Sylviculture industrielle : ces machines qui ravagent les forêts

Dans les arènes de démonstration, les constructeurs présentent les derniers modèles de tracteurs. - © Isabelle Miquelestorena/Reporterre
Dans les arènes de démonstration, les constructeurs présentent les derniers modèles de tracteurs. - © Isabelle Miquelestorena/Reporterre
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ForêtsLe grand salon forestier européen Forexpo se tient jusqu’au 24 septembre dans les Landes. Pour s’opposer aux gigantesques machines qui découpent les forêts — et plus globalement à la sylviculture industrielle — deux associations écologistes s’y sont invitées...
Mimizan (Landes), reportage
Des pins maritimes plantés de manière rectiligne se succèdent sur des kilomètres en bord de routes : le paysage du département des Landes est façonné par la sylviculture intensive. Il n’est guère surprenant que ce soit au cœur de ces plantations d’arbres, sur l’aérodrome de Mimizan, que se déroule du 22 au 24 septembre le salon Forexpo « salon européen de la sylviculture et de l’exploitation forestière ». C’est la 26e édition de ce grand raout de l’industrie forestière européenne, une immense foire dédiée à tous les acteurs de la filière bois.
Le visiteur passe des stands d’élagage à ceux qui exposent des tracteurs de plusieurs tonnes. Dans ce « salon de l’agriculture du bois » se côtoient petits exploitants et géants du secteur, souvent scandinaves, qui poussent à une mécanisation toujours plus grande de l’exploitation forestière.
Un non-sens pour Jacques Hazera, expert forestier et vice-président de Pro silva, une association de forestiers créée pour lutter contre les dérives industrielles du monde sylvicole. « Tout ce matériel a beaucoup grossi, il coûte très cher, il faut compter entre 400 000 et 500 000 euros pour une abatteuse. Pour rembourser, il faut la faire tourner presque 24 heures sur 24, y compris durant les périodes où la sève circule. »

Pro silva prône une autre forme de sylviculture, sans coupe rase, sans monoculture. Jacques Hazera, lui-même propriétaire d’une forêt, explique : « On s’appuie sur les écosystèmes pour mener une exploitation pérenne. On organise des coupes d’éclaircies pour qu’elles soient fréquentes mais modestes. Tous les quatre ans, je vais prélever environ 15 % du volume. Je l’ai fait en mai dernier sur une parcelle, cela représentait huit arbres par hectare. » Ce rythme selon lui indolore pour la forêt permet son renouvellement.
Dans les arènes de démonstration de Forexpo, le discours est tout autre. Un engin — un porteur — est en démonstration sous les commentaires du constructeur et d’un animateur. Les prouesses technologiques de ce « milieu de gamme » à la « capacité de charge de 13 tonnes » suscitent des commentaires admiratifs de l’animateur. Il poursuit : « La forêt n’a jamais été aussi vaste depuis longtemps. Elle n’est pas en péril comme certains voudraient bien le dire. »

Des militants écologistes expulsés de Forexpo
Certains ne sont pas d’accord avec lui, et l’ont montré. Les associations Canopée et Landes Environnement Attitude (LEA) ont organisé une action le 22 septembre pour dénoncer les dérives de ce système d’exploitation sylvicole. Alors que les organisateurs de Forexpo remettaient les trophées dans les catégories « engins forestiers de l’année », « outils forestiers » et « équipement », les militants ont voulu remettre une autre distinction symbolique ; celle « du plus gros destructeur de biodiversité – catégorie destructeur du vivant » à la coopérative Alliance. L’association l’a choisie car elle incarne le modèle promu par le salon, celui de l’industrialisation de la forêt. À peine leur discours commencé, les militants ont été expulsés par les agents de sécurité, qui ne les ont pas laissés accéder au stand de la coopérative forestière visée.

« Nous ne sommes absolument pas contre la coupe de bois, explique à Reporterre Bruno Doucet, chargé de campagnes forêts françaises au sein de l’association de défense des forêts Canopée. Mais il y a deux modèles : l’un prend soin de la nature en ne coupant que les grands arbres arrivés à maturité. L’autre, le modèle de gestion d’Alliance, consiste en une monoculture de résineux qui poussent vite et bien droit avec des coupes rases. » L’association accuse ce « modèle d’Alliance » de porter atteinte à la fois à la capacité de stockage de carbone des arbres, à la biodiversité et aux sols des forêts. Bruno Doucet distingue d’ailleurs « les plantations d’arbres » des « forêts ».

À l’origine, Alliance était une coopérative forestière dans les Landes de Gascogne. Désormais, son champ d’intervention s’étend sur toute la moitié ouest de la France, de la Normandie aux Pyrénées, en passant par le Limousin ou encore le Poitou. Sa méthode d’exploitation est typique de ce qui se pratique dans les Landes : une sylviculture intensive faite de parcelles d’alignements de pins tous du même âge qui sont coupés ras en fin de cycle, grâce à l’intervention de plusieurs engins qui tassent le sol. L’association Canopée s’inquiète de la diffusion de ce modèle néfaste à l’environnement dans les nouveaux territoires où Alliance intervient : « Tous les jours ou presque, dans le Limousin, en Dordogne, etc., des personnes nous signalent des coupes rases de forêts de feuillus à côté de chez elles, forêts remplacées par une plantation en monoculture de résineux. » Selon les associations, Alliance prospère et détruit de plus en plus de forêts pour les remplacer par des plantations d’arbres.
À l’extérieur du salon, le directeur général de Forexpo, Éric Dumontet, est venu parler avec les militants évincés de la foire. Sous l’œil des caméras, il a insisté sur sa bonne volonté à dialoguer avec eux et les a invités à se retrouver sur l’une de ses parcelles. Il a cependant refusé catégoriquement de laisser les militants accéder au stand d’Alliance pour la remise de leur trophée.

La mécanisation de la sylviculture
« On adapte les forêts aux machines et on est en train de devenir esclaves de ces machines », explique Bruno Doucet. La taille des arbres, leur diamètre avant d’être coupés sont parfois décidés en fonction de l’abatteuse ou d’un autre engin dont dispose le forestier. Jacques Hazera l’a également constaté : « La sylviculture conventionnelle suit actuellement des cycles très courts, avec une coupe rase tous les 35-40 ans. Ce cycle était encore de 60-70 ans il y a vingt ans. »
Le vice-président de Pro silva voit un autre problème au gigantisme des engins forestiers : celui de la santé des sols. Dans le cas des coupes rases, « les machines passent partout, sans suivre de parcours, tout le sol est tassé », dit-il. En comptant l’abatteuse, le porteur et la pelle mécanique pour retirer les souches, trois engins se succèdent et « attaquent cette pauvre parcelle. Après cela, le sol n’est pas mort mais il est à tout le moins moribond ». Le passage de l’abatteuse seule « représente 70 % de tassement au sol », explique Jacques Hazera.

L’expert forestier se montre néanmoins optimiste : « Nous sommes minoritaires au sein de la sylviculture mais nous sommes en train de gagner en notoriété. De plus en plus de gens se rendent compte qu’on est sérieux, qu’on a de bons résultats. C’est une vague de fond qui est en train de se mettre en place. »