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EnquêteÉnergie

Solaire : la France délaisse les panneaux sur les toits

Pourquoi ne pas couvrir massivement toits, parkings ou zones polluées de panneaux solaires ? Le gouvernement, avide d’économies, soutient plutôt le photovoltaïque au sol — qui grignote les terres. Enquête [2/4].

Cela devrait tomber sous le sens. Il faut mettre en priorité les panneaux solaires sur les zones déjà artificialisées : parkings, zones polluées et surtout, toitures. Coup de chance, selon une étude européenne parue en 2019 dans la revue Nature, l’Europe de l’Ouest est une zone à fort potentiel photovoltaïque (notamment autour de la Méditerranée) et dotée d’une solide capacité d’investissement. « Si tous les toits de l’Union européenne adaptés étaient équipés de systèmes photovoltaïques, 680 térawattheures (TWh) d’énergie solaire pourraient être produits. Cela représenterait 24,4 % de la consommation actuelle d’électricité des États membres de l’Union européenne », lit-on. Il faudrait amorcer la pompe : comme le montre une autre étude parue dans Energy policy, les panneaux photovoltaïques sur les toits des particuliers créent un effet de contagion spatiale (« spatial spillover ») auprès des voisins, en rendant la technologie plus familière.

Alors, pourquoi ne pas couvrir massivement nos toits de panneaux ? Si aujourd’hui les puissances installées en solaire se répartissent à cinquante-cinquante au sol et sur du bâti, la dynamique est clairement en faveur des installations à terre. D’abord parce qu’installer sur une construction existante coûte paradoxalement encore trop cher [1], ou dégage une rentabilité moindre qu’au sol. Dans une étude publiée en 2020 sur les « coûts des énergies renouvelables et de récupération », l’Agence de la transition écologique (Ademe) estime que le coût d’une installation résidentielle intégrée au bâti se situe entre 154 et 184 euros par mégawattheure (MWh) dans la zone sud la plus ensoleillée, tout juste au niveau du tarif d’achat actuel. Elle ne devient intéressante économiquement que sur des toitures moyennes ou grandes.

Évolution du « coût actualisé de l’énergie » des centrales photovoltaïques au sol. Rapport Coûts énergies renouvelables et de récupération (Ademe)

Dans le même temps, le coût d’une centrale au sol de plus de 10 mégawatts (MW) de puissance est passé sous la barre des 50 euros par mégawattheure, une baisse spectaculaire en dix ans qui se poursuit, bien qu’à un rythme moindre. Alors que les discours assurent privilégier les zones « déjà artificialisées » ou les toitures, dans les faits, les politiques mises en œuvre favorisent nettement le solaire au sol.

Après 2010, la France a généralisé le système des appels d’offres. Le principe : la commission de régulation de l’énergie ouvre un volume donné de puissance et des candidats proposent leurs projets. La porte est ouverte à la libre concurrence du mieux-disant, mais surtout du moins coûteux. Les critères du cahier des charges pour 2021 ne laissent à ce titre aucun doute : c’est le prix qui est déterminant. Jusqu’en 2016, c’était même le seul critère existant, au détriment des préoccupations de biodiversité et de lutte contre l’artificialisation des terres. En effet, une centrale au sol d’1 mégawatt requiert une superficie de 1 à 1,5 hectare.

Le projet au meilleur prix (et non celui à la plus faible empreinte environnementale) remportera l’appel d’offres. Tableau extrait du cahier des charges de l’appel d’offres de la commission de régulation de l’énergie de 2021 pour le photovoltaïque au sol

Moins le coût rapporté au mégawattheure produit est élevé, mieux le candidat est noté. Et pour réduire ce coût, les solutions sont simples, voire basiques : faire plus gros et plus grand pour réaliser des économies d’échelle, se fournir au moindre prix en important du matériel made in China. Comme il y a de moins en moins d’entreprises capables de concourir pour un tarif de plus en plus bas, on favorise un oligopole.

Selon l’analyse publiée le 18 novembre 2021 par la société de conseil financier en renouvelables Finergreen, sur les treize tranches d’appels d’offres en toitures de plus de 100 kilowatts-crête (la puissance délivrable dans des conditions optimales), dix sociétés se partagent les trois quarts des puissances attribuées. Pour les appels d’offres au sol, le marché est encore plus concentré : cinq acteurs (TotalÉnergies Renouvelables, EDF Renouvelables, Engie, Urbasolar et Neoen) se partagent 62 % des 5,4 gigawatts de puissance attribuée.

© Stéphane Jungers/Reporterre

Par ailleurs, alors que 5 416 MW ont été proposés en appels d’offres pour les centrales au sol, une capacité trois fois moindre, 1 650 MW, a été ouverte pour les grandes toitures. Et pour cause, la loi elle-même induit ce décalage. La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2019-2028 fixe en effet des objectifs ciblés pour le photovoltaïque : 20 à 25 GW au sol contre 14 à 19 GW en toitures [2].

Une réglementation des bâtiments neufs toujours aussi mal charpentée

Au-delà des appels d’offres, même dans la construction, le photovoltaïque peine à avancer. Car bien que la technologie s’améliore, les panneaux solaires monocristallins (les moins chers actuellement) impliquent un poids supplémentaire pour les charpentes, qu’il faut anticiper. La pose de panneaux pourrait être allégée en prévoyant dès le départ cette possibilité sur une couverture neuve, avec des crochets et des trous pour les câbles. Mais cela représente une dépense supplémentaire. Combien ? Elle est rarement chiffrée mais souvent présentée comme dissuasive par les promoteurs. Une étude d’Enerplan, menée avec le cabinet Cardonnel, a pourtant montré que le surcoût est dérisoire : 0,4 % pour une maison individuelle et 0,3 % pour un petit immeuble collectif.

Installer des panneaux sur une construction existante coûte paradoxalement encore trop cher. Flickr / CC BY-ND 2.0 / David Trebosc

Il aurait été dès lors cohérent de rendre la « solarisation » obligatoire au moment de changer les exigences environnementales des bâtiments neufs. À nouveau, l’occasion a été manquée. Car les débats sur la nouvelle règlementation environnementale (RE 2020) se sont enlisés et transformés en un affrontement entre deux grands lobbies de l’énergie : comment chauffer les maisons, grâce à l’électricité (et donc au nucléaire) ou grâce au gaz ? L’électricité est certes sortie gagnante mais le photovoltaïque est resté au second plan. Richard Loyen, délégué général d’Enerplan, syndicat du solaire en France, déplore qu’on « construise encore des bâtiments déjà périmés pour des installations futures de panneaux » en ne prévoyant toujours pas la possibilité future d’intégrer des panneaux. La nouvelle règlementation, entrée en vigueur le 1er janvier 2022 avec deux ans de retard, abandonne également en chemin la promesse de construire des bâtiments à énergie positive (Bepos) capables de produire plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Et ce n’est pas mieux pour les bureaux, puisque le « décret tertiaire » qui vient de paraître pour la réglementation environnementale des bureaux et locaux commerciaux ne va pas beaucoup plus loin.

Pour ne pas artificialiser des terres, mieux vaut installer le solaire sur des zones déjà artificialisées, comme sur ce parking belge. Wikimedia / CC BY-SA 3.0 / Jérémy-Günther-Heinz Jähnick

La seule obligation concerne finalement certaines grandes toitures. C’est une des rares propositions de la Convention citoyenne pour le climat qui a été suivie d’effet. La loi Climat de 2021 obligera à partir du 1er janvier 2023 « toute nouvelle construction de plus de 1 000 m2 d’emprise au sol » à prévoir soit une production d’énergie renouvelable, soit une végétalisation, et ce sur au moins 30 % des surfaces de toitures. Cette loi vient aussi avec ses exceptions : l’obligation tombe « si cela vient aggraver un risque », « en cas de difficulté technique insurmontable à prix raisonnable » ou encore pour « des installations classées ». En parallèle, le plafond de la puissance soutenue par le tarif de rachat a été rehaussé de 100 kilowatts-crête (kWc) à 500 kWc pour les projets sur bâtiment. Pour le reste, rien n’est prévu pour rendre obligatoire l’installation de panneaux sur les constructions existantes.

Délaissés d’autoroute, anciennes usines, zones polluées...

Outre les toits, on pourrait – toujours pour ne pas artificialiser des terres – installer le solaire sur les délaissés d’autoroute, les anciennes usines, les zones polluées, c’est-à-dire des espaces... déjà artificialisés. En 2018, l’Ademe a estimé leur potentiel à 53 GW, dont 4 GW sur des parkings et 49 GW sur les autres « zones délaissées ». Soit la moitié des objectifs de photovoltaïque annoncés pour 2050. Ces surfaces sont constituées majoritairement « de dépôts de carburants des sites liés au commerce, à l’artisanat ou à l’industrie mécanique et des sites de stockage de déchets » et leur surface est comprise entre 0,5 et 2,5 hectares.

Répartition du potentiel national en nombre de sites et en puissance, entre zones delaissées et parkings. Les parkings représentent seulement 7 % du potentiel car leur surface moyenne est très inférieure. Ademe, 2019

De son côté, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), qui dépend aussi du ministère de la Transition écologique, a travaillé à l’échelle des régions du sud de la France. Si l’on s’attarde uniquement sur les zones où les enjeux de biodiversité sont moindres ou non identifiés, et ce, seulement dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), on découvre déjà un potentiel de 11 GW de puissance — soit quasiment de quoi doubler la puissance totale installée en France. Certes, précise Myriam Lorcet, responsable d’études et d’activité Énergies renouvelables au Cerema Méditerranée, cette étude « ne permet pas d’identifier localement une zone à couvrir, cela doit se faire à l’échelle d’une communauté de commune au minimum ». Mais l’ordre de grandeur signifie qu’il y a matière à solariser sans abîmer de nouveau la nature.

Ce potentiel sur les zones déjà artificialisées a attiré l’attention du gouvernement. Ce dernier vient de rendre une étude ciblant des surfaces réellement propices au photovoltaïque, avec comme critère de dépasser 1,5 hectare d’emprise et de pouvoir y installer 1 mégawatt de puissance. Une liste de 859 sites représentant plus de 7 gigawatts de puissance qui a été publiée fin février 2022 par le ministère de la Transition écologique. Mais il faudra attendre les études d’impacts des potentiels projets sur ces zones pour mesurer leur incidence réelle sur l’environnement.


[2/4 Au sol ou sur le bâti ? La bataille du solaire]L’énergie solaire est une piste essentielle pour se passer des énergies fossiles. Si son développement a tardé en France, les projets aujourd’hui se multiplient. Avec un enjeu de taille : manger des terres agricoles ou couvrir des zones déjà bétonnées. Reporterre a mené une enquête en quatre parties.

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