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« Soyons solidaires avec Les Soulèvements de Nanterre »

Plusieurs centaines de personnes étaient à Paris, le 28 juin 2023, en soutien aux Soulèvements de la Terre et pour demander justice pour Nahel.

Les mobilisations pour demander justice pour Nahel et celles pour Les Soulèvements de la Terre répondent à un intérêt commun, selon l’auteur de cette tribune : celui d’une lutte pour la terre.

Nicolas Haeringer est activiste depuis le début des années 2000. Il est directeur des campagnes 350.org, une organisation non gouvernementale environnementale internationale.



J’ai passé une bonne partie de ces derniers jours à expliquer à des collègues, des camarades et des amies anglophones ce qui se passe actuellement en France. Elles et ils voulaient comprendre ce qui pouvait bien provoquer une telle situation et ce que la révolte en cours ouvrait comme possibilités politiques. La « révolte » en cours, en anglais, se dit « uprising ».

« Uprising », c’est aussi la manière dont nous avons collectivement choisi de traduire « soulèvements », dans les appels internationaux de solidarité avec Les Soulèvements de la Terre.

Il me semble de fait essentiel de partir de là, de la sémantique. Prendre au sérieux ce tag qui a fleuri un peu partout : « Nous sommes Les Soulèvements de Nanterre », pour penser ce qu’un tel rapprochement pourrait bien signifier.

Il n’y a en apparence pas grand-chose de commun entre des mobilisations contre une autoroute, des mégabassines, un projet délirant de liaison ferroviaire entre la France et l’Italie ; et des mobilisations éruptives spontanées en réaction au meurtre d’un jeune homme par un policier.

Lire aussi : À Paris, Soulèvements de la Terre et antiracistes unis contre les crimes de la police

Il y a, pourtant, plusieurs points sur lesquels des rapprochements sont possibles. La répression est le plus évident : le contrôle des corps et des vies se généralise peu à peu. Les stratégies policières et étatiques de domination par l’usage de la force se sont à l’évidence en premier lieu déployées dans les colonies (ce que rappelait Françoise Vergès lors du rassemblement devant le Conseil d’État pour protester contre la dissolution des Soulèvements de la Terre) ; puis dans les quartiers populaires. Plus récemment, ces mêmes techniques sont dirigées vers des militantes : usage d’armes létales, mesures antiterroristes détournées de leur fonction initiale (rappelons que dès 2015, sous François Hollande, les assignations à résidence et les fichages S ont été utilisés contre des citoyennes dont leur seul tort était d’être musulmanes ou activistes du climat, débordant leur cadre légal d’outils au service de l’antiterrorisme).

Émerge donc là un front de résistance contre l’appareil répressif étatique, front qu’il est indispensable de renforcer et de soutenir. Le « retour au calme » ne se fera en effet qu’une fois cet appareil répressif démantelé.

« Nous devons rester solidaires »

Pour autant, il me semble essentiel de ne pas penser les alliances uniquement sur le seul terrain de l’antirépression. Comme le souligne Fatima Ouassak, les luttes des habitantes des quartiers populaires sont des luttes pour la terre, pour sortir d’une condition de « sans-terre » : « Ce qui définit le mieux la population venue d’Afrique installée en Europe : elle est privée de terre, elle vit sans terre, elle erre » [1].

Les mobilisations en cours dans les quartiers populaires ne différeraient alors guère des « saisons » coordonnées par Les Soulèvements de la Terre. Il s’agirait, dans les deux cas, de luttes ayant pour horizon la question de l’habitabilité.

Plusieurs choses en découlent :

  • soutenir ce front implique de demander une amnistie générale pour toute personne arrêtée ces jours-ci (qu’il s’agisse des militantes des Soulèvements et de Bassines non merci ; ou de celles et ceux que la police s’empresse de présenter comme des « émeutiers » nihilistes) ;
  • même si nos tactiques et nos répertoires d’action ne sont pas stricto sensu les mêmes, nous devons rester solidaires. Nous sommes peut-être heurtées par la manière dont la colère se déploie (des Gilets jaunes à Nanterre, en passant par Sainte-Soline ou une cimenterie Lafarge) et nous pouvons de prime abord estimer que certaines des tactiques déployées ici ou là sont plus légitimes ou efficaces que d’autres. Mais nous devons apprendre à naviguer dans cette « diversité des tactiques » à l’épaisseur nouvelle, pour, à terme, débattre de la manière dont nous pourrions lutter ensemble ;
  • nous pourrions nous inspirer de l’expérience des militantes du Movement for Black Lives qui, à la suite des mobilisations Black Lives Matter, a élaboré un ensemble de projets de loi, le « Breathe Act », qui entendait répondre, d’un même mouvement, à la question du racisme institutionnel et des violences policières d’une part ; à l’impératif de justice environnemental et climatique d’autre part.

L’apaisement requiert des préalables — de toute part. Notre part de l’apaisement se joue là : tenir les deux bouts des Soulèvements (de la Terre et de Nanterre) ; ne pas céder face à la logique répressive de l’État (pas de justice, pas de paix) ; échanger avec nos camarades qui ont fait face à des situations similaires ailleurs dans le monde et ont développé leur propre manière de tenir ces deux bouts.

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