue une litanie qu’on récite sans conviction.

Il suffit de se déplacer un peu pour gratter le vernis et retrouver la couche du productivisme. Les pis gonflés des Prim’Holstein et les muscles hypertrophiés des vaches à viande. Lors d’un concours, on décrit la chèvre Saneen comme une machine à cracher du lait. « On ne parle plus d’un animal mais de potentialité génétique, de sélection. J’ai l’impression qu’ils montrent les caractéristiques d’un tracteur », s’émeut une ancienne éleveuse venue visiter le salon. Les vaches blanc bleu, appelées aussi « culardes » à cause de la déformation génétique de leur postérieur, sont bodybuildées pour produire plus de viande. Incapables de vêler naturellement, elles mettent bas par césarienne avant d’être envoyées à l’abattoir. Les panneaux publicitaires vantent, « l’assurance de performances économiques de haut niveau » et « l’optimisation des rendements ».

Les nouvelles technologies sont aussi au rendez-vous. Moderne et attractive, l’agriculture investit désormais dans le high-tech. « Une ferme connectée et digitale » qui fait grincer des dents certains militants de la Confédération paysanne : « C’est le cheval de Troie de l’agro-industrie. Avec ses drones, ses robots et ses applications pour smartphone, l’agriculture industrielle tente de séduire le public. » Les paysans connaissent sur le terrain l’impact pratique de certaines de ces « innovations » : le puçage RFID de leurs bêtes, la perte de savoir-faire et d’autonomie, la disparition d’emploi…

« On sème des petites graines »

Alors que faire ? Faut-il boycotter le Salon, comme l’affirmait José Bové ? Les associations citoyennes et les promoteurs de l’agriculture biologiques restent sceptiques. « On a eu des débats houleux en interne », reconnait une salariée de Terre de liens. Mais tous pensent nécessaire d’être présents porte de Versailles. « Nous sommes légitimes, il faut montrer que des alternatives existent. »

Le stand du mouvement Terre de liens.

Chaque année, le temps du Salon, la France vit au rythme de son agriculture. 700.000 visiteurs se déplacent pour l’événement. L’exposition médiatique impressionne. « Certes, être ici a un coût. Certes, ce salon est une vaste mascarade mais qui entendra ce que l’on a à dire sur l’agriculture si on ne le dit pas dans ces lieux ? Des convaincus, on ne les compte pas par millions… »

Sur le stand d’Ardelaine, une coopérative qui file la laine en Ardèche, on se veut quand même optimiste. « On parle à une centaine de personnes par jour. On commence à discuter autour de la laine avant de sensibiliser le public sur ce qui nous tient à cœur : la relocalisation de notre activité, l’agriculture paysanne, raconte une salariée. On sème des petites graines. On verra bien ce qui poussera. »

Le stand d’Ardelaine, une coopérative qui file la laine en Ardèche.

Sa collègue enchaîne : « Si nous ne faisons pas l’effort de nous tourner vers le grand public, si l’on ne sort pas de notre entre soi, je ne vois pas comment on pourra changer, à terme, notre agriculture. »

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